mercredi 27 octobre 2010





Société
26/10/2010
«Ce n'est pas demain la veille qu'on fera des consultations par Internet»
RECUEILLI PAR FÉLIX PENNEL

La télémédecine dispose désormais d'un cadre juridique : un décret qui vient d'être publié au Journal officiel réglemente à partir d'avril 2012 des activités telles que téléconsultation, téléexpertise, télésurveillance médicale ou téléassistance médicale.

Révolution ou simple reconnaissance de ce qui se fait déjà? Le docteur Claude Leicher, président du syndicat des médecins généralistes MG France, opte pour le second choix.

La téléconsultation marque-t-elle un tournant pour la médecine en France ?

Déjà, je ne suis pas favorable à l'emploi de ce terme de «téléconsultation». Ce n'est qu'une façon de résumer les choses. En fait, dans les cabinets médicaux, nous avons tous les jours des appels téléphoniques de patients qui ont des questions. Nous, médecins, leur donnons des conseils pratiques et d'orientation vers tel ou tel spécialiste.

Donc oui, ce décret est intéressant parce qu'il reconnaît ce que nous faisons déjà depuis longtemps. Mais concrètement, ça ne s'appliquera qu'à quelques situations particulières. Par exemple sur une île sans médecin ou en montagne, ce système va permettre de rassurer, de prodiguer des conseils précis grâce aux images retransmises. Mais ça ne remplacera absolument pas la consultation.

Est-il possible de tirer un diagnostic précis d'une «consultation» par Internet ?

Ce système ne permet aucun diagnostic. Bien sûr, si par exemple, une mère signale que son enfant a la varicelle, une description des boutons nous permet de le confirmer. Mais si un patient signale qu'il est anormalement essoufflé, on ne peut rien faire. Un médecin doit le voir pour l'examiner et faire le diagnostic.

C'est pour ça que le terme «téléconsultation» n'est pas approprié, ce n'est pas une consultation.

Quels sont les avantages et les inconvénients d'un «Internet médicalisé» ?

Cela va faciliter l'accès à la santé et permettre aux médecins qui seront en contact avec les patients de donner un degré d'urgence face à un problème.

Mais depuis qu'Internet existe, beaucoup de gens viennent nous voir avec des informations qu'ils ont trouvées, et ne comprennent rien à ce qu'ils ont pu lire. Il ne suffit pas d'avoir les informations, il faut aussi avoir l'interprétation. Nous verrons comment ça se met en place.

Pourquoi avoir attendu si longtemps pour l'autoriser ?

Parce qu'en France on a toujours du retard... Dans les pays anglo-saxons ça existe déjà depuis longtemps. Chez nous c'est toujours soit bon, soit mauvais. On a peur du changement, alors on a attendu.

Pourtant le monde ne va pas changer. Ce n'est pas de la médecine à distance mais bien du conseil. Et ce n'est pas demain la veille qu'on fera des consultations par Internet ou téléphone comme dans un cabinet.





APRÈS LA PARUTION DU DÉCRET TÉLÉMÉDECINE

La e-consultation : fantasme ou réalité ?

Floue sur certains points, la toute fraîche réglementation de la télémédecine laisse le champ libre à l’interprétation, notamment pour ce que sera – ou ne sera pas – une téléconsultation.

LA PARUTION à la fin de la semaine dernière du décret organisant la télémédecine (« le Quotidien » du 25 octobre) a suscité de nombreux commentaires dans les médias, certains voyant déjà pour demain la téléconsultation d’un patient par un médecin via Internet, avec rédaction d’une e-ordonnance et télépaiement à la clé. À l’origine de cet emballement, un certain flou dans l’interprétation de la nouvelle réglemenation. Que dit le décret en cause ? « La téléconsultation a pour objet de permettre à un professionnel médical de donner une consultation à distance à un patient. Un professionnel de santé peut être présent auprès du patient et, le cas échéant, assister le professionnel médical au cours de la téléconsultation. »

À l’Ordre des médecins, le Dr Jacques Lucas, vice-président en charge des questions de télémédecine remet les pendules à l’heure. Pour lui, la téléconsultation dispose essentiellement de deux champs d’application. Soit le patient est suivi régulièrement par le médecin dans le cadre d’une pathologie de longue durée, et après élaboration d’un protocole de télésuivi, il peut lui télétransmettre directement des résultats d’analyse par exemple, ou un électrocardiogramme, ou encore une radiographie dans le cadre de ce suivi. Soit le patient est en consultation chez un autre professionnel de santé ou dans un établissement de santé, et il est demandé à un médecin extérieur d’analyser à distance des symptômes, ou des résultats d’analyses. En dermatologie par exemple, la télétransmission de l’image d’une plaie peut aider au diagnostic.« La téléconsultation, ce n’est pas un diagnostic fondé sur les déclarations fournies par le patient, continue Jacques Lucas, c’est un examen médical différent basé sur l’analyse de données objectives. »

Il n’est donc pas question pour le moment d’imaginer qu’un patient puisse se connecter au cabinet d’un médecin pour lui décrire ses symptômes, encore moins que le médecin rédige une ordonnance et que le patient paye cette téléconsultation. « Non que nous y soyons opposés, précise le Dr Lucas, mais le décret ne prévoit pour l’instant rien de tel et il nous semble que si des évolutions doivent y être apportées, elles doivent se faire petit à petit, en prenant en compte le seul intérêt du patient. »

Accélération.

Mais au chapitre des évolutions futures que pourrait connaître la téléconsultation, le Pr Guy Vallancien a quelques idées. « Les choses vont s’accélérer, prophétise-t-il, car la téléconsultation est l’une des réponses à la désertification médicale et à l’encombrement des cabinets qui en résulte. » Guy Vallancien, qui a rédigé de nombreux rapports à la demande des pouvoirs publics, tant sur les maisons de santé pluridisciplinaires que sur la réforme des hôpitaux ou la rémunération des médecins, est également le père du projet expérimental de cabinet médical mobile. Il prend l’exemple du Canada où certains médecins ont une patientèle disséminée sur des territoires de plusieurs centaines de kilomètres carrés. « Dans chaque village, continue-t-il, des professionnels de santé spécialement formés, et de niveau master, vont voir les malades, procèdent aux examens et analyses nécessaires, et télétransmettent les résultats au médecin qui pose alors son diagnostic et fait sa prescription. »
Mais Guy Vallancien, jamais en retard d’une avancée potentielle, voit encore plus loin et estime que la téléconsultation directe, sans l’intervention d’un autre professionnel de santé, verra le jour tôt ou tard. « Ca n’est pas pour demain, reconnaît-il, et tout dépendra des corporatismes qui se manifesteront. » Mais il en est persuadé,si les collectivités locales investissent dans des bornes Internet, les progrès de la technologie rendront un jour la chose possible. « Les Français vont comprendre qu’on ne perd pas nécessairement de lien humain par Internet, conclut-il. Parfois même, les patients se confient plus en écrivant leurs symptômes ou en les décrivant par webcam interposée. »

HENRI DE SAINT ROMAN

Le Quotidien du Médecin du : 27/10/2010

 

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