dimanche 17 octobre 2010


Quand les psys se manifestent…

Aujourd'hui dans L'Essai du jour : « Le Manifeste pour la psychanalyse», par Sophie Aouillé, Pierre Bruno, Franck Chaumon, Guy Lerès, Michel Plon et Erik Porge, aux Éditions La Fabrique.

« Mieux vivre sa vie ». « Décider d’être heureux ». « Cinq raisons de croire en l’avenir ». « Comment penser positif sans être naïf ». Mais oui, mais oui… vous trouverez ces titres à la une du magazine Psychologies de ce mois-ci. Vous êtes bien sur France Culture. Et il n’y a pas de raisons de se moquer de ces injonctions au bien-être, car elles sont agrémentées de savantes restrictions dans un dossier qui tout en étant consacré au bonheur s’inquiète de cette obsession de la félicité. Enfin, je veux parler du dialogue entre le philosophe Roger-Pol Droit et l’essayiste Pascal Bruckner. Il apporte un sérieux bémol à ce que nous proposent les gourous du bonheur. Cela dit, même tourné de la sorte, je ne suis pas sûr du résultat. L’augmentation du rayon bien-être dans les librairies n’est pas ce qu’on appelle une bonne nouvelle. Les adeptes du potentiel de guérison, du développement personnel, de l’idéologie du bien-être, semblent rivaliser avec« les victimes » de la souffrance psychique, sans que les uns et les autres puissent vraiment s’accorder sur ce qu’il faut entendre par l’expression de « santé mentale positive ». On l’a trouve dans un récent rapport remis à Madame Kosciusko-Morizet, la secrétaire d’État chargée de la prospective et du développement numérique en 2009. Je ne vois pas bien le lien, mais en fait il y en a un. Car ce rapport s’inspire en réalité du rapport Stiglitz qui conjoint la mesure du PIB et celle du bien-être. La mélodie de la croissance vaut bien celle du bonheur. Où allons-nous ? Je vous propose pour le savoir une cure de désintoxication à la psychologie avec un petit livre dense et salvateur : « Manifeste pour la psychanalyse ».

Encore un Manifeste ! C’est ainsi, le fond de l’air est Onfray. Mais ce Manifeste rédigé par cinq psychanalystes, dont une femme, n’est pas de la polémique mal placée. Il est un véritable état des lieux sur la place occupée par la « santé mentale » en France. Le vent de panique qui a soufflé au dessus des têtes des psychanalystes s’inquiétant de la réglementation de la psychothérapie en août 2004 continue de souffler. Car elle aboutit en fait à un alignement de la psychanalyse sur la psychothérapie. L’emprise de l’État provoque d’ailleurs dans de nombreux pays européens une surveillance de la cure, dont des procédures mesurent les effets bénéfiques, comme on le ferait durant une convalescence, en prenant sa température. Plutôt que de légiférer en encadrant les actes psychothérapiques, il aurait mieux valu procéder à un état des lieux des modes d’expression de la souffrance psychique en France. On dénombre aujourd’hui au moins 400 formes de psychothérapies allant de la bio-énergie au cri primal. Mais on aurait surtout dû s’interroger sur cette déferlante psychologique qui normalise nos vies. Or c’est tout l’intérêt de ce livre que de ne pas refermer ce dossier : « La menace pour la psychanalyse, écrivent les auteurs, n’est plus désormais de se faire exclure par la médecine, mais bien de se laisser inclure dans l’empire de la psychologie » dont l’offre s’étend désormais sans limites au domaine de la santé mentale positive, incluant justement l’aptitude au bonheur.

La psychanalyse dira-t-on n’a pas le monopole de la cure ? Certainement. Mais le marché non plus. Les auteurs expliquent les divisions entre les écoles de psychanalyse, voire entre les offres de thérapie, mais ils s’interrogent sur cette offre avec perspicacité. « Du déprimé à l’hyperactif, remarquent-ils, du traumatisé au harcelé, au grand marché de la multiplicité des savoirs, chacun est convié à choisir la forme sujet qui lui ira le mieux ». Le marché des propositions « psy »participe à la construction de personnages flottants. Bien loin de rendre possible la parole, il la contrôle. Bien loin de rendre l’amour libre, il le soumet à un idéal de fusion. Au nom de la protection des usagers, cet idéal de bien-être finit par se fondre dans les besoins du marché. C’est tout le problème de ce droit au bien être. Il permet peut-être de s’adapter, certainement pas de se désengager de cet empire de la psychologie.

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