mercredi 6 octobre 2010


Le Magazine Littéraire
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Quelle importance que ce soit une maladie ?


Un jour de 2006, la romancière Siri Hustvedt s’apprête à rendre hommage à son père, mort deux ans et demi plus tôt. Alors qu’elle commence à parler, elle est soudain saisie de tremblements convulsifs. Elle continue cependant son allocution. Qui est La femme qui tremble ? Tel est le sujet de ce livre, à la fois quête personnelle et plongée dans la psychanalyse, la psychiatrie et les neurosciences.

L’intérêt de Siri Hustvedt pour ces disciplines ne date pas de cet épisode. On se souvient que le héros d’Élégie pour un Américain, Eric Davidsen, était lui aussi psychiatre et psychanalyste. De ses recherches parfois arides dans les zones glaciales des sciences dures ou dans les sables mouvants de l’interprétation naît une histoire, construite sur le va et vient entre savoir et mystère, connaissance et secret de l’intimité, à la fois essai et récit. La romancière souffre d’autres maux, chroniques ou épisodiques : convulsions dans sa petite enfance, migraines quasi permanentes – auxquelles son premier livre Les yeux bandés faisaient déjà allusion – neuropathie périphérique, hallucinations auditives. Mais jamais aucun examen médical n’a permis d’en connaître les causes. Sa personnalité empathique, son hypersensibilité à l’environnement, autant de signes d’une personnalité qu’on pourrait penser fragile, s’ils n’étaient au service de son talent d’écriture, de sa créativité. Du reste, qu’est-ce que la santé? s’interroge Siri Hustvedt, citant le psychanalyste et pédiatre Winnicot: «Se réfugier dans la normalité, ce n’est pas la santé. La santé tolère la mauvaise santé ; à vrai dire, la santé gagne énormément à se trouver en contact avec la mauvaise santé sous tous ses aspects.» Le tour d’horizon des différentes disciplines la conduisent à questionner les connaissances actuelles à propos de l’hystérie (appelée aujourd’hui «conversion»), de l’épilepsie, de la mémoire, du rêve, des émotions, autant de domaines où les théories s’opposent, nous confrontant aux limites de notre savoir, et à l’ambiguïté fondamentale de la maladie. C’est cette ambiguïté qui aura le dernier mot. Peu importe le nom qu’on mettra sur ce trouble récurrent dont elle souffre, même si un traitement est venu à bout de sa manifestation la plus visible. Après tout, comme le dit le prince Michkine de Dostoïevski, « Quelle importance que ce soit une maladie ? ». Reste à accepter en elle la femme qui tremble, comme elle l’a fait pour la migraine, à domestiquer ce double sauvage. « Il y a des moments où nous nous refusons à revendiquer ce qui devrait nous appartenir. » La force d’un écrivain se mesure à sa capacité d’éveil du lecteur. On lit La femme qui tremble les yeux grands ouverts sur nos propres mystères.

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