samedi 25 septembre 2010




L’humour : Considérations psychanalytiques   
Issa ASGARALLY

09/23/10

L’humour dans l’oeuvre de Freud (Editions Two Cities, 160 pages) est le recueil des interventions de plusieurs psychanalystes au séminaire organisé par S.A. Shentoub à l’Institut psychanalytique de Paris.

Les participants se sont penchés avant tout sur les deux textes de Sigmund Freud qui traitent de l’humour : Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient (1905) et L’humour (1927). Nous n’examinerons ici que trois de ces interventions. A commencer par l’Introduction de S.A. Shentoub qui se demande ce qu’est vraiment l’humour pour le maître de Vienne.

Ce n’est ni une forme de phase maniaque qui succède comme défense contre la mélancolie, ni une forme de défense contre la dépression, et encore moins une sublimation au sens créateur du terme. S.A. Shentoub privilégie le point de vue économique. Pour Freud, l’humour n’est possible qu’à la condition que la coexcitation ne soit pas débordante en quantité. Cela rappelle à S.A. Shentoub une histoire qui démontre que Freud était capable de faire de l’humour aux moments les plus tragiques de sa vie. En effet, lorsqu’en 1938 Marie Bonaparte eut payé la rançon que réclamaient les Nazis, Freud fut autorisé à émigrer avec ses biens mobiliers, ses «statuettes», ses documents, etc. Avant la mainlevée, des fonctionnaires zélés et méticuleux de la Gestapo vinrent faire l’inventaire de ses possessions. Freud, après avoir lu le bordereau d’inventaire le signa, puis ajouta : «Pour la méticulosité, je ne peux que chaudement recommander la Gestapo !»

Dans l’intervention de Christian Bury, Freud et l’humour, l’accent est mis sur l’humour comme réponse au tragique, du moins dans certaines limites et on trouve cet extrait du «Mot d’esprit… » : «On peut acquérir quelque lumière sur le déplacement humoristique en le considérant sous l’angle d’un processus de défense. Les processus de défense sont les équivalents psychiques des réflexes de fuite et sont destinés à empêcher l’éclosion du déplaisir qui dérive de source interne. »

Plus loin, Christian Bury (CB) aborde l’incontournable question d’ordre économique. Pour le mot d’esprit comme pour l’humour, écrit-il, Freud soutient que le ressort dynamique de leur pouvoir réside en une économie d’énergie rendue possible par la levée momentanée d’un refoulement, d’une inhibition. «Il y a un court-circuit temporaire rendant pour un instant inutile l’effort nécessité par la défense, d’où économie au sens ‘avaricieux’ du terme : l’énergie épargnée se dépense alors librement, devenant source de plaisir.»

CB écrit que Freud nous dit dans son article sur l’humour que le bénéficiaire de ce dernier, l’auditeur, ressent un pareil effet dans deux cas distincts : lorsque l’auteur commet l’humour aux dépens d’un tiers, et lorsqu’il obtient le même effet à ses propres dépens. On sait que l’exemple qu’il cite pour illustrer ce dernier cas est celui du condamné à mort qui monte, un lundi, sur l’échafaud en disant : «Voilà une semaine qui commence bien

Selon CB, il serait peut-être plus proche, dans le fond, qu’on imagine un humoriste prêtant ce mot à un condamné à mort, plutôt qu’un condamné le faisant lui-même. Il suffi t de rappeler ce que montre l’expérience en pareils cas. Et en examinant plus précisément le mécanisme de l’humour dans cet exemple, CB souligne : «Pour qui a inventé l’histoire, cette invention en soi représente un triomphe bref et dérisoire sur l’idée de la mort : la pensée qu’un homme – notre semblable, à qui l’on s’identifie – puisse avoir ce détachement dans l’instant suprême, est en soi une victoire de notre toute-puissance imaginaire, infantile, sur notre destin. Pour l’auditeur, l’effet est le même par identification du ‘héros’, dans lequel nous retrouvons notre Moi en position infantile avec les yeux que nous avons pris, pour un instant, au Surmoi : on peut penser ou on a pu penser triompher de la mort !»

L’intervention de Jean Fanchette (JF), Passerelles sur l’humour ou l’emboîtement des instances, sous la forme d’un post-scriptum, se voudrait réseau de pistes de réflexion. Il se demande pourquoi Freud s’est tant intéressé à des histoires de marieurs. Il en cite une : Un prétendant fort désagréablement surpris de la fiancée qu’on lui présente, prend le marieur à part et se plaint à son oreille : «Pourquoi m’avoir amené ici, lui dit-il sur un ton de reproche, elle est laide, vieille, elle louche, a de vilaines dents et les yeux chassieux…» «Vous pouvez parler à haute voix, interrompt le marieur, elle est de plus sourde.» Pour JF, ces histoires renvoient peut-être au marieur en Freud lui-même ! Il rappelle que Freud avait fantasmé sur l’idée d’un mariage avec la fille de Charcot, le Père, le découvreur idéalisé, et qu’il avait songé à donner en mariage une de ses filles à Ferenczi, un de ses disciples favoris. Freud marieur, voilà un intéressant sujet d’étude, ajoute JF ! La lumineuse conclusion de l’ouvrage, on la doit également à Jean Fanchette : «Mais l’humour qui est le rire désespéré de la lucidité (lucidité = «la blessure la plus proche du soleil», pour René Char) agit comme le curseur d’un potentiel de lutte d’un individu pour assurer sa maîtrise sur les aléas du destin et les espaces de manoeuvre que laisse l’existence au quotidien.»

Visible d’abord comme le signe d’un triomphe de l’esprit, dit-il, l’humour est, on le voit, plus complexe et ses vibrations résonnent encore, longtemps après que le mot d’esprit a lancé et épuisé ses salves, car sa nature essentielle est d’être ambigu, fait d’opacité et de transparence.

Par Issa ASGARALLY

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