mercredi 11 août 2010




Par Reuters, publié le 29/07/2010

Mères infanticides, malades mais responsables, selon des experts

Il est difficile de dresser un profil-type des mères infanticides, dont le nombre serait stable en France depuis les années 1970, mais dans la majorité des cas, elles sont ordinaires et conscientes de leurs actes, relèvent des spécialistes.

Seule une dizaine d'affaires sont portées à la connaissance de la justice chaque année, comme la découverte cette semaine des restes de huit nourrissons près de Douai (Nord), mais on en dénombre en réalité entre 60 et 80, selon le Dr Jacques Dayan, ancien expert après des tribunaux et spécialiste de la psychiatrie périnatale.

"Les médias braquent les projecteurs sur des cas extraordinaires mais la plupart des histoires ne concernent qu'un nouveau-né", explique à Reuters le médecin du CHU de Rennes.

Le nombre d'infanticides - on parle de "néonaticides" si les nouveau-nés sont tués dans la journée qui suit leur naissance - "est à peu près stable depuis que les avortements sont plus faciles", ajoute-t-il.

A Villers-au-Tertre, dans le Nord, une aide soignante de 47 ans a déclaré avoir accouché seule de ses huit enfants qu'elle a étouffés ensuite.

Mère de deux filles aujourd'hui âgées d'une vingtaine d'années, elle a expliqué aux policiers qu'elle était consciente de ses grossesses mais qu'elle ne voulait plus d'enfants.

Selon Sophie Marinopoulos, psychologue et auteur de "La Vie ordinaire d'une mère meurtrière", l'affaire de Villers-au-Tertre est sans aucun doute "le cas le plus grave en nombre" en France.

"BANALEMENT HUMAINES"

Dans les années 70, un couple de Corrèze a tué sept de ses enfants à la naissance. Plus récemment, Véronique Courjault a été condamnée pour le meurtre de trois de ses nouveau-nés et en mars dernier, Céline Lesage, 38 ans, a été reconnue coupable d'avoir tué six de ses enfants.

"Certains les ont présentées comme des serial-killers. Vu de loin, le nombre rend ces affaires monstrueuses mais de près, elle sont banalement humaines et fragiles", dit Roland Coutanceau, psychiatre et criminologue qui a assisté au procès de Céline Lesage devant les assises de la Manche.

Comme une grande partie de ses collègues, il ne "croit pas au concept de déni de grossesse" mais parle du "déni d'investissement d'être mère": "elles tuent une chose plutôt que leur enfant".

"Psychiquement, en le tuant, elles empêchent leur enfant de naître. Elles gardent le pouvoir sur leur ventre", ajoute le Dr Dayan.

Médecins, psychologues et chercheurs estiment que les causes de ces passages à l'acte sont à rechercher dans le passé des mères - leur histoire familiale, leur rapport à leur corps - qui sont souvent inhibées, souffrent de problèmes névrotiques et ont des difficultés à établir le contact avec les autres.

Selon le Dr Dayan, 20% des mères infanticides seulement ont été prises dans un épisode délirant, une psychose puerpérale. Dans ces cas-là, les mères sont déclarées irresponsables et échappent à un procès mais pour les 80% restants, "ce sont des femmes ordinaires".

Pour la psychologue Odile Verschoot, qui a écrit "Ils ont tué leurs enfants", "le geste infanticide surgit d'un double désir : d'une part, le désir fou de garder en soi l'enfant que l'on craint de perdre et, d'autre part, en éliminant la descendance, celui de conserver sa place de 'nourrisson psychique' au sein de la famille initiale".

Puisqu'on n'arrive pas à concevoir qu'une femme 'normale' puisse tuer son enfant, la société a toujours été assez tolérante à leur égard, note Jacques Dayan.

Lorsque la peine de mort était encore en vigueur en France, elle n'était pas prévue dans le Code pénal pour les mères infanticides.

Véronique Courjault a été condamnée à huit ans de prison et Céline Lesage à quinze années de réclusion.

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