mercredi 26 mai 2010





SOCIÉTÉ

le 21 mai 2010

La prison entre à l’hôpital

Un progrès pour les détenus malades ? Non, répondent les professionnels, qui qualifient de « bond en arrière » l’ouverture, à Lyon, de la première unité d’hospitalisation spécialement aménagée.
Lyon, envoyée spéciale.
Il y a quelques années, on pouvait encore trouver dans l’enceinte du Vinatier une cage où furent jadis enfermés certains patients récalcitrants. Vieux de près de cent cinquante ans, cet hôpital psychiatrique de la périphérie lyonnaise, un des plus grands de France, est en soi un résumé de l’histoire de la psychiatrie. Une histoire qui s’apprête à écrire un nouveau chapitre avec l’inauguration en grande pompe, aujourd’hui, de la première unité d’hospitalisation spécialement aménagée (UHSA) destinée à accueillir jusqu’à 60 détenus souffrants de troubles mentaux parmi les 9 000 personnes incarcérées dans les prisons environnantes.

l’UHSA ne fait pas l’unanimité

Au milieu de l’enceinte de 75 hectares aux allées boisées, ce cube de béton de six mètres de haut sans fenêtres détonne – à peine une petite loge vitrée laisse-t-elle apercevoir l’uniforme des personnels pénitentiaires affectés au lieu. « Dire qu’on s’est battus pour faire enlever les barreaux des fenêtres », se désole le délégué CGT Marc Auray, qui détaille comment, il y a peu de temps encore, un système de fossés permettait de construire des murs d’enceinte qui n’obstruaient pas l’horizon. « Depuis 1945, la psychiatrie a connu des progrès en France, ça n’a pas toujours été très vite, mais là, avec l’arrivée de la prison à l’hôpital, on fait un bond en arrière. »

Présentée comme un pas en avant sans précédent pour la prise en charge psychiatrique des détenus, la mise en place des UHSA (huit devraient voir le jour à la suite de celle de Lyon d’ici à 2012) ne fait pas l’unanimité. Élaboré sous une double tutelle des ministères de la Santé et de la Justice, ces établissements sont perçus comme un retour en arrière, alors que les professionnels ont plusieurs décennies durant multiplié les tentatives pour réconcilier la société avec ses fous, créant des passerelles et tentant de lever les tabous qui entouraient la psychiatrie.

Ils sont vus également comme une consécration de la présence de malades mentaux dans les prisons (jusqu’à 30 % des détenus souffriraient de troubles psychiatriques) régulièrement dénoncée par les syndicats et les associations. « L’existence des UHSA pourrait inciter experts psychiatres et juridictions à renoncer à constater l’irresponsabilité pénale des auteurs d’infraction s’ils estiment que la condamnation pénale sera le meilleur moyen d’assurer leur prise en charge médicale sécurisée », redoute ainsi un rapport du Sénat publié au début du mois.

la part des intérimaires ne fait qu’augmenter

« Meilleure prise en charge »… voire seule prise en charge possible  : en vingt ans, plus de 40 000 places en hôpital psychiatrique général ont été fermées. Au Vinatier, ce sont 120 lits qui ont été supprimés au cours des dix dernières années – il en reste un peu moins de 800 aujourd’hui. « Et si côté salariés, les effectifs restent à peu près constants, la part des intérimaires ne fait qu’augmenter, ce qui nuit bien sûr à la qualité de la relation avec les patients et des soins en général », note-t-on à la CGT, où l’on s’inquiète de ce que, pour survivre aux restrictions budgétaires, « la direction se sente obligée de se lancer dans tous les projets qu’elle peut ». Une unité pour malades difficiles devrait ainsi également bientôt voir le jour.

« Bien sûr, c’est difficile de tenir une position contre l’ouverture d’une structure qui offrira incontestablement de meilleurs soins aux quelques détenus qu’elle accueillera que ceux qu’ils auraient reçus en prison. Mais il faut replacer cette structure dans le contexte général de l’évolution des systèmes carcéral et psychiatrique », résume Céline Reimeringer, coordinatrice de l’Observatoire international des prisons pour la région Rhône-Alpes. Et de rappeler que, bien souvent, avec la rupture sociale, la perte de repères spatio-temporels, l’inactivité et la promiscuité, « c’est la prison qui rend fou » ou qui aggrave des pathologies préexistantes.

Anne Roy









Un quart des détenus souffrent de maladies psychiatriques


By Anouchka Collette


05/21/2010


Le premier hôpital-prison pour les détenus atteints de troubles psychiatriques graves est inauguré [1] vendredi par la ministre de la justice Michèle Alliot-Marie. Trompe l'œil ou réelle avancée ? Le Dr Louis Albrand, auteur d'un rapport sur le suicide en prison [2] et coordonnateur d'un collectif pour l'humanisation des prisons et des hôpitaux psychiatriques, répond aux questions de Rue89.


[2]Êtes-vous favorable à l'ouverture de l'Unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Lyon, premier hôpital-prison ?


C'est une initiative que je salue, qui va dans le bon sens. Mais il faudrait d'abord s'attaquer au problème de fond, spécifique à la France, le nombre hallucinant de malades en prison : 25% des détenus sont atteints d'une maladie psychotique grave (schizophrénie, paranoïa…), soit environ 15 000 personnes.


Si l'on inclut les personnes dépressives ou les troubles plus « légers », qui ne nécessitent pas d'hospitalisation, on atteint les 40%.
Or, cet établissement accueillera une soixantaine de personnes. Même si neuf centres similaires ouvrent, comme prévu d'ici 2012, cela reste très insuffisant.


Comment expliquer qu'un quart des détenus soient atteints de maladies psychiatriques ?


A cause des lacunes de la psychiatrie en France. Dans les vingt dernières années, 40 000 lits de psychiatrie ont été supprimés. A la fois pour des raisons financières et aussi parce que l'efficacité des neuroleptiques a beaucoup progressé, et l'on estime parfois que l'on peut soigner les malades chez eux.


Mais nous n'avons pas créé de structures intermédiaires, ce qu'on appelle la « psychiatrie de secteur », pour prendre le relais. Des centres de jours par exemple, où les détenus vont prendre leurs medocs le matin et discuter avec les soignants.

Résultat ?



De nombreux malades sont mal soignés, sans traitement, et donc potentiellement dangereux. Ils vivent souvent dans la rue, se droguent et/ou boivent… Et finissent par se retrouver en prison. Ensuite, c'est un cercle vicieux. Le climat pénitentiaire exacerbe et aggrave ces maladies, alors que les prisons manquent cruellement de psychiatres. S'ils sortent, ils vont y retourner.


Pour moi, ces déficiences de la prise en charge psychiatrique en France expliquent en grande partie les 40% de récidive, ou les suicides en prison.

Quel est le rôle de la justice dans cette « surreprésentation » de malades ?



Nous devons nous interroger : pourquoi les condamne-t-on ? Il faut soigner avant de punir, et ne pas céder à la pression des victimes qui réclament un procès et des sanctions.


Mettons sur la table la question de l'expertise médicale : lorsqu'on admet que la personne n'était pas responsable de ses actes, elle peut tout de même se retrouver en prison ! Encore une spécificité française.

Quelles sont vos solutions pour une meilleure prise en charge ?



Il faut, avant tout, développer en amont la psychiatrie de secteur. C'est le meilleur moyen de désengorger les prisons. L'Italie est un modèle en la matière. Un vaste mouvement de psychiatrie hors les murs s'y est développé dans les années 60.


En aval, la généralisation des UHSA serait une bonne chose, pour les détenus qui souffrent des pathologies les plus lourdes. Et pour tous les autres, redonnons à la psychiatrie pénitentiaire ses lettres de noblesse, en augmentant les postes de psychiatres, très largement insuffisants dans les prisons.


La calamiteuse ouverture du premier "hôpital-prison" [3]
"Les malades mentaux sont plus souvent victimes que criminels" [4]
"Des soins psychiatriques insuffisants" sur LeProgrès.fr [5]


URL source: http://www.rue89.com/2010/05/21/un-quart-des-detenus-souffrent-de-maladies-psychiatriques-152081
Liens:
[1]http://www.romandie.com/infos/news2/100519085247.vrmlsk21.asp
[2] http://www.louisalbrand.org/media/rapportAlbrand.pdf
[3]http://www.rue89.com/2010/04/27/la-calamiteuse-ouverture-du-premier-hopital-prison-149093?page=0#comment-1468070
[4]http://www.rue89.com/marseille/2009/01/01/les-malades-mentaux-sont-plus-souvent-victimes-que-criminels?page=4
[5]http://www.leprogres.fr/fr/france-monde/article/3177277/Des-soins-psychiatriques-insuffisants.

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