mercredi 19 mai 2010







Société

18/05/2010

La télé borderline sur la folie
Critique

Débat. France 2 diffuse ce soir un numéro des «Infiltrés» qui révèle des dysfonctionnements au sein d’un service de psychiatrie. Avis de professionnels.
Par ERIC FAVEREAU

C’était vendredi soir, lors de la réunion mensuelle du collectif de la Nuit sécuritaire, un groupe de 39 «psys» qui s’est constitué en réaction au discours très sécuritaire de Nicolas Sarkozy en décembre 2008 à l’hôpital psychiatrique d’Antony (Hauts-de-Seine). L’idée était de regarder le documentaire de l’émission les Infiltrés, diffusée ce soir sur France 2, dans laquelle un journaliste, se faisant passer pour un aide-soignant, était resté un mois dans un service de psychiatrie de l’hôpital d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Et selon le concept contesté de l’émission, il avait filmé en caméra cachée.

Hervé Bokobza, porte-parole du groupe des 39, s’était montré réticent : «Je crains le pire. Pujadas m’avait invité pour débattre après la diffusion de leur documentaire mais je n’ai pas voulu y aller. Une caméra cachée dans un service de grands fous, cela me déplaît. Dans n’importe quel service, on peut montrer des images terribles.»

Ce soir-là, ils étaient donc réunis. Et ils ont regardé. D’abord, un rien goguenards, ensuite effondrés. «J’ai envie de pleurer, et surtout de tout casser, lâche Michel Guyader, chef de service de psychiatrie à l’hôpital d’Etampes (Essonne). C’est une honte. Cela me rappelle douloureusement la malfaisance qui prévaut dans bon nombre de services.» Hervé Bokobza, brutal : «On ne veut pas de cette psychiatrie-là.» Mathieu Bellahsen, jeune interne en psychiatrie : «Quand on voit ces images, c’est comme un coup de poignard. Et ce qui me terrifie, c’est que j’ai vécu ça, il n’y a pas longtemps, avec des malades à l’abandon…» A l’abandon, c’est bien le mot. Et le juste titre de l’émission de ce soir : Hôpital psychiatrique : les abandonnés.

Cafétéria. Ce reportage est terrible, car anodin. Il ne s’y passe rien. Voilà des malades, la plupart enfermés dans leurs chambres, au gré des humeurs des aides-soignantes ou des infirmières. Ce n’est pas bien méchant, c’est juste terrifiant. «Tu restes là, où je t’attache», lâche une aide-soignante. Les médecins psychiatres sont peu présents. Bien sûr, on va dire que c’est la faute au manque de personnel. Mais tout le monde s’y habitue. Charlotte, une patiente, restera enfermée pendant quinze jours, comme ça, sans raison. Elle s’arrache les ongles, mais personne ne s’en occupera. C’est ainsi. Un malade passera un mois à réclamer d’aller à la cafétéria, distante de 30 mètres. Mais il n’ira jamais. Faute d’avoir été examinée, une malade qui se plaignait de douleurs au ventre se retrouvera peu après trente jours en réanimation pour une septicémie non diagnostiquée. «C’est terrible comme on travaille mal», murmure un élève-infirmier.

De fait, ce docu n’est pas le premier du genre. Depuis quelques semaines se multiplient les enquêtes sur l’effondrement de la psychiatrie publique en France. Il y a eu le travail très politique d’Un monde sans fous ? de Philippe Borrel, diffusé sur France 5 ; puis, la semaine dernière, sur Arte, celui d’Ilan Klipper qui s’est immergé pendant plusieurs mois à l’hôpital Sainte-Anne à Paris. Et maintenant, donc, les Infiltrés. Comme si d’un coup un couvercle de silence sautait.

Cause. Bien sûr, ce tir groupé peut paraître injuste, car il y a des lieux où la folie est reçue comme une forme d’humanité. «Il n’empêche, il faut voir ces films», reconnaît Hervé Bokobza. Le Dr Alain Mercuel, psychiatre à Saint-Anne, effondré lui aussi : «On nous montre surtout des services fermés qui ne concernent que 15 % des patients. Pour autant, ce qui me fait mal, c’est la pauvreté du niveau relationnel entre les soignants et les patients. Quand on entend un infirmier intimer l’ordre à un malade de baisser d’un ton, c’est comme s’il demandait à un fiévreux de baisser sa température.» Tous le disent et le répètent, la crise budgétaire est la principale cause de ce délaissement : comment, en effet, faire vivre un service de 28 patients, avec deux aides-soignants, la nuit, comme à l’hôpital d’Aulnay ? A l’hôpital Saint-Anne, pourtant, les moyens en personnel ne manquent pas. C’est plutôt un manque criant d’hospitalité qui ressort… Là comme ailleurs.











L'hôpital d'Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) porte plainte contre un reportage mettant en cause un de ses services de psychiatrie

L'hôpital Robert Ballanger d'Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) a porté plainte contre France Télévisions et Capa pour un reportage filmé en caméra cachée mettant en cause le fonctionnement d'un service de psychiatrie de l'établissement, a-t-on appris auprès de son directeur.

Le reportage de 50 minutes, suivi d'un débat d'une heure, sera diffusé mardi soir sur France 2 dans le cadre de l'émission "Les infiltrés", présentée par David Pujadas, sous le titre "Hôpital psychiatrique : les abandonnés". L'émission, qu'APM a pu visionner, a été enregistrée le 24 avril.

Un conseil d'administration extraordinaire a lieu lundi matin et le directeur, Jean-Michel Toulouse, tient une conférence de presse lundi en début d'après-midi pour "rétablir l'exactitude des faits".

Le reportage a été réalisé en novembre 2009, en partie en caméra cachée, par un journaliste se faisant passer pour un étudiant aide soignant et qui a obtenu un stage de trois semaines dans le service de psychiatrie C de l'hôpital. Une autre partie du reportage est réalisée par une autre équipe de journalistes de Capa, qui avait obtenu l'autorisation de filmer par la direction de l'établissement et s'est entretenu avec le directeur et deux chefs de service.

Le reportage met en cause le service de psychiatrie C pour des "pratiques de contention abusive" et de mises en isolement abusives, effectuées sans avis médical, de "surcharge médicamenteuse" et critique l'absence d'activités thérapeutiques pour les patients, qui "s'ennuient".

A plusieurs reprises, le manque de personnel dans le service est la raison avancée pour expliquer des manques: impossibilité d'accompagner un patient à la cafétéria, chez le coiffeur, consultation médicale de "quatre minutes", absence d'écoute des demandes des patients, médicaments distribués sans sécurité par un élève infirmier non habilité.

Le cas d'une patiente hospitalisée, atteinte d'une péritonite, qui est transférée aux urgences une nuit, est évoqué pour dénoncer un manque d'attention aux problèmes somatiques des patients car elle se plaignait de mal au ventre depuis plusieurs jours.

La partie du reportage en caméra visible place le chef du service concerné, le Dr Fabrice Pécot, et les personnels infirmiers en contradiction par rapport aux pratiques filmées sur la contention, l'isolement, les activités thérapeutiques et le suivi médical des patients.

Le journaliste estime que l'équipe médicale est "dépassée" et évoque "un système délirant", mêlant médicaments et recherche de "productivité". "A peine stabilisés, les patients sortent puis cessent pour la plupart de prendre leur traitement. C'est la rechute, le retour à l'hôpital. Et là, la machine se remet en route avec de nouveaux traitements, encore plus radicaux", conclut le journaliste en voix off.

Le reportage évoque aussi un meurtre commis par un patient sur une patiente, intervenu en février 2008, dans un autre service de psychiatrie de l'hôpital, pour conclure que les responsables du service n'avaient pas pris de précaution suffisante compte tenu de l'état du patient.

"Réquisitoire à charge"

Interrogé par APM, Jean-Michel Toulouse estime que les journalistes ont mené "un réquisitoire à charge" contre le service, qui, à l'époque du tournage, était "en reconstruction" après le changement du chef de service en octobre 2008, intervenu à l'initiative de la direction.

Le directeur s'élève contre les conditions dans lesquelles il a pris connaissance du film, qui ne lui ont pas permis de rétablir la vérité lors du débat.

"J'ai découvert lors de l'enregistrement, sur le plateau, que le film avait été tourné en caméra cachée dans un service. Or, j'avais été contacté par le journaliste qui était venu filmer sur l'affaire du meurtre pour un débat général sur la psychiatrie, les patients en sortie d'essai et le projet de loi sur les hospitalisations sous contrainte. Je n'étais au courant de rien. Mais j'ai répondu à chaud aux questions", a-t-il déclaré à APM.

Ont notamment participé au débat le Dr Daniel Zagury (Etablissement public de santé mentale de Ville-Evrard, Seine-Saint-Denis), la présidente de la Fédération nationale des associations d'usagers en psychiatrie (Fnapsy), Claude Finkelstein, le Dr Jean-Luc Senninger, chef de l'unité pour malades difficiles (UMD) du CHS de Sarreguemines (Moselle), le député UMP Bernard Debré (Paris) et Marcel Rodriguez, le gardien d'une résidence de Roquebrune-Cap-Martin (Alpes-Maritimes) grièvement blessé par un homme qui a tué un autre résident en janvier.

Le débat aborde l'état général des services de psychiatrie, les mesures à prendre pour éviter que des patients en crise commettent des actes criminels et la création de nouvelles UMD.

Tentative d'obtenir un droit de réponse

Après l'enregistrement, Jean-Michel Toulouse a intenté une action judiciaire en référé pour obtenir une copie du reportage, des modifications de séquences et un droit de réponse le jour de diffusion de l'émission.

L'hôpital a été débouté le 6 mai notamment au nom de la liberté d'expression, du fait de l'absence de "dommages irréversibles" et parce que la direction a eu l'occasion de se défendre lors du débat, a indiqué Jean-Michel Toulouse.

Estimant les arguments infondés, Jean-Michel Toulouse a décidé de porter plainte. "Le film porte atteinte à la réputation du service et de l'établissement", estime-t-il.

Le Dr Pécot, qui n'a pas vu le film, indique que le personnel est "dans l'attente du film et de ses conséquences", a-t-il déclaré à l'APM.

Jean-Michel Toulouse a relevé une dizaine de séquences donnant des impressions erronées. Sur les contentions, le directeur indique que le patient incriminé est visé par une fiche de sécurité qui autorise sa contention en urgence en cas d'état agressif.

Il souligne d'ailleurs que le film focalise l'attention sur trois patients, dont deux sont des cas difficiles de psychose infantile hospitalisés l'un depuis 36 ans, l'autre depuis 22 ans. Ces patients "ne reflètent en aucun cas l'ensemble de l'activité du service qui accueille 27 patients".

Sur le cas de la patiente hospitalisée en urgence, le Dr Pécot estime qu'il n'y a eu aucun retard dans la prise en charge, et soutient que la patiente a été vue par un médecin à quatre reprises dans la journée, avant son transfert au service d'accueil des urgences (SAU) en raison de l'aggravation de son état. Ce transfert a permis d'identifier la pathologie et de la prendre en charge.

Le suivi somatique des patients a été fortement amélioré par la nomination, en janvier, à la demande du Dr Pécot, d'un médecin somaticien à temps plein pour les trois services adultes de psychiatrie, ajoute-t-il.

Le directeur dément le commentaire en voix off sur une absence de prise en charge somatique d'une patiente qui s'est automutilée. De même, la consultation de quatre minutes était un entretien pour "un réajustement thérapeutique" et pas une consultation.

Jean-Michel Toulouse souligne que les journalistes ont filmé un service en cours de réorganisation, qui a "beaucoup évolué entre novembre 2009 et mai 2010". Il indique que huit activités sont désormais organisées et que les patients du service vont régulièrement à l'hôpital de jour voisin.
Le Dr Pécot souligne de son côté que le service était sans direction médicale depuis plusieurs mois quand il a pris la chefferie et qu'il a renouvelé et renforcé l'équipe médicale, l'équipe infirmière, les psychologues et les assistantes sociales.

La distribution des médicaments est particulièrement sécurisée dans l'établissement avec une armoire à pharmacie avec ouverture sur empreintes biométriques des infirmières, indique par ailleurs le directeur. La distribution par un élève infirmier de troisième année est autorisée.

Jean-Michel Toulouse souligne par ailleurs que les services de psychiatrie de l'établissement a reçu début avril la visite d'une équipe du contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) et que le rapport qu'il reçu ne relève "aucun dysfonctionnement grave". La seule demande de changement porte sur l'emplacement d'un téléphone destiné aux patients qui ne garantit pas la confidentialité des conversations.



L'hôpital d'Aulnay-sous-Bois porte plainte contre "les Infiltrés"
(AFP)

BOBIGNY — Le centre hospitalier Robert Ballanger à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) a annoncé mardi avoir déposé plainte contre France Télévisions et Capa, qui produit l'émission "Les infiltrés", dont un numéro tourné dans cet hôpital sera diffusé mardi soir sur France 2.

L'émission intitulée "Hôpital psychiatrique: les abandonnés", a été tournée dans le secteur psychiatrie du centre hospitalier Robert Ballanger en septembre pendant trois semaines en caméra cachée par un journaliste infiltré, qui s'est fait passer pour un stagiaire.

Une plainte a été déposée à Paris le 11 mai pour captation d'images, enregistrements de conversations téléphoniques irréguliers et atteinte au secret médical, a dit à l'AFP Me Jean-Louis Peru, avocat de l'hôpital. Elle vise le journaliste "infiltré", la société Capa et France Télévisions.

"Le droit à l'information dont se prévalent les sociétés France Télévision et Capa ne peuvent justifier de telles atteintes au respect dû aux patients", selon un communiqué du centre hospitalier, qui estime que l'émission "porte atteinte à l'image du service public hospitalier".

"Qui se souciera après la diffusion, des conséquences que présentera cette émission sur les malades et leur famille?", interroge le communiqué.

L'émission "présente les choses de manière sensationnelle, qui ne correspond pas à la réalité dans le service", selon Me Peru.

Le directeur de l'hôpital, Jean-Michel Toulouse, a découvert l'émission alors qu'il était invité sur le plateau de télévision, lors de l'enregistrement de l'émission, a encore déploré l'avocat.
Copyright © 2010 AFP. Tous droits réservés.
 

PLAINTE CONTRE L'ÉMISSION LES INFILTRÉS (AFP)
Par Gilles Klein
le 19/05/2010
http://www.arretsurimages.net/vite.php?id=8105

Le centre hospitalier Robert-Ballanger
d'Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) a porté plainte contre l'émission Les Infiltrés, tournée en caméra cachée dans ses locaux et diffusée mardi soir sur France 2 annonce l'AFP.


"Derrière les discours officiels et rassurants, la réalité est toute autre: personnel surchargé, défaut de formation, contentions abusives, surcharges médicamenteuses…les journalistes de l’agence CAPA ont filmé la face cachée d’un système de soin délirant." indique la présentation de l'émission sur le site de France 2.

Le reportage de l''émission intitulée "Hôpital psychiatrique: les abandonnés" a été tourné dans le secteur psychiatrique du centre hospitalier Robert-Ballanger en caméra cachée par un journaliste infiltré, qui s'est fait passer pour un stagiaire. Une plainte a été déposée à Paris le 11 mai pour captation d'images, enregistrements de conversations téléphoniques irréguliers et atteinte au secret médical, selon Me Jean-Louis Peru, avocat de l'hôpital. Elle vise le journaliste «infiltré», la société Capa et France Télévisions précise l'AFP.

Le directeur de l'hôpital était présent en plateau après la diffusion du reportage, et l'aurait découvert à cette occasion, selon l'AFP.

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