samedi 29 mai 2010



Corruption hospitalière
L’hôpital : la vie rêvée des firmes
Un témoignage rare et accablant





samedi 15 mai 2010
par Philippe FOUCRAS

Il s’agit d’un document rare que le témoignage de ce médecin hospitalier sur la réalité de la présence des firmes pharmaceutiques à l’hôpital.

Document rare mais rapportant des pratiques pourtant banales, diffuses, universelles. La plupart des médecins ou étudiants hospitaliers qui liront ce témoignage n’y verront que la vie ordinaire de leur propre service et certains s’étonneront sans doute que cela fasse scandale.

L’hôpital est le lieu de toutes les influences, bien au delà de celles que subissent par exemple les médecins généralistes en ville. C’est à l’hôpital en effet que tout commence, que les prescriptions s’initient, que nombre de médecins généralistes recopieront par soumission et facilité, sans même imaginer les discuter, avec l’approbation implicite des patients : on ne modifie pas ainsi l’ordonnance d’un "Professeur" !

Les firmes le savent bien et offrent ainsi gratuitement ou presque, tel l’Inexium° cité dans ce témoignage, les médicaments aux pharmacies des hôpitaux pour que les médecins des services initient ces prescriptions, reconduites alors indéfiniment en ville.

C’est à l’hôpital que tout se passe. C’est aussi à l’hôpital que la loi du silence sur ces pratiques, peut-on parler d’autre chose que de corruption ? est la plus épaisse. Loi du silence entretenue par honte ou peur pour certains, par facilité ou ignorance de la nocivité de ces pratiques pour d’autres, par arrogance professionnelle pour beaucoup persuadés que leur blouse blanche et leur "éthique" les protègent des influences.

"Je ne vois pas où est le problème" expliquait un des leaders d’opinion de la grippe interrogé sur ses liens avec les industries et les commerçants du médicament. Prescriptions inappropriés et effets indésirables parfois graves, voire mortels, surcoûts pour des soins solidaires, délitement de l’honneur d’être soignant, trahison de la confiance de la société envers ses professionnels de santé, etc. Où est le problème en effet ?

Merci à ce médecin hospitalier d’avoir le courage de témoigner. Nous l’avons laissé anonyme pour des raisons de sécurité hélas évidentes. En France, au 21ème siècle, défendre l’éthique médicale, la vraie, requiert l’anonymat. Eh oui !... On en est là.

Relations entre l’industrie pharmaceutique et les praticiens hospitaliers dans un service de médecine interne, gastroentérologie et hépatologie d’un hôpital non universitaire. Présents dans le service : deux assistants qui font office d’internes (visites quotidiennes, ordonnances de sortie, courrier au médecin traitant du patient), quatre praticiens hospitaliers temps plein et un praticien temps partiel.

Les visiteurs médicaux sont omniprésents : présence chaque jour d’au moins un visiteur médical, parfois tôt dans la matinée. Certains jours sont présents jusqu’à 5 délégués médicaux des laboratoires pharmaceutiques. Ces visites médicales s’effectuent sans rendez-vous : le visiteur médicale se présente dans le service et demande à voir chaque médecin, le plus souvent séparément, et ce à n’importe quelle heure, à n’importe quel endroit dans le service, n’hésitant pas à pénétrer dans des lieux confidentiels pour le patient. Il est fréquent de voir dans le couloir du service au milieu des patients et du personnel hospitalier, un visiteur médical qui attend patiemment d’appréhender un médecin, mais aussi dans le service d’endoscopie, de consultations. Le visiteur médical fait partie intégrante du service au même titre que le patient.

Des petits déjeuners, en petit ou large comité, sont souvent organisés par le visiteur médical, cela lui permet de voir tous les médecins du service en un même lieu et au même moment.

Les médecins du service font très régulièrement appel au visiteur médical pour organiser un repas buffet après une réunion de service, pour une réunion de départ d’un membre du service (médecin, assistante, secrétaire, infirmière) ou pour une réunion à caractère convivial (galette des rois offerte par le chef de service une fois par an).

Les assistants du service sont particulièrement visités car ils font les ordonnances de sortie. Par exemple : dans l’hôpital un appel d’offre auprès de la pharmacie est fait régulièrement pour obtenir le marché de l’hôpital pour les IPP [1]. Actuellement l’IPP choisi est INEXIUM° 40 mg, 20 mg et solution injectable. Si au cours d’une hospitalisation un traitement par IPP est instauré ( à juste titre ou pas ) ce sera obligatoirement INEXIUM°. Sur l’ordonnance de sortie il sera logiquement inscrit comme IPP INEXIUM° ! Le visiteur médical le plus présent dans le service est le représentant du laboratoire ASTRAZENECA [2]. Ses visites très fréquentes auprès des assistants, lui permettent de s’assurer de la prescription d’INEXIUM° sur l’ordonnance de sortie et sur le compte-rendu de sortie envoyé au médecin traitant [3].

Parallèlement les assistants sont chaque année inscrits par le laboratoire à quelques réunions médicales ou congrès organisés par l’industrie pharmaceutique ou dont la logistique est assurée par l’industrie pharmaceutique (repas, hébergement, location de salle).

Certains praticiens hospitaliers sont invités chaque années à 4 ou 5 congrès, en France, en Europe, aux États-Unis… Ces invitations comprennent le voyage, l’inscription au congrès, l’hébergement et les repas. Ces congrès peuvent durer une semaine.

Des protocoles sont proposés aux praticiens hospitaliers. Le principe est souvent le même : inclure des patients dans une étude qui étudie un paramètre quelconque (effets secondaires, observance par exemple) d’un médicament. Ces études sont rémunérées. Elles sont souvent d’une faible valeur méthodologique mais permettent la prescription d’un médicalement cible au long cours.

Des EPU [4] organisés par un médecin du service pour des médecins généralistes sont faits avec le soutien d’un laboratoire : invitation des médecins, réservation d’une salle et location de la salle, repas des participants, prêt de diaporamas élaboré par le laboratoire.
Docteur S. , 13 mai 2010

[1] ndlr : IPP : médicament "inhibiteur de la pompe à proton" classe thérapeutique utilisée essentiellement pour le traitement des ulcères et du reflux gastro-oesophagien, dans la prévention des saignements gastriques en cas d’utilisation d’anti-inflammatoires chez les sujets à risque. L’Inexium° (ésoméprazole) est un IPP comme les autres, mis sur le marché par AstraZénéca pour maintenir avec succès ses profits suite à la fin de son brevet de l’oméprazole. Il n’apporte rien de nouveau, et est plus cher en ville que les génériques de l’oméprazole, IPP de référence.

[2] ndlr : firme pharmaceutique qui commercialise l’Inexium.

[3] ndlr : A l’hôpital les prix des médicaments sont libres et sont négociés de gré à gré avec les pharmacies hospitalières. Les firmes peuvent ainsi quasiment offrir une "nouveauté" à l’hôpital après en avoir "convaincu" les médecins hospitaliers de la façon dont il est rapporté dans ce témoignage (repas, congrès et études bidons), et ainsi s’ouvrir le marché. Ça a été le cas en 2000 avec le Vioxx°, vendu à l’époque 1 centime le comprimé à l’hôpital et 10,00 francs en ville (un rapport de 1 pour 1000 !) puis retiré du marché en 2004 après avoir tué plusieurs dizaines de milliers de patients aux USA. C’est actuellement le cas de l’Inexium° et de certaines statines (comme le Tahor° par exemple) utilisés dans le traitement d’hypercholestérolémies.

[4] ndlr : enseignements post-universitaires

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire