mardi 27 avril 2010







Mort de Brahim - La faillite du système psychiatrique
Samy Mouhoubi     
27/04/10

Praticiens et magistrats dénoncent un cruel manque de moyens et d’effectifs dans les structures existantes.


C’est une pomme de discorde qui revient à intervalles réguliers, opposant pêle-mêle les responsables politiques, le monde judiciaire et l’univers médical. Le meurtre apparemment « gratuit » survenu ce week-end à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine) relance une nouvelle fois le casse-tête de la prise en charge des individus présentant des troubles mentaux – qu’ils soient encore en milieu carcéral ou qu’ils fassent l’objet d’un suivi thérapeutique une fois libérés.

Selon plusieurs acteurs de cette chaîne médico-légale, la problématique psychiatrique en prison et hors les murs sitôt une libération acquise demeure un « véritable désert ». « En pratique, les hôpitaux n’ont pas toujours les moyens qu’il faudrait pour soigner les détenus et ceux qui sortent », affirme d’un euphémisme choisi Philippe Carrière, ex-médecin psychiatre à Châteauroux (Indre) et à Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor). Un état des lieux où règne l’indigence, souligne Virginie Valton, secrétaire nationale à l’Union syndicale des magistrats (USM). « Il y a un manque criant de praticiens en milieu carcéral en France. Et comme de plus en plus de personnes présentent de tels troubles, parfois aggravés par des problèmes de dépendance à l’alcool ou aux stupéfiants, on a une réelle carence de psychiatres capables de traiter des détenus ou des personnes qui ne sont pas encore concernées par des décisions de justice. »

En contacts fréquents avec les experts judiciaires, elle fustige un manque de concordance entre les moyens légaux à disposition et la réalité, tout autre. Il existe bien, en théorie, des services spécialisés censés permettre le traitement de détenus purgeant leur peine ou ceux tout juste élargis, tels les unités hospitalières sécurisée interrégionales (UHSI), créées en 2000, les services médicaux psychologiques régionaux (SMPR), fondés en 1986, et les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), émanant d’une loi de 2002.

« Que sur le papier… »

Or chacune de ces structures ne peut absorber la demande. Les SMPR, en principe à même de traiter des cas particuliers, ont trop peu de lits pour prendre en charge davantage de patients. Tandis que les UHSA, censées soigner des pathologies spécifiques, comme la pédophilie, viennent tout juste de voir le jour, huit ans pourtant après avoir été créées par la loi…

Ces unités ont en outre bien du mal à recruter des psychiatres exerçant, souvent, à coups de vacations espacées, pas forcément bien rétribuées, au détriment du suivi des prisonniers, voire des détenus libérés. « Peu de médecins veulent aujourd’hui travailler avec la justice. Ils estiment ne pas être rémunérés en conséquence », explique Catherine Vandier, vice-présidente de l’USM. « Ce n’est pas une absence de considération pour le suivi des détenus ou de ceux qui sortent, mais un vrai problème d’effectifs », déplore-t-elle.

Les deux magistrates pointent également un manque de personnel chargé, entre autres, d’épauler les juges d’application des peines (JAP). « Pour que nous puissions contrôler correctement les suivis psychiatriques, il faudrait que nous puissions étoffer les services de contrôle de probation », observe Mme Vandier.

Autre constat dont font état les magistrats : de moins en moins de personnes sont déclarées pénalement irresponsables car, selon certains psychiatres, il faut que ces dernières soient « confrontées à la loi ». Comme le remarque Matthieu Bonduelle, le secrétaire général du Syndicat de la magistrature (SM), « c’est pour certains d’entre eux une manière de thérapie ». « Or, attention à ne pas faire la confusion entre ce qui relève de la justice et ce qui incombe à la médecine. »

La création, par une loi de 1998, de médecins coordonnateurs assurant l’interface entre les juges et les praticiens chargés du suivi des ex-détenus, ce afin de contourner le sacro-saint secret médical, est en outre loin d’avoir fait ses preuves. En juillet 2009, 40 tribunaux (sur 175) en étaient encore dépourvus. « On crée des outils magnifiques, mais ce sont de magnifiques vitrines dont nous n’avons pas la clé ! » dénonce Virginie Valton, peu optimiste quant à une prochaine amélioration de la psychiatrie pendant et après la détention. « On a beau avoir des services spécialisés, tout ça n’existe, hélas, que sur le papier… »









PSYCHIATRIE : NON À LA CRIMINALISATION DES MALADES !


lundi 26 avril 2010


Claude Louzoun, Jean-Pierre Martin (psychiatres USP1) et Jean Vigne (infirmier Sud Santé sociaux) sont membres du collectif Non à la politique de la peur. Ils analysent le projet de loi sur l’hospitalisation psychiatrique.

Une nouvelle loi est en préparation sur l’hospitalisation psychiatrique ; dans quel contexte intervient-elle ?
Depuis le discours du 2 décembre 2008 du président de la République sur la psychiatrie, le gouvernement avance vers une réforme à visée sécuritaire du soin psychiatrique. Un projet de loi modifiant sur le fond la loi du 27 juin 1990 est en voie de validation. Ce texte complète un processus sécuritaire déjà très avancé.
Mais c’est aussi une « psychiatrie industrielle » qui se dessine, concevant le patient comme un objet de soins « rentables » dans le cadre du plan Hôpital 2007 et de la loi Bachelot.

Pouvez-vous en préciser les principales dispositions ?
Ce texte introduit surtout deux nouveautés : le traitement obligatoire dans la communauté et la possibilité de rétention pour évaluation de 72 heures dans le cadre hospitalier. Il réorganise le soin psychique autour du « soin sans consentement », avec un pouvoir accru du préfet et du directeur d’hôpital. Il confirme le passage des psychiatres sous les fourches caudines des préfets chargés de s’assurer de la compatibilité de la levée des mesures d’internement avec les impératifs d’ordre et de sécurité publics. Le directeur d’hôpital, de son côté, devient omniscient puisqu’en charge de décider des suites à donner en cas de non-observance du soin sans consentement ambulatoire.
Ce projet de loi introduit également des modifications diverses pour les hospitalisations d’office et sur demande d’un tiers2 et prévoit un régime spécial pour les personnes en cas d’antécédent d’internement en Unités pour malades difficiles3, ou déclarées pénalement irresponsables à la suite d’actes graves.

Quelle analyse faites-vous de ces mesures ?
Les « soins sans consentement », notamment ceux hors de l’hôpital psychiatrique, font du domicile et des espaces d’hébergement associatifs des lieux de contrôle et de contrainte au nom du soin, et nous placent au cœur d’une société de surveillance et d’une « psychiatrie criminelle » voulue par le chef de l’État. Ajoutons que « soins sans consentement » est une formulation qui consacre une fusion automatique et pourtant discutée et discutable entre traitement et détention ou limitation de liberté.
Il s’inscrit dans la lignée d’une remise en cause d’une psychiatrie portée par l’exigence de la qualité de malade et de sujet de droit du patient psychiatrique dans le cadre de la politique de secteur4. Nous dénonçons l’exploitation politique à des fins sécuritaires de la souffrance des malades et de ceux qui en sont parfois aussi les victimes. Nous dénonçons le manque de moyens et la perte de culture de ce soin spécifique, à travers les réformes et autres restrictions budgétaires de ces dernières années, avec pour conséquence la disparition de la politique publique de secteur psychiatrique et l’abandon de nombreux patients à leurs seules ressources ou à celles de leur entourage.

Face au tout sécuritaire, quelle alternative pour la psychiatrie ?
Les mesures de contrainte sanitaire à la personne ne peuvent être fondées sur la dangerosité sociale – pierre angulaire des lois liberticides dites de « tolérance zéro » criminalisant les « fous », les SDF, les jeunes (surtout de banlieue), etc. – mais sur l’état de nécessité clinique.
Toute loi dont le propos relève d’une contrainte, même de soins, doit être une loi de protection de la personne et non une loi de police donnant lieu à une mesure de sûreté sous la houlette du préfet. Le recours à toute privation de liberté nécessite la supervision et l’aval de la justice en matière de protection des citoyens. La législation psychiatrique ne doit plus être une législation d’exception. En aucun cas, la décision, l’application et la gestion d’une telle disposition ne peuvent relever du préfet.

La mobilisation est difficile sur ces questions, comment se dessine-t-elle ?
Face à ce retour d’un « grand renfermement », notre lutte est un enjeu politique de défense des libertés et des services publics dans la perspective d’un mouvement pour une psychiatrie démocratique.

1. Union syndicale de la psychiatrie.
2. Hospitalisations faites sans le consentement du patient (13 % des hospitalisations) contrairement aux hospitalisations libres.
3. Unités d’enfermement renforcé, ultra sécurisées (il en existe aujourd’hui cinq en France et bientôt neuf).
4. Cette politique vise à soigner la personne sans la couper de son environnement. L’hôpital n’étant plus qu’un recours le plus bref possible, dans les moments de crise.

Propos recueillis par Jean-Claude Delavigne




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PUBLIÉ LE 27/04/2010 | A.B.

Patrick Estrade, infirmier psy : « Assez de dérive sécuritaire »interview express


La coordination régionale CGT santé et action sociale organise aujourd'hui en partenariat avec les Cemea (formation en éducation, santé) et Erasme (formation continue) les premières rencontres de psychiatrie en Midi-Pyrénées à l'hôpital Marchant.


Questions à Patrick Estrade, infirmier au centre psychothérapique Philippe Pinel à Lavaur.

Vous faites le lien entre gestion hospitalière et déviance sécuritaire. Pouvez-vous préciser ?

Tous les hôpitaux sont déficitaires, et soumis à des pressions constantes pour réaliser des économies. L'hôpital psychiatrique n'échappe pas au phénomène et comme ailleurs, les coupes sombres se font sur le budget personnel. Mais nous ne sommes pas une entreprise marchande. Nous sommes des soignants qui ont de moins en moins de moyens pour prendre en charge le patient.

Concrètement, cela se traduit comment ?

On nous demande de plus en plus de devenir des gardiens alors que nous sommes des soignants. Mais chaque fois qu'il se produit un passage à l'acte dramatique, le discours sécuritaire se durcit. Il y a quelques mois, on a même parlé au plus haut niveau de l'État de bracelets électroniques. Une unité très encadrée va d'ailleurs ouvrir à Albi, et pour ça, il y a de l'argent. Reste que notre métier repose sur la prise en charge relationnelle. Mais on la sacrifie.

Vous attendez beaucoup de monde aujourd'hui.
Trois cents personnes environ ; des infirmiers, des psychologues, des psychiatres, des éducateurs. Le besoin de réfléchir ensemble, à nos pratiques est manifeste.

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