dimanche 18 avril 2010





IDÉES - TRIBUNE LIBRE - HISTOIRE
Article paru
le 16 avril 2010
Non à l’amalgame sécuritaire : schizophrénie égale danger !
 
PAR SERGE KLOPP, CADRE DE SANTÉ, CHARGÉ DE LA PSYCHIATRIE AU PCF, ANIMATEUR DU COLLECTIF DES 39 « CONTRE LA NUIT SÉCURITAIRE ».

Comment, au travers des malades mentaux, sont remis en question les fondements du Droit ?

Le drame terrible de cette personne poussée sous une rame du RER vient relancer une campagne médiatique sur la « pseudo-dangerosité » des schizophrènes. Une nouvelle fois sont montrées du doigt les équipes de psychiatrie « laxistes et irresponsables » qui laisseraient sans « surveillance » une foule de malades dangereux. Est-ce un hasard si cette campagne arrive au moment où le gouvernement vient de publier son projet de loi « relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques »  ? Projet de loi fondamentalement sécuritaire qui, contrairement à son énoncé, ne vise ni à protéger ces personnes ni à garantir leurs droits. Première remarque, sur la manière dont le gouvernement pose le débat  : il ne s’agit ni d’un débat juridique ni d’un débat scientifique, mais uniquement d’un débat idéologique qui s’appuie sur la méconnaissance de la réalité du problème et la peur de nos concitoyens. Peur et méconnaissance savamment amplifiées par des campagnes de presse visant à monter en épingle des faits dramatiques, mais isolés pour en faire des généralités.

En effet, l’action du chef de l’État s’appuie sur les présupposés idéologiques suivants : les schizophrènes seraient pour la plupart des criminels potentiels ; nous serions entourés de fous dangereux que la psychiatrie laisse en liberté ; on pourrait prédire scientifiquement quel malade est potentiellement dangereux et qui ne le serait pas. D’où les solutions suivantes  : internement de tout malade « susceptible » d’être dangereux – et non dont l’état présente un danger pour lui-même ou pour autrui  ; dans les services de psychiatrie, multiplication des chambres d’isolement et des UMD (unités pour malades difficiles) ; généralisation des bracelets électroniques ; obligation de soins ambulatoires.

Nous nous devons de porter le débat dans la société sur la folie qui sous-tend ce discours idéologique et qui vise, au travers des malades mentaux, à remettre en question tous les fondements du droit. Bien sûr que je considère que tous les citoyens ont droit à la sécurité et il ne s’agit pas de banaliser certains faits. Mais on ne doit pas non plus remettre en question les libertés fondamentales du plus grand nombre au prétexte que quelques individus peuvent être dangereux. Il faut savoir que, contrairement à ce que l’on pense, ou que l’on voudrait nous faire croire, les malades mentaux ne sont pas plus dangereux que le reste de la population, mais au contraire, ils sont plus exposés que le reste de la population.

Sur environ 50 000 crimes et délits, seuls environ 200 ont justifié une mesure d’irresponsabilité, soit 0,4 %, alors que les personnes souffrant de schizophrénie représentent un peu plus de 1 % de la population. Les violences conjugales auraient causé la mort de 161 personnes, alors que seules 5 personnes auraient perpétré un meurtre en raison d’un trouble mental. Les médias ont, chaque fois, relayé ces 5 drames durant plusieurs jours, donnant l’impression qu’il s’agit d’un risque majeur et que nous serions tous menacés au quotidien. Si les drames conjugaux étaient traités de la même manière, ce serait chaque semaine quatre nouveaux drames qui seraient relayés. Soit presque autant que le nombre annuel de drames causés par ces patients  ! Il est sûr que ce serait moins vendable, mais cela poserait pourtant là un vrai problème de société  ! Par contre, les malades mentaux, toutes pathologies confondues, sont 11 fois plus souvent victimes de crimes et 140 fois plus souvent victimes de vols  !

Cela montre bien que ces personnes devraient non seulement pouvoir continuer à bénéficier de soins dans le cadre du dispositif de psychiatrie, mais en plus qu’elles devraient faire l’objet d’une protection accrue de la société en ce qui concerne la protection de leurs biens et de leur personne  !

Il est vrai aussi que de nombreuses équipes de psychiatrie sont amenées à « abandonner » certains patients. Le plus souvent par manque de moyens humains correctement formés, mais aussi parce que le ministère – au nom de la rentabilité – leur demande de plus en plus de ne traiter que les symptômes les plus visibles et non plus de soigner et d’accompagner ces personnes en souffrance. C’est ainsi que sont systématiquement privilégiés les traitements cognitivo-comportementaux et les neurosciences au détriment de l’approche psychodynamique centrée sur la relation, prenant en compte chaque sujet dans sa globalité et sa singularité propres.

Face à cet abandon que ne cessent de dénoncer les associations de malades et de familles, plutôt que de vouloir imposer une généralisation des soins sous contrainte, y compris en ambulatoire, ne faudrait-il pas plutôt réaffirmer l’obligation de soins pour les équipes ? Ce qui pose par ailleurs l’obligation de moyens pour l’État !
Le débat est ouvert !

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