mercredi 3 mars 2010




PSYCHIATRIE MODE D'EMPLOI
Par Guy Baillon

« L’ACCUEIL », contre "la garde à vue" de 72 h

Soyons simples tout en cherchant à bâtir une psychiatrie "pointue", on ne peut décider de la vie des hommes depuis son bureau comme le montrent certains projets de loi. Partons de ce qui se passe lors de la rencontre avec une personne souffrant de graves troubles psychiques.

En effet tout soin psychique pour un trouble psychique, quel qu’il soit, commence par un temps d’accueil de la "personne", car autant le dire tout de suite, nous parlons d’hommes et de femmes, et non de paquet-poste.

En réalité nous allons voir qu’un "accueil" ce n’est pas seulement un moment, ni une attitude, c’est d’abord "une façon d’être" des soignants face à chaque personne malade, ce qui veut dire que les soignants vont continuer à être ‘accueillants’ lors des différentes séquences des soins.

Il est exact que l’on note que c’est le premier contact, à la première rencontre, qui "marque" le climat du lien qui s’établit avec un patient, pour les années à venir.

La personne qui souffre, qu’elle vienne seule dans un lieu d’accueil, ou mieux, accompagnée, est le plus souvent dans un grand désarroi car elle ne sait pas bien ce qu’elle a, ne connaît pas ceux qu’elle vient voir ; par contre elle a "peur d’une chose" c’est qu’on lui dise que la question qui l’amène est "psy". Trop de faits, trop de mots négatifs se sont accumulés autour d’elle dans notre société sur les faits "psychiatriques" pour faire que ceci soit facile. Cette rencontre est "toujours" inquiétante. Donc a priori la personne a peur.

En fait cet accueil va se répéter, se renouveler de façon variable tout au long de la vie des personnes qui sont en traitement psychique. Une même blessure se réveillera à chaque moment dit "aigu", ou urgent. Un nouvel accueil sera nécessaire. Comment s’y prendre ?

C’est bien pour cette raison qu’un certain nombre d’entre nous dans leur équipe de secteur se sont battus pour créer un espace "banal", non "marqué par les soins lourds", et bien sûr, situé hors de tout hôpital, surtout psychiatrique (celui qui fait le plus peur) ; on crée un "Accueil" dans quelques pièces simples de plein pied, d’une maison ou d’un immeuble, et on reçoit.

Nous y accueillons sans rendez-vous ces personnes seules, ou accompagnées ; parfois c’est une famille venant seule "discuter à bâtons rompus" d’un "éventuel" problème psy, …

Nous nous présentons ("nous", car il est pertinent d’être deux pour recevoir, parmi une équipe de 6 à 8 infirmiers, une psychologue, un médecin) avec nos noms et nos fonctions générales ; nous faisons une rapide visite du lieu pour rassurer ; on fait en sorte que la personne se sente à l’aise, un peu comme si nous la recevions chez nous, et avec simplicité.

Tout ceci est tout simple, pourtant nous l’oublions si vite dès que le terme "urgence" a été utilisé par quelqu’un, aussitôt on se précipite, on veut tout savoir tout de suite ; ainsi on fait peur, tout se bloque, et on ne comprend pas pourquoi ! Alors recommençons doucement.

Quels que soient les faits, l’agitation ou le calme, l’important c’est le visage de la personne.

Le visage. Oui nous accueillons d’abord le visage de l’autre. Tout est dans le visage. Pour cette raison, chacun des soignants se demande juste avant l’entretien si son propre visage est "accueillant", ou s’il est encore occupé par cent ou… mille choses. Si oui, il vaut mieux attendre un instant, … Après nous sommes disponibles pour parler.

Nous faisons en sorte que ce qui est dit "urgent" soit d’emblée et facilement déposé là.

Ayant montré que tout nous intéresse, nous prenons le temps de nous connaître un peu, laissant les inquiétudes se décanter. Il y a tant de choses dont nous pouvons parler.

Si la personne est accompagnée, nous ne cherchons pas d’emblée, comme pour un examen médical classique, à séparer tout le monde, et recevoir le malade seul, écartant la famille, et tous les autres. Au contraire ici, nous profitons de cette présence multiple pour permettre à chacun de parler, d’évoquer les faits récents ou anciens, … sans craindre les avis différents sur une situation donnée ; chaque apport sera le point d’appui pour l’un des futurs échanges, nous y reviendrons. Tout se passe vite, nous sentons que nous avons encore beaucoup à nous dire. Alors on décide de se revoir demain, et quelques jours ou semaines de suite.

Vous avez déjà compris que deux points sont importants, que dis-je, absolument essentiels. Ce sont : d’avoir à sa disposition un temps suffisant, et de répéter la rencontre, mais surtout avec les mêmes soignants qui reçoivent et écoutent.

Ce sont ces deux éléments qu’il faut détailler, expliquer, reprendre inlassablement entre nous, inlassablement, car chacun croit qu’il y a une solution à trouver, alors que l’essentiel est de nouer un lien, là.

La personne qui souffre, ne sait pas comment s’expliquer, la famille qui vient seule ou l’accompagne ne sait pas quels mots employer. La gêne initiale est grande. Si des mots viennent à évoquer la psychiatrie d’une façon ou d’une autre c’est aussitôt la crainte, voire la honte ; le dialogue risque de s’arrêter avant que d’avoir commencé, il faut du temps, de la simplicité, du temps encore.

Pouvoir parler des choses simples de la vie pour établir la confiance.

Croyez-vous qu’en 15 à 30 minutes dans une salle dite d’urgence, ou dans un climat d’urgence quelque chose comme cela peut commencer ? Pour le penser on voit que vous n’avez jamais essayé, et n’êtes pas sortis de votre bureau !

Vous croyez que si j’ai commencé à parler de mes difficultés, de mes souffrances à une ou deux personnes dans un centre le premier jour et que je suis à nouveau capable d’en reparler le lendemain et le jour d’après, vous croyez que je vais tenir si à chaque fois je rencontre une personne nouvelle, voir 6 à 12 personnes en trois jours. Mais vous ne savez vraiment pas ce qu’il en coûte de parler de cette souffrance, de tout ce qu’il y a autour et que ne je sais pas bien dire. Vous pensez vraiment que je vais pouvoir le redire. Vous n’avez pas compris ma honte, ma tristesse qui s’ajoute à tout le reste. Mais si ce n’est pas la même personne que je vois ce jour, alors qu’hier elle m’a dit ‘à demain !’ et pareil le jour suivant, je comprends que je ne l’intéresse pas, que ses paroles d’accueil étaient ‘mécaniques’, que vous-mêmes vous n’y croyiez pas. Pour arriver à parler de ces choses si intimes et que je saisis mal, il me faut du temps, il faut que je me sente en confiance, …vous ne m’avez pas accordé la vôtre !

Savez-vous la meilleure ? J’ai entendu dire que dans je ne sais quel pays du Nord ils ont inventé un « SAS » où, pour je ne sais quelle maladie, on est envoyé et enfermé trois jours ; il parait que les pauvres gens qui y vont doivent ‘avouer’ qu’ils sont malades et accepter des pilules pour pouvoir être « libérés », sinon ils sont envoyés dans un service fermé ou surveillés à domicile avec obligation de prendre un traitement ! Les pauvres ! J’ai dû faire un cauchemar, ou bien c’est pour une maladie rare comme le diabète rebelle. Mais je sais que chez nous ça ne pourrait pas être inventé pour les problèmes psychologiques, n’est-ce-pas ? Nos élus sont trop intelligents pour oser décider ça et même l’écrire dans une loi. Les promoteurs rêvent de police et de garde à vue, en médecine ! Ils se sont trompés de métier !

A la semaine prochaine, nous avons encore beaucoup à nous dire entre accueil et psychiatrie, mode d’emploi.…

Guy Baillon



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