samedi 30 janvier 2010



Critique

"La Méthode Coué. Histoire d'une pratique de guérison au XXe siècle", d'Hervé Guillemain :
Coué, sa méthode et ses couacs


LE MONDE DES LIVRES | 14.01.10 |

Tous les jours, à tous points de vue, tout va de mieux en mieux." La formule est à répéter vingt fois, à voix haute, matin et soir. L'aide d'une cordelette à nœuds est la bienvenue. Quant à la durée de la prescription, toute la vie fera bien l'affaire. Car cette panacée est "préventive autant que curative". Voilà pratiquement tout le contenu de la célébrissime méthode Coué. Elle est devenue synonyme, dans le langage courant, d'illusion risible et de persuasion inefficace. Voulez-vous brocarder une politique ? Faire comprendre qu'elle se contente de psalmodier que son bilan est positif ? Traitez-la simplement de "méthode Coué", version ringarde et ridicule, en France, du wishful thinking.

Le docteur Emile Coué (1857-1926, pharmacien de son état) n'est plus crédible. Ce ne fut pas toujours le cas. Voilà ce qu'on découvre, avec autant d'intérêt que d'amusement, en lisant l'original travail d'historien conduit par Hervé Guillemain. Autour d'un objet mince, diaphane, presque invisible, il parvient à construire une enquête féconde, qui dessine à sa manière un paysage instructif.

Au départ, un fait banal : un pharmacien de province pratique l'hypnose dans son arrière-boutique, avant la première guerre mondiale. Voilà qu'il s'installe à Nancy, suggère avoir des liens avec l'école où s'illustrèrent Bernheim et Liébeault. Dans les années 1920, son succès devient foudroyant. Les patientes affluent du Royaume-Uni. Des sociétés "couéistes" se fondent un peu partout en Europe comme aux Etats-Unis. Dans les cliniques du lac Léman, on propose soudain, au même menu, à une clientèle plutôt lasse, la méthode Coué et la psychanalyse !

Relayée par les sociétés de théosophie, discrètement parée d'oripeaux indo-bouddhistes, la méthode Coué semble rappeler la répétition des mantras orientaux. Après cette courte gloire, la vaine méthode tombe dans l'oubli et ne subsiste qu'à l'état de proverbe. Jusqu'à ce que le retour de l'hypnose et le revival des suggestions en tout genre viennent amorcer des tentatives de réhabilitation. Tout l'attrait de cette belle enquête est finalement de faire comprendre comment la gloire, l'éclipse, puis le retour de Coué sont autant de signes de la composition, de la décomposition et de la recomposition du paysage psychothérapeutique. Evincée par le triomphe de la psychanalyse, la méthode Coué réapparaît. On recommence, dans les années 1990, à célébrer ses vertus, et la gloire de son créateur.

Car cet homme sans intérêt, qui avait sans doute fini par se convaincre lui-même d'avoir inventé quelque chose, est bien l'un des grands précurseurs de cette soupe éclectique qu'on nous sert aujourd'hui à grandes louches sous le nom de "développement personnel". L'idée est toujours la même : positivez, tout va changer. Persuadez-vous que tout va bien, ça finira vite par être le cas. En juillet 1921, le quotidien Le Matin décrétait qu'Emile Coué était "le plus grand optimiste de France". Depuis, il y a de la concurrence. Décidément, tout va de mieux en mieux.

LA MÉTHODE COUÉ. HISTOIRE D'UNE PRATIQUE DE GUÉRISON AU XXE SIÈCLE d'Hervé Guillemain. Seuil, "L'Univers historique", 396 p., 21 €.

Roger-Pol Droit


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