jeudi 19 novembre 2009

Projet de loi sur la récidive des délinquants sexuels
André Gisselmann du CHU Dijon : « Je suis psychiatre pas « flichiatre »! »
par Julie Philippe | dijOnscOpe | jeu 19 nov 09 |
http://www.dijonscope.com/001923-andre-gisselmann-je-suis-psychiatre-pas-fliciatre









Les députés examinaient mardi 16 novembre un projet de loi pour tenter de réduire le risque de récidive criminelle. Dans le cadre de cette loi*, un amendement propose de renforcer les règles relatives à l’injonction de soin des délinquants sexuels, "contraints de subir une castration chimique". Ainsi le signalement par le médecin traitant du refus ou de l’interruption du traitement anti-hormonal serait rendu obligatoire. dijOnscOpe a donc rencontré un spécialiste sur la castration chimique, le professeur André Gisselmann, Chef du service Psychiatrie Générale et Addictologie de l’hôpital général de Dijon. Il nous explique les tenants et aboutissants de cet amendement et s’exprime sans détours sur le sujet de la « dénonciation »...

Pouvez-vous expliquer de manière concrète ce qu’est la castration chimique ?

"La castration chimique est connue depuis très longtemps. Il s’agit d’utiliser des anti-hormones mâles ; le produit chimique bloque la production de testostérones (hormones qui gèrent les caractères masculins, l’agressivité etc.). Le plus souvent, on prescrit Androcur, une hormone sexuelle féminine. Il s'agit d'un produit chimique utilisé pour bloquer les désirs sexuels de personnes qui ont des tendances dites anormales, non autorisées par la société. C’est la société qui fixe les limites de cette normalité. Le traitement concerne surtout les gens qui auraient des pulsions pédophiles hétéro ou homosexuelles, et les violeurs. Ce sont les deux grandes indications.

Ce traitement a-t-il des effets secondaires ? Est-il dangereux ?

Il faut trouver le bon dosage chez certains patients : quelques-uns veulent continuer à avoir une vie sexuelle. Le traitement peut développer quelques caractères féminins (un gonflement des mamelons) et dans certains cas rares, des hépatites. Certains voient l’Androcur comme s’il s’agissait de la peste. Pourtant, cette hormone est déjà utilisée depuis longtemps. Certaines femmes qui ont trop d’hormones mâles (pilosité importante par exemple) en prennent en association avec une hormone féminine. C’est un produit qu’on utilise déjà mais avec précaution.

A elle seule, la castration chimique est-elle suffisante ?

Seul, le traitement n’est pas suffisant ; il faut aussi une prise en charge. Nous devons comprendre pourquoi ces gens ont ce comportement. Il faut donc établir une relation de confiance afin que le patient évoque ses problèmes sexuels par exemple. La notion de volontariat me semble également capitale. De plus, Androcur doit être dosé et diminué avec le temps ; un suivi médical est donc nécessaire pour surveiller la dose.
Certains psychiatres ne sont pas d’accord sur ces traitements anti-androgènes. Moi, je suis pour la castration chimique à condition qu’il y ait un accompagnement. Quelques patients me demandent des produits pour les aider mais ça ne suffit pas. Il faut une relation avec le médecin même pour ceux qui sont volontaires. Ce traitement ne va pas tout résoudre : il faut quelque chose à côté !

Ce traitement hormonal peut il être administré sous la contrainte ?

L’hospitalisation sous la contrainte existe déjà. Il s’agit d’une hospitalisation par un tiers lorsque la personne peut être dangereuse. C’est ensuite à nous de l’inciter à suivre un traitement. Il est certain que la société a besoin d’une relative protection. Si une personne est forcée de suivre un traitement, cela relève du judicaire : ça ne me choque pas. C’est si l’on mélange les genres qu’on est foutus ! J’ai très peu de patients qui veulent une castration chimique. Ce sont surtout les prisonniers qui me la demandent. Mais en prison, les détenus ne sont pas obligés de suivre un traitement. Leur liberté est déjà amputée et un traitement amputerait plus encore cette liberté ! Les prisonniers jugés irresponsables sont suivis durant leur peine mais à leur sortie de prison, ils sont libres de ne plus l’être. On devrait désigner un psychiatre pour les suivre mais c’est à eux de faire la démarche d’aller voir la police pour s’assurer du suivi médical.

Justement, que pensez-vous du fait d’avertir le juge en cas d'interruption par le délinquant sexuel de son traitement hormonal ?

Ça me choque que les médecins puissent être délateurs. Moi, je suis psychiatre pas « fliciatre » ! Le jour où le patient ne vient plus, je ne crois pas que ce soit mon rôle d’appeler la police. C’est au patient de se rendre chez les policiers pour montrer son certificat. C’est à lui de faire la démarche, pas à moi. Avec cette proposition, les sénateurs se mettent tous les médecins à dos ! La loi de 2004 avait déjà prévu des médecins coordonateurs. Leur rôle est de prévenir les autorités si le patient ne s’est pas présenté chez son collègue médecin. Saisir la justice, ce n’est pas le rôle d’un médecin. Comment le médecin peut-il revoir un patient après l’avoir dénoncé ? En médecine, la confiance doit être réciproque. Il y a déjà une relation triangulaire entre le médecin, le patient et la sécurité sociale. Maintenant, on veut ajouter la justice ? Ça me choque. On est là pour soigner, avoir une relation avec un patient. Ce projet est peut être un effet de mode. Ça va peut être sortir mais il n’y aura pas de décret d’application je pense.

Et que pensez-vous de l’éventualité d’une castration physique pour certains criminels sexuels (qui fut suggérée par Michèle Alliot-Marie puis annulée)?

La castration chimique est réversible contrairement à la castration physique. Sans être un grand défenseur des droits de l’homme, quand on commence à toucher au corps, ça me choque aussi !"

* Le texte de loi prévoit de renforcer le suivi médico-judicaire des criminels sexuels, d'assurer le contrôle et la surveillance des délinquants après leur libération et de garantir une meilleure protection des victimes


La psychiatrie au service du patronat !

Le 19 octobre se tenait, devant le tribunal des affaires de Sécurité sociale (tass) de Nanterre, le procès en faute inexcusable opposant le constructeur Renault et la veuve de l'ingénieur du Technocentre de Guyancourt qui s'était suicidé le 20 octobre 2006 en se jetant d'une passerelle. Or, l'entreprise au losange a utilisé, pour sa défense, les résultats d'une autopsie psychique réalisée par un médecin psychiatre, dans le cadre d'une expertise menée par le cabinet Technologia. Une expertise lancée à la demande conjointe du CHSCT et de la direction de Renault.


Comment le contenu de cette autopsie psychique, qui relève clairement du secret médical, s'est-il retrouvé entre les mains de l'employeur ? (...) Le Code de déontologie médicale précise que le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris. De plus le respect que doit le médecin à la personne ne cesse pas de s'imposer après sa mort.


A l'évidence, les autopsies psychiques réalisées chez Renault par le médecin psychiatre pour le compte de Technologia n'ont pas respecté ce cadre déontologique très strict et très contraignant.


L'affaire risque de ne pas en rester là. D'ores et déjà, l'association ASD-pro (association d'aide aux victimes et aux organisations confrontées aux suicides et dépressions professionnels) - à laquelle appartient la veuve de l'ingénieur de Renault - demande, dans une alerte mise en ligne sur son site, que les autopsies psychiques soient interdites dans le contexte des suicides professionnels. « Que vient faire une analyse psychologique de la victime dans le cadre d'une expertise sur les conditions de travail ? », écrit notamment l'association. « Là où elles se réalisent, avec ou sans le consentement syndical via le CHSCT, il faut dénoncer ce processus qui ne peut aboutir qu'à un ralentissement d'une dynamique de prévention réelle du risque psychosocial. »


Une chose est certaine : ces techniques, que Technologia se propose également de mettre en œuvre à France Télécom, risquent d'être détournées par les directions d'entreprises pour se dédouaner d'une éventuelle mise en cause de leur responsabilité devant les tribunaux (...).


via sante-et-travail.fr


Une histoire positiviste de la folie est-elle souhaitable ?
[jeudi 19 novembre 2009
http://www.nonfiction.fr/article-2936-une_histoire_positiviste_de_la_folie_est_elle_souhaitable.htm








Histoire de la folie.
De l'Antiquité à nos jours
Claude Quétel
Éditeur : Tallandier
620 pages / 25 €


Résumé : Érigé contre Foucault, l’ouvrage de Claude Quétel fait parler de lui, mais offre une vision dépassée de l’histoire de la folie.
Maud TERNON













Dans cette nouvelle Histoire de la folie, Claude Quétel se pose en adversaire farouche de Michel Foucault et de son Histoire de la folie à l’Âge classique parue en 1961 . Il attaque le modèle historique développé par ce dernier en le qualifiant d’"Évangile selon Foucault" , clamant qu’il a longtemps été impossible de faire entendre une autre histoire de la folie. Mais l’approche historique dépassée mise en œuvre par Claude Quétel dans ce nouvel opus ramène le lecteur bien trop loin en arrière pour représenter un contrepoint important au travail foucaldien.

Au cœur de la controverse : Quétel versus Foucault ?

Le cœur de la controverse réside dans la datation du premier enfermement des insensés. Foucault proposait la date de 1656. À cette date est créé l’Hôpital général, destiné à contenir les vagabonds et autres "mauvais pauvres". Les fous sont pris dans ce grand geste d’exclusion et commencent ainsi à être considérés comme des gens à enfermer : c’est, selon la formule de Foucault, le "grand Renfermement", mouvement issu d’un mélange entre les conceptions chrétiennes de l’assistance aux misérables et celles, bourgeoises, de la préservation de l’ordre social. L’asile d’aliénés proprement dit n’apparaît cependant qu’à la fin du XVIIIe siècle, avec l’aliénisme, médecine dédiée aux maladies mentales. En remontant à la date de 1656, Foucault tentait de trouver des antécédents à l’enfermement asilaire, et d’élargir les perspectives par rapport à la traditionnelle histoire de l’asile et de l’aliénisme, ancêtre de la psychiatrie. Il est probable qu’il ait forcé le trait et fait parler les sources en son sens, mais il faut reconnaître l’importance de son apport : avoir tenté de saisir les origines obscures du phénomène asilaire et avoir observé que le geste d’enfermement des marginaux existait bien avant que l’asile d’aliénés ne fasse son apparition.

Claude Quétel, de son côté, s’en tient aux évidences et affirme que les fous n’ont pas été enfermés avant l’apparition de l’asile à la fin du XVIIIe siècle. Il estime que les sources ne permettent pas de voir qu’il y ait eu volonté répressive de la part de l’État souverain à l’égard des fous, et que le seul type d’enfermement qui a eu lieu répondait à une généreuse volonté de soigner les insensés. Le déplacement de chronologie que propose Claude Quétel pourrait être intéressant, d’autant qu’il se fonde sur une lecture assidue des archives, mais on reste sceptique devant sa vision irénique de pouvoirs entièrement bienveillants à l’égard de la folie.

Pauvreté des analyses

Pour défendre ses positions, l’auteur se munit d’un appareil conceptuel tout à fait insuffisant. Sa seule analyse de l’objet "folie" consiste à reconnaître deux types de folie : la folie pathologique (médicale) et la folie morale (philosophique), bipartition simpliste et peu efficace, que l’auteur lui-même maîtrise plutôt mal. On le voit ainsi insister fortement sur l’importance de cette distinction, affirmer qu’il ne veut étudier que la folie-maladie, puis se contredire en expliquant que la folie-maladie est aussi un problème philosophique et, enfin, reprocher à Foucault de n’avoir pas vu que les deux types de folie ont toujours coexisté à travers les âges. Il se borne ainsi à réfléchir en termes de disciplines (médecine, philosophie), là où Foucault renouvelait les approches en observant l’évolution des gestes du pouvoir à l’égard de la folie (du pouvoir qui chasse les fous hors des villes au Moyen Âge, au pouvoir de l’Âge classique qui les enferme), qu’il tentait d’articuler à l’évolution des représentations (d’une folie médiévale insaisissable, voyageuse, cosmique, à une folie domestiquée et rationalisée à l’Âge classique).


Un autre grand désaccord avec le modèle foucaldien porte sur l’émergence du traitement moral, au XIXe siècle, qui pose les bases de ce qui deviendra la cure psychiatrique. Claude Quétel y voit l’avènement du "fou-sujet", car les médecins s’intéressent enfin à l’intériorité morale de l’aliéné, alors que Foucault voyait à cette période la naissance du "fou-objet", observé et objectivé jusque dans son intériorité sous le regard du psychiatre. Là où Quétel adhère au discours des aliénistes qui veut que l’asile soit un instrument avant tout thérapeutique, qui redonne une certaine liberté aux déments, Foucault se montre sceptique et montre que se développent surtout, dans l’asile, une surveillance et un savoir sur la folie qui font du fou un "objet" observé et assigné.

En résumé, ces approches situent clairement Claude Quétel dans la vieille historiographie institutionnelle psychiatrique de la folie, celle-là même dont Foucault avait voulu saper les fondements en publiant en 1961 son Histoire de la folie à l’Âge classique. Le désintérêt de l’auteur à l’égard des perspectives dégagées par Foucault, qui invitait à penser la folie non plus au travers du prisme univoque de la psychiatrie et de la pathologie, mais dans toute sa dimension pratique, sociale et politique, est regrettable. En ce sens, le présent ouvrage ne vient pas après Foucault, mais bien avant Foucault.
Le positionnement épistémologique de Claude Quétel est d’ailleurs expressément positiviste : dès l’introduction, il dénonce le "credo conceptualiste" qui a "envahi les sciences humaines", et affirme qu’utiliser une "grille d’analyse" est contraire au travail de l’historien. À ses yeux, ce dernier doit se concentrer sur "la chronologie, les évènements, l’histoire quantitative" : plutôt surprenant, quand on connaît les évolutions de l’épistémologie de ces cinquante dernières années !

Une synthèse historique mal assumée

Le titre choisi par Claude Quétel pour son ouvrage soulève aussi une grande interrogation : pourquoi avoir repris un titre déjà utilisé, alors que ses publications antérieures, au contenu tout à fait similaire (une synthèse historique, de l’Antiquité à nos jours), s’intitulaient Histoire de la psychiatrie et Histoire des maladies mentales ? Est-ce le prestige de ce titre fameux dont l’auteur a voulu parer un ouvrage de fin de carrière ? A-t-il voulu effacer et remplacer l’ouvrage éponyme du philosophe dans les rayonnages des librairies ?
L’auteur affirme à plusieurs reprises qu’il était important d’intituler son travail "histoire de la folie" et non "histoire de la psychiatrie". La psychiatrie n’apparaît en effet qu’au XIXe siècle. Or son étude commence à la plus haute Antiquité. Mais force est de constater que le contenu des ouvrages de Claude Quétel est resté très sensiblement le même, depuis son Histoire de la psychiatrie de 1983, en passant par son "Que Sais-Je ?" sur l’Histoire des maladies mentales, jusqu’à l’ouvrage actuel. Ce dernier apparaît de manière flagrante comme la compilation à peine remaniée de ses synthèses précédentes. L’ordre des chapitres est le même et la plupart des titres demeurent inchangés depuis les années 1980. On pourrait penser que Claude Quétel a cherché, tout au long de ces années, à édifier son histoire de la folie, espérant en produire un jour une version stable et définitive, de l’Antiquité à nos jours. Certains chapitres, concernant le XXe siècle, rendent certes compte d’une historiographie récente (sur l’art des fous, le surréalisme, la folie et la guerre). Mais d’autres pans de l’histoire de la folie, pourtant bien étudiés, restent dans l’ombre : les perceptions de la folie dans l’Islam médiéval, par exemple, ou l’expertise médico-légale de la folie au XIXe siècle, qui a fait l’objet de plusieurs études récentes.

Tout ne pouvait être traité dans le cadre de cette (trop) ambitieuse synthèse. Mais le déséquilibre entre les parties de l’ouvrage révèle d’indéniables faiblesses dans l’analyse de l’objet "folie" et compromet la lisibilité de l’ouvrage pour un public de non spécialistes. Les chapitres sur l’Antiquité et le Moyen Âge sont beaucoup trop allusifs, et l’auteur paraît ignorer les publications récentes sur ces périodes, pourtant peu nombreuses. Par exemple, l’étude publiée par Bernard Guenée en 2004 sur la folie du roi Charles VI à la fin du XIVe siècle , offrait une très belle occasion d’observer les réactions sociales et politiques suscitées par la folie du monarque, et de comprendre la structuration du champ thérapeutique de la folie à cette époque. A l’inverse, certains passages sont beaucoup trop longs et descriptifs, en particuliers ceux dans lesquels l’auteur résume ses propres recherches sur l’enfermement aux XVIIIe et XIXe siècles . Quant aux notes de bas de page, on ne sait si l’auteur les destine à guider le grand public ou à servir la légitimité de son travail scientifique. L’ensemble donne un livre qui manque son double objectif : fournir une synthèse éclairante pour le grand public et apporter des éléments nouveaux aux historiens de la folie.

Titre du livre : Histoire de la folie. De l'Antiquité à nos jours
Auteur : Claude Quétel
Éditeur : Tallandier
Collection : Approches
Date de publication : 03/09/09
N° ISBN : 2847346031



mardi 17 novembre 2009



Passagers clandestins in utero


Enquête
Passagers clandestins in utero
LE MONDE | 16.11.09 | 14h24 •


Dans l'obscurité du corps de sa mère, calée bien en retrait contre la colonne vertébrale de cette dernière, Lola s'est cachée pendant neuf mois. Neuf mois pendant lesquels elle s'est développée seule, sans que jamais aucune caresse ou parole tendre ne lui soit adressée, sans qu'aucune échographie ne vienne la chatouiller. Elle-même veilla toujours à rester discrète : ses petits coups de pied dans la paroi utérine ne pouvaient-ils passer à bon compte, aux yeux de sa mère, pour de simples gargouillis d'estomac ?

La maternité, Patricia connaît. Pourtant cette fois elle n'a rien su. Ni ventre rebondi ni seins douloureux, ni prise de poids ni nausées ou vomissements : son corps obstinément mutique n'a pas manifesté le moindre symptôme de grossesse, ces derniers mois. Alors, tandis qu'elle attend les secours, allongée sur le transat de son jardin, elle envisage tous les scénarios possibles - sciatique, colique néphrétique ? - tous, sauf celui-là. C'est sa voisine, appelée entre-temps, qui, la première, identifiera ce qui est en train de se produire : "Vite, vite, il y a un bébé qui sort, là !"Jusqu'à ce qu'un jour de septembre 2006, Lola décide qu'elle en avait assez de cette vie clandestine. Pour sa mère, Patricia, 47 ans, qui, rentrée à la maison, vient de déposer ses deux fils au collège, d'insistantes douleurs de reins se déclenchent. Les spasmes s'intensifient, reviennent... Patricia finit par appeler le SAMU. "Etes-vous enceinte ?", lui demande-t-on. "Mais non, voyons ! Je le saurais !"

Un bébé ? Certaines mères, ayant vécu comme Patricia ce phénomène que la médecine nomme "déni de grossesse", disent quant à elles "une chose", "de la chair" ou même "ça", pour désigner ce corps sorti si abruptement du leur et que, dans la sidération, voire la terreur de l'accouchement, elles ne parviennent pas à reconnaître comme étant un enfant - encore moins le leur.

Le phénomène n'a rien de paranormal : en France, il affecte une naissance sur 500, entre les dénis "partiels", révélés à un stade avancé de la grossesse, et les dénis "totaux", qui scellent leur secret jusqu'à l'accouchement. Soit, toutes les six heures, la venue au monde d'un "enfant du déni".

Loin d'être issues de milieux défavorisés, d'être déficientes intellectuellement ou de présenter des troubles psychiatriques, les femmes concernées sont d'une "normalité" désarmante, ce qui rend le phénomène encore plus troublant. "Il n'existe pas de profil type : toutes les femmes en âge de procréer peuvent faire un jour un déni", affirme le médecin Félix Navarro, spécialiste en santé publique qui, il y a cinq ans, a fait figure de précurseur en fondant à Toulouse l'Association française pour la reconnaissance du déni de grossesse (AFRDG). Car, paradoxalement mieux informé sur les rarissimes "grossesses nerveuses" (soit l'exact contraire du "déni" : le corps des femmes concernées manifeste des symptômes de grossesse alors qu'elles n'attendent pas d'enfant), le public ignore cette réalité, ou la confond avec celle des "grossesses cachées" - celles que cherchent à dissimuler des femmes qui, elles, se savent enceintes. "Il y a là un véritable tabou : le côté irrationnel du déni perturbe trop les gens", explique Félix Navarro.

Quoi ? Une femme pourrait être mère sans le sentir dans sa chair ? De qui se moque-t-on ? " Pour la société, c'est tellement inconcevable que cela en devient inaudible. Avec le déni, ce sont toutes les idées reçues sur la maternité et le fameux instinct maternel qui volent en éclats", analyse la journaliste Gaëlle Guernalec-Levy, auteure, en 2007, d'une enquête sur le sujet (Je ne suis pas enceinte, Stock).

Bousculé dans ses acquis, le corps médical n'est pas en reste. A l'exception des sages-femmes, qui, toutes, ont vu arriver en salle d'accouchement de ces patientes affolées, "gynécologues, obstétriciens, généralistes ou radiologues présentent un énorme déficit de connaissance sur ces cas qu'ils sous-estiment", déplore Israël Nisand, professeur de gynécologie obstétrique au centre hospitalier universitaire (CHU) de Strasbourg. "Comme si eux-mêmes, en une sorte du déni du déni, ne parvenaient pas à franchir le mur de l'incrédulité. En fait, ces patientes génèrent de l'angoisse chez les professionnels", reconnaît-il.

C'est qu'avec le déni de grossesse, l'inconscient démontre sa toute-puissance. Brillant prestidigitateur, il parvient à ce que "l'utérus de la femme - lequel, normalement, bascule vers l'avant lors d'une grossesse - monte, dans les cas de déni, vers le haut : le long de la colonne vertébrale ou dans les régions abdominales", poursuit Félix Navarro. C'est lui qui, lorsque le déni est "levé" en cours de grossesse, restitue aussitôt au corps de la mère les symptômes qu'il lui avait escamotés. Ainsi n'est-il pas rare de voir une femme passer d'une taille 38 au 40 en l'espace de 48 heures...

En psychanalyse, le terme "déni" a sa définition : il s'agit d'un mécanisme de défense qu'un individu met en place pour se protéger d'une souffrance par trop insupportable. Mais laquelle ? Christoph Brezinka - gynécologue-obstétricien à la maternité d'Innsbruck (Autriche), qui, le premier en Europe, avec le professeur Jens Wessel à Berlin, entreprit des travaux sur ce thème dans les années 1980 - a pu constater une récurrence, chez ses patientes, "d'un mauvais rapport à leur propre corps : nombre d'entre elles avaient connu des troubles de l'alimentation dans leur jeunesse, boulimie ou anorexie."

Cela n'est toutefois pas systématique, et, plus généralement, il semble que ces femmes aient souffert d'une carence, dans la relation à leur mère. "La construction psychique de la maternité se fait très tôt, avant l'âge de 7 ans", rappelle Noé Guétari, de la clinique de soins psychiatriques de Castelviel (Haute-Garonne). Pour lui, c'est "dans la transmission par leur mère de ce qu'est la féminité, que quelque chose s'est joué".

Chez toutes ces femmes, en tout cas, "il y a souvent, bien avant le déni de grossesse, un déni de leurs propres expressions et sensations : ce sont des femmes qui verrouillent leur corps, chez lesquelles il est difficile de déceler des émotions", constate la psychanalyste Sophie Marinopoulos, qui, depuis vingt-cinq ans maintenant, d'abord au CHU puis au Service de prévention de la santé psychique de Nantes, les reçoit.

De là à savoir pourquoi le déni intervient à tel ou tel moment d'une existence - et notamment, pour plus de la moitié des femmes concernées, lors d'une deuxième ou d'une troisième grossesse... le mystère demeure. Tout au plus suppose-t-on que certains facteurs circonstanciés (absence de disponibilité pour un nouvel enfant ; virage professionnel à prendre) ou certaines situations à risques (femmes convaincues d'être stériles ou qui, aux alentours de la ménopause, ne s'inquiètent pas d'une absence de menstruations) peuvent servir de déclencheur à une grossesse qu'on ne s'autorise pas, que l'on redoute ou que l'on n'assume pas, même si l'on peut parfois aussi la désirer en secret.

Patricia qui, si elle s'était sue enceinte, aurait aussitôt avorté, le dit bien : si sa petite Lola est là, "ce n'est pas pour rien". C'est elle, son "rayon de soleil", qui "l'a sauvée", alors qu'elle n'avait plus de goût pour l'existence. Pour autant, si le déni de grossesse peut être vécu comme "un miracle", il détruit aussi des vies. Et si Lola a eu la chance de venir au monde sur le transat d'un jardin, d'autres "enfants du déni" naissent, eux, sur un siège de voiture, au fond d'un garage, ou, le plus souvent et de façon sordide, sur la cuvette des toilettes, leur mère croyant presque toujours à une gastro-entérite, lorsque les contractions surviennent.

La porte est alors ouverte à tous les drames, qui, si le public était plus averti, pourraient être évités : bébés se noyant au fond des WC, tombant sur le carrelage, décédant d'hypothermie... Dix nourrissons meurent ainsi d'un déni chaque année en France, dont une moitié faute de premiers soins appropriés. L'autre, du fait d'un acte de leur mère, sous le choc d'un accouchement halluciné, pour les tuer. Ainsi le phénomène du déni de grossesse n'est-il le plus souvent porté à l'attention du public que par le biais de faits divers, l'affaire Courjault, en 2006, en étant le dernier exemple spectaculaire.

Pour autant, le droit pénal français, qui, longtemps, s'est montré inflexible à l'égard de ces mères criminelles (et, à ce titre, passibles de huit à vingt ans de prison), semble se sensibiliser lui aussi à la question. "Avant, on n'y croyait pas : une mère affirmant qu'elle ne se savait pas enceinte était tenue pour une menteuse ou une manipulatrice, témoigne Pierrette Aufière, avocate. Aujourd'hui, on sait qu'un déni peut exister en toute honnêteté. C'est là l'évolution. Elle n'est pas uniquement juridique, mais sociale."

Si la souffrance des mères semble donc enfin entendue, qu'en est-il de celle des "enfants du déni" ? Ont-ils été en état de "mort psychique" pour ne pas avoir été "investis" pendant le temps de la grossesse ? "Tout laisse à penser que, dans l'état d'extrême lucidité et de perméabilité de la grossesse, si la relation mère-bébé consciente a été gommée, une grossesse psychique inconsciente a pu se faire", assure Michel Libert, chef de service en psychiatrie infantile à Lille, qui, de 1994 à 2000, mena la première étude épidémiologique française sur le déni. "En témoigne en tout cas à quel point, une fois passé le choc de la naissance, la mère sait très vite installer des relations harmonieuses avec son enfant, dit-il. Comme si elle s'y était préparée, souterrainement." Nouveau prodige de l'inconscient ?

Lorraine Rossignol
Article paru dans l'édition du 17.11.09








L'amour ardente de liberté


13 Novembre 2009
Par Antonella Santacroce
Edition : Contes de la folie ordinaire


« Sur la terre torturée un appel immémorial reste suspendu entre terre et ciel. Nous percevons quelque chose de son oscillation, mais lui ne parvient pas à se faire entendre distinctement par nous [...] Cet appel et d'autres appels qui lui font écho nous semblent vagues, confus, diffus. Ils se caractérisent pourtant par une indomptable rigueur. »
(Kostas Axelos)

C'est un sentiment de nature éthique qui me pousse à tracer les lignes qui vont suivre, car moi aussi, par le passé, j'ai « sombré dans la folie », comme l'on dit. Et pas que ça.
Moi aussi j'ai été hospitalisée contre ma volonté, et je me suis refusée d'une façon têtue aux « soins », m'obstinant (oui) à ne pas vouloir avaler ces médicaments qu'on me proposait. Moi aussi, je me suis violemment révoltée, et j'ai voulu m'enfuir –dans un état d'extrême souffrance et, en même temps, d'insoutenable panique. Et je me suis enfuie, et à plusieurs reprises, de ces lieux où je me sentais enfermée, et où l'on entendait résonner l'écho d'horribles trousseaux de clefs sécuritaires, les réalisant, ces fuites, avec une astuce et une adresse qui me stupéfient encore aujourd'hui, lorsque j'y songe, et qui m'étaient dictées par le désespoir. M'enfouir, oui, hors, loin de toutes ces enceintes, de tous ces grillages, ce qui m'aurait à coup sûr valu, à présent, par la force de ces nouvelles lois, une hospitalisation d'office décrétée par le Préfet, l'inscription dans un fichier, l'isolement, sans doute, et j'en passe...

Et pourtant... Pourtant le premier « délire » que j'abritai dans le creux de mon cœur, au beau milieu de ma première jeunesse, ne fut (comme le dirait Nerval) qu'un « rêve » rêvé les yeux grand ouverts, baignant tout entier dans une « douceur » aux couleurs à jamais ludiques et enfantines, et incessamment escorté et nourri d'une multitude de songes –assurément donquichottesques–, tout comme de vivantes présences littéraires. Une sorte de « quête d'amour », qui fit culbuter de fond en comble, le renversant d'un ironique revers de la main, le vif sentiment d'injustice ressenti par le dramatique choc dont j'avais été l'objet, ainsi que par l'insoutenable hypocrisie catholique qui m'entourait, et le manque de liberté cuisant, qui étaient le lot des jeunes filles, et des femmes, qui vivaient alors dans le Sud de l'Italie.

Néanmoins, j'estime que je cheminai à la rencontre de la « folie » également à cause de mon extrême solitude existentielle, de la haute idée que je me faisais de la parole écrite, et d'une également extrême naïveté, éprise d'absolu. Car la folie est tissée également de cela : du refus des valeurs (des non-valeurs?) qui vous côtoient, et qu'on voudrait vous imposer, mais que vous –sciemment ou inconsciemment– n'acceptez pas d'endosser, vous révoltant. Et lorsque l'on dit « délire » –à mes yeux d'aujourd'hui– l'on dit souvent et de même « tentative éperdue d'ouverture au monde et à la vie », à savoir, tentative désespérée d' « auto-guérison ».

Je luttai de toutes mes forces, pour tenter de garder ma « raison », pour tenter d'échapper douloureusement à sa déperdition, que je sentais approcher doucement, et à pas de loups, de moi, de ma psyché et qui, à mes yeux d'alors (et pas qu'aux miens) apparaissait (se montrait?) sous les traits hideux d'une chute impardonnable dans les abîmes méprisables et honteux de la Déraison.

Ce dur « combat » se déroula en moi, jusqu'au jour où, s'ouvrant grand enfin dans mon cœur, un passage que je dirais lumineux (il n'y a pas d'autres paroles pour le définir), de la plaie vivante qu'on m'avait infligée, jaillit une perception, et même une vision du réel (fantasque et dérisoire au regard d'autrui), mais comblée d'imaginaire (à mon propre regard), et qui me poussa à tout abandonner derrière moi, afin de la poursuivre, ma quête.

C'est ainsi que, d'un pas heureux et décidé, je partis dans l'errance, à l'aventure, cheminant inlassablement par rues, ruelles et places de cette ville où j'habitais à l'époque, et que je haïssais par son provincialisme petit-bourgeois, croyant déceler et (surtout !) reconnaître, les « signes mystérieux » qui ne pouvaient ne pas me conduire au lieu –gardé secret comme dans un jeu d'enfants– où se tenait l'objet de ma passion, afin de se soustraire à nos communs ennemis : les fascistes. En quête de la vie donc, car, la vie, je l'ai toujours vivement aimée.

Or, dans ce « délire » qui me conduisait (qui me guidait?), dans mon délire, plus exactement encore dans cette vision autre d'êtres et de choses qui surgit en moi à ce moment, je croyais fermement que, afin de redresser les graves injustices ainsi que les blessures, les incompréhensions que j'endurais au quotidien, en tant que femme, afin de remettre événements et valeurs éthiques à la place qui leurs revenait de droit, mes Amis Antifascistes « masqués » sous d'autres traits (et qu'il fallait donc « déceler », pour ne pas tomber dans les troublantes pièges ourdies par nos communs Ennemis), m'aideraient à apercevoir la route qu'il fallait suivre, pour persister dans le droit chemin d'une haute Ethique. Tout comme pour pouvoir changer de fond en comble la société, la vie, sur la planète entière. Cela, précisément grâce à cette formidable aventure qui nous guidait, nous engageant tous.
Je sais bien que tout ça (cette histoire d'Amis et d'Ennemis à majuscule, j'entends), peut résonner comme du « déjà su », les « phantasmes » propres aux délires, décrits dans les volumineux ouvrages du Savoir médical, ne se différenciant pas trop entre eux.

Mais si je me suis douloureusement attelée à conter ce qui fut à la base, aux fondements même de ma « folie » (je préfère l'appeler ainsi), c'est parce que j'entends les exprimer, et je les exprime en tant que Sujet. En tant que Sujet –premier et véritable– de ces fondements, qui sont (comme l'ont dit tant de poètes et de savants, et comme l'ont exprimés, dans leurs œuvres déchirantes, tant de musiciens), si proches du « rêve », et, par conséquent, aussi du « cauchemar ».

Or, ce « songe » qui avait éclos dans mon cœur, bien que nourri d'une véritableinnocence, aurait pu me traîner –à l'époque, et dans les lieux où il se déroula– vers une réalité bien plus tragique, si je n'avais pas été aidée. Car, dans ces années-là, empiraient encore –en Italie– les articles de loi du Code Pénal dit Rocco (revu sous Mussolini dans les années 30), et qui imposaient –si on vous découvrait à errer délirant dans les rues– une hospitalisation d'office, effectuée par la police, c'est-à-dire un « placement » (comme l'on dit encore de nos jours) dans l'un de ces hôpitaux publics dont l'horreur nous a été dévoilée par Basaglia, pour vous y emmurer à vie.

De plus, vous jugeant assez aisément –dans ces années-là– absolument « inapte à entendre et à vouloir », et (par conséquence?) « dangereux pour [vous]-même, et pour les autres », on pouvait également vous retirer tous droits civiques, ou –dans certains cas– vous obliger à apposer l'empreinte de votre pouce ou de votre index (je ne sais plus), sur vos papiers, ce qui était le signe distinctif de votre folie, ou de votre criminalité.

Tout cela, essentiellement à cause de ce crime de Lèse Rationalité, que vous aviez osé commettre, et afin que vous soyez marqué à tout jamais et d'une manière indélébile, de la faute (du « péché »?) d'avoir fait chuter –par votre inconcevable état– dans les dérisoires abîmes de la déchéance, la Supériorité d'une Raison signifiant la descendance divine des humains, et leur existentielle « différence » d'avec les autres vivants sur la planète.
Je pus échapper à ces horreurs parce que, à la périphérie des grandes villes italiennes, se dressaient d'élégants bâtiments, appelés « villas », et qui étaient des cliniques privées censées « soigner » le fou. Cela à des prix exorbitants, jouant la carte du chantage et du désespoir auprès de familles qui, même si elles n'étaient pas très aisées, voulaient garder une lueur d'espoir à leur enfant malheureux.

La clinique où je fus amenée, et qui s'érigeait sur un terrain vague de Rome, était tout entourée de barbelés. Lorsqu'on m'y conduisit, je ne savais pas qu'il s'agissait d'une clinique psychiatrique, ni que les réponses aux questions qu'on me posait, servaient à établir un diagnostic sur mon « cas », comme l'on dit encore de nos jours. C'est pourquoi, au médecin qui m'interrogea en premier, et que je croyais être le traducteur italien de mes bien-aimés « Quatre Quartets » de T.S. Eliot, étant son homonyme, je répondis en toute sincérité, qu'assurément il s'agissait d'une clinique « nazie ».

Je me souviens que –lorsque je prononçai ce mot–, le médecin appuya vite sur une sonnette, la porte s'ouvrit toute grande, et un homme gros et en blouse blanche se précipita à l'intérieur. Je saisis illico le danger qui me guettait et, échappant à la blouse blanche, je me mis à courir hors d'haleine au-delà, hors, de la grille, par une route en pente.
Naturellement, je fus rattrapée, reconduite en clinique, où l'on me fit de force –en s'y mettant à trois– une piqûre. Puis, l'un d'entre eux me prit sur son épaule, et il me descendit –au-delà d'une petite porte dérobée– dans un sous-sol aménagé, qu'on n'aurait jamais soupçonné se nicher dans cette Villa, à l'apparence si paisible, et même accueillante ! Je compris vite que je devais faire semblant de dormir. On m'allongea sur un lit, et tout le monde partit.
Mais lorsque j'entendis la porte se refermer sur leurs pas, j'ouvris les yeux, et vis à côté de mon lit, un autre lit, avec une femme allongée, et, en haut du mur, à droite, une petite fenêtre. Je sautai du lit, montai sur la chaise, ouvris la fenêtre, et regardai dehors. En bas, il y avait une sorte de couloir creusé tout autour des fondements de l'immeuble, et en haut, des barreaux horizontaux, qui empêchaient toute possibilité de fuite.

La soif de liberté et le fait que je me croyais parmi des « nazis », m'amenèrent tout de suite à la conviction qu'il fallait que je me hâte, moi aussi, d'entrer en Résistance. (Mon père –antifasciste– fut recherché par les nazis pour être pendu, et la personne que j'aimais, fut –dans sa première jeunesse– un résistant.) Ce sentiment, cette certitude s'emparant subitement de moi et de mon vouloir, je m'agrippai à ces barreaux, et réussis à me laisser glisser jusqu'en bas, sur le sol du couloir. Mais la personne qui était dans la chambre s'étant mise à crier que je m'enfuyais, au coin du corridor, je me retrouvais face à face de nouveau avec les « blouses blanches », qui m'empoignant violemment, me remontèrent en haut, et m'ayant fait une nouvelle piqûre, me ligotèrent au lit avec des bandes en tissu. Le matin suivant (la folie étant jugée comme quelque chose de « sale »), en ces années encore si prudes –tout au moins dans les Sud de l'Italie– deux infirmiers (deux hommes) me déshabillèrent de force, et également de force, me passèrent sous la douche. Je me débattis violemment, mais vainement.

Au cours de ce « séjour », je fus battue, jetée par terre, frappée à coups de pieds, ligotée... On persistait à me ligoter, même si j'avais découvert qu'à l'aide d'une épingle à cheveux de mon chignon, je pouvais défaire, point par point, la couture de ces bandes en tissu, et –toujours à l'aide de cette épingle à cheveux– j'allais « libérer » aussi les autres « prisonniers » du sous-sol. Une fois, Sara me frappa avec sa bande. Je lui dis (je m'en souviens): « Ce n'est pas grave. Pourvu que tu sois libre. » On ne me laissait monter dans le luxueux rez-de-chaussée, que lorsque j'avais des visites.

Je fis d'autres, nombreuses tentatives de fuite. Une fois je réussis même à enjamber les barbelés, à rejoindre la route, et –sous un soleil accablant– à trouver un arrêt de bus. Une femme du lieu régla mon ticket, et je pus ainsi rejoindre la Stazione Termini, d'où je voulais partir pour me réfugier dans ma bien-aimée, paisible Assise. Mais on me rattrapa. Je ne saurais vraiment pas dire, à présent, comment je réussis à faire tout cela. C'était comme si –dans cette lutte acharnée que je menais pour défendre ma liberté et ma dignité–, je découvrais en moi mille ressources insoupçonnables, insoupçonnées.

Après trois mois (je crois), on me sortit de là, les médecins affirmant qu'on ne pouvait plus rien pour moi. Cette clinique s'appelait « Villa Elisabetta ».

C'est alors que –en désespoir de cause– on voulut m'amener en France, à la Clinique de La Borde où, pour y être admis, il fallait le consentement du « fou », que là-bas on appelait (et l'on appelle) le « pensionnaire ». On me parla alors –avec beaucoup d'adresse– d'un lieu très, très beau. Tout plein d'arbres et de verdure. Je fus illico tout à fait conquise.

Ainsi, lorsqu'on débarqua en Sologne, et que je vis le Château, parmi des arbres qui me parurent immenses, avec une immense pelouse qui s'étendait devant lui, et où se dressait une assez vaste volière pleine d'oiseaux, abritant même des paons qui marchaient gravement, lançant de temps à autre leur aussi étrange cri guttural, je n'arrivais pas à croire à mes yeux, et j'en fus éblouie –tout en cherchant de le cacher le plus possible à ceux qui m'entouraient, par crainte que les « Ennemis » puissent nous « écouter », nous « découvrir ». Toutefois, je voulus faire un long, très long tour dans la forêt, car je voulais vérifier, de visu, si réellement cet Eden n'avait pas de murs, tout autour de lui. On eut beau marcher. Les arbres succédaient aux arbres. Aucun danger ! Aucun mur !

La seule condition que j'avais posée, lorsqu'on était parti d'Italie, était que là-bas, dans ce lieu plein d'arbres, en France, dans ce pays où ma grand-mère (de mère française) m'avait conté qu'il y avait des cliniques pour les poupons cassés par les petites-filles, j'aurais une chambre pour moi toute seule. Or, lorsqu'on me fit visiter la chambre qu'on m'avait adjugée, je vis qu'il y avait un deuxième lit, et que des vêtements de jeune fille étaient accrochés dans l'armoire.
C'est pourquoi, après que les miens partirent et que je restai seule, je décidai de m'en aller, pour chercher une grange où passer la nuit. Et je me mis donc en marche, laissant derrière moi le grand cèdre centenaire, et la chapelle. J'avais déjà marché pas mal en pleins champs, quand j'entendis résonner, de la route, le klaxon d'une voiture, et une jeune voix rauque m'appeler par mon prénom, me demandant si je voulais faire un tour en voiture. Je ne me fis pas prier, et m'empressai de me tourner vers la voiture qui m'attendait sur la route. Plus tard je saurai que cette jeune personne était un psychiatre de la clinique. Et quand –de plus– le lendemain on me demanda si je voulais aller faire quelques courses en ville, je fus absolument comblée. Satisfaite, même. Et il ne fut plus question ni de révoltes, ni de fuites.


À La Borde, mon emploi du temps était riche, et ma journée remplie d'activités, dont j'avais depuis toujours rêvé, comme apprendre à jouer du piano, ou chanter dans une chorale. Il faut que j'avoue peut-être, également, que j'étais si heureuse, aussi parce que –au début, tout au moins– je crus que c'était un château où l'intelligentsia française de gauche s'était donnée rendez-vous, pour m'épauler. (Je conversai –émue– avec Jean-Paul Sartre, mais aussi avec Jean-Louis Barrault.)
Mon réveil à la vie, à ce qu'on appelle le soi-disant « réel » de la vie, se fit quasi à l'improviste, un jour que j'étais seule, à la serre. « Mais celle-ci est une clinique psychiatrique ! » je me dis, et j'éclatai en larmes de désespoir. Inutile de conter combien la suite fut difficile et dure.

Tout cela est désormais éloigné. Très éloigné dans le temps. Mais pas perdu, dans mon coeur. Néanmoins, il faut préciser que je connus d'autres hospitalisations, au cours de ma vie, en d'autres lieux, ou de nouveau à La Borde. Plus cruelles, ces hospitalisations. Tout à fait comme plus cruels furent les délires qui les accompagnèrent, le temps s'écoulant, l'âge avançant. Car lorsqu'on a découvert la petite porte qui conduit de l'autre côté du miroir, on l'emprunte (on apprend à l'emprunter ?) dès qu'une difficulté trop douloureuse, trop féroce à supporter, se profile à l'horizon.

Tout ce que je viens de raconter semble tellement lointain, tellement éloigné dans le cours du temps, que cela a l'air d'un conte de fée, avec ses forces maléfiques ou bénéfiques. Je voudrais simplement ajouter que –par le passé– moi aussi j'entendis des voix, et que je suivis leurs suggestions et les avis qu'elles me donnaient, même si elles ne m'ont pas conduite à des situations aussi tragiques que celles dont aiment tant nous abreuver certains médias. Ces mêmes médias qui, souvent –dans leurs émissions réclamant un audimat élevé– ne font que dicter modes et modèles auxquels il faut se confronter, déchaînant l'envie, et presque le devoir de s'y frotter. D'une manière telle que des sortes de chaînes mimétiques du comportement s'instaurent, s'agençant strictement entre elles, bouleversant tous et tout. Ecrasant toute valeur réellement humaine, à leur passage. Toute parole.

Lorsque je me tourne en arrière, vers le temps passé, et que je regarde derrière moi, les épisodes « fous » de mon existence, par moments si dramatique, je m'aperçois et j'y lis, que toute chose avait sa propre (si erronée ?) signification, son sens caché, dans l'Univers où j'étais pénétrée par un trop de désespoir. Car le langage irrationnel, le langage déraisonnant, parlent des vérités qu'on ne voudrait pas entendre, et posent devant l'autre un miroir de souffrance - souffrant jusqu'au grotesque- que beaucoup ne voudraient ni voir, ni écouter.
Et pourtant... Combien de ceux qui ne sont jamais passés de l'autre côté du miroir ou, mieux encore, combien de ceux qui n'ont jamais été « diagnostiqués » comme étant des « malades mentaux », et qui se croient, pour ainsi dire, à l'abri, parce que Autres, absolument Autres que « ceux-là », auraient intérêt à se mettre à l'écoute du tréfonds de leur cœur ! De leur psyché !

D'ailleurs, souvent (trop souvent !) le « patient » lui-même, celui qui pâtit, qui souffre, qui est immergé jusqu'au cou dans le monde de la psychiatrie, oublie, ou ne veut pas (ne veut plus ?), surtout dans la société actuelle, « prendre sur soi », comme l'on dit si justement dans la langue française. C'est-à-dire, apprendre (ré-apprendre ?) petit à petit, à l'aide et à l'écoute - dans un premier temps- d'une parole consciencieuse et modeste, sensible jusqu'à l'excès, une parole que, à l'heure actuelle, on voudrait par la force de lois glaciales et non pertinentes, bannir des hôpitaux, ou faire taire, ou dont on voudrait délimiter les compétences - réapprendre donc à faire face à ses propres maux, à ses propres souffrances ( mais aussi à ses joies, imprévues !), pour tenter de les vivre à nouveau, et au milieu de la société. Cela, tout en sachant que la plupart des humains qui fondent cette même société - souvent - refuseront sa parole, à cause de son passé, sur lequel s'inscrit trop souvent, et à jamais, le mot d'« inguérissable ».

Apprendre, réapprendre (s'y exerçant quotidiennement) à marcher -seul-, vers un chemin d'une majeure liberté, mais aussi d'une majeure autonomie. Vers son propre chemin. Car -à mes yeux- le « fou » est une sorte de « voyageur de l'âme », mais un voyageur de l'âme, « entravé » de l'intérieur. Qu'en sera-t-il alors, de lui, lorsqu'il le sera aussi de l'extérieur ?

* Il paraît qu’en français (tout comme en italien) il faudrait employer le mot « amour » au masculin, tout au moins lorsqu’il est exprimé au singulier. Je préfère l’employer au féminin, parce qu’il me paraît plus riche, mieux répondant, et plus chaud, pour ainsi dire.

Cet article est paru dans la revue Chimères n°70.







SCIENCES

16/11/2009 19:14


La contrainte en psychiatrie, un moindre mal ?

En partenariat avec Bayard, la Cité des sciences de la Villette organise le 17 novembre 2009 les Rencontres vidéo en santé mentale. A cette occasion, « La Croix » donne la parole à des personnes malades.

Grégoire, 19 ans, allait mal depuis quelques mois, sans que ses parents aient vu la « crise » arriver. Puis le couperet est tombé violemment : il s’est mis à ne plus dormir, à marcher de long en large dans l’appartement, et à tenir des propos incohérents… Une nuit, alors que son état s’était encore aggravé, ses parents ont appelé les pompiers. « Votre fils est majeur, leur a-t-il été répondu. S’il ne veut pas aller à l’hôpital, on ne peut rien faire pour lui, il faut que vous appeliez la police. » Mais, explique son père, « face à notre désespoir, ils nous ont proposé d’utiliser un subterfuge : “Posez-lui n’importe quelle question (“Veux-tu que quelqu’un vienne s’occuper de toi ?”), s’il répond oui, on vous envoie une équipe.” » La ruse a fonctionné. Grégoire a été embarqué aux urgences de l’hôpital du secteur, puis hospitalisé sous la contrainte.«

C’est une vraie violence qu’on lui a faite, reconnaît son père. Nous avons abusé de sa faiblesse, profité de son désarroi pour le piéger. Mais on n’avait pas le choix : c’était comme jeter la couverture sur quelqu’un qui brûle. Mon fils ne nous l’a d’ailleurs jamais reproché. » Après un mois d’hospitalisation, Grégoire vit dans un appartement thérapeutique et accepte de prendre ses médicaments. Mais son père ne sait pas s’il les prend pour son bien-être, les médecins ayant réussi à le convaincre, ou par peur de la menace répétée d’un retour à l’hôpital s’il ne les prend pas. « C’est dur à dire, soupire-t-il, mais c’est sans doute plus difficile encore à entendre. »

L’hospitalisation sous contrainte, que l’on impose à certains malades psychiques – notamment lors de leur première crise, parce qu’il y a urgence, voire danger, ou que le déni de leur maladie fait partie de leurs troubles –, reste une expérience traumatisante pour tous, à commencer par les malades eux-mêmes. Si certains reconnaissent a posteriori qu’on leur a rendu service, d’autres en gardent un sentiment de persécution et une perte de confiance douloureuse.

"C’est traumatisant, vous perdez toute croyance en toute valeur de la société"

Ainsi Philippe, 56 ans, hospitalisé à deux reprises à cause de « syndromes bipolaires », est persuadé que c’est « la contrainte qui (l’)a rendu malade ». « C’est traumatisant de subir cela, dit-il, vous perdez toute croyance en toute valeur de la société : ce passage par l’infirmerie de la préfecture, cette espèce de garde à vue punitive, où on ne vous parle pas, mais où on vous bourre de médicaments. Puis l’hôpital où on vous refuse toute activité, tout contact avec l’extérieur, et où vous n’avez aucun droit, sauf celui de prendre vos médicaments. Si vous refusez de les prendre, on vous met dans une cellule d’isolement, et on vous les injecte de force… » Aujourd’hui, il vient dans un accueil de jour participer à des activités et prendre ses médicaments. Le fait-il de son plein gré ? «Cette question n’a pas de sens, rétorque-t-il avec humour. Notre seul choix est de dire oui, sinon on nous réinterne : c’est l’injonction de l’injection ! »

François, 53 ans, interné il y a dix ans à la demande de ses frères pour une « grosse dépression » (diagnostiquée comme trouble bipolaire), garde le sentiment amer qu’on a voulu « se débarrasser de lui » et souffre qu’on l’ait « privé de sa décision ». « Mes frères ont fait venir un psychiatre chez moi, mais comme je ne voulais pas bouger (je disais que je n’étais pas malade, c’est ce qu’on dit dans ces cas-là), ils ont appelé la police, qui m’a conduit à l’hôpital. Peut-être ont-ils eu raison, mais je l’ai très mal vécu : j’aurais voulu qu’on m’explique, qu’on me rassure ; j’avais plus besoin de soutien psychologique que de police et d’ambulance. »

Il a souffert d’autres choix dont il s’est senti spolié, notamment la mise sous curatelle. « Peut-on vous priver de vos droits et libertés parce que vous êtes en souffrance psychique ? On nous dit : c’est pour notre bien… Mais on ne sait pas tout le mal que cela nous fait. En même temps, y avait-il d’autres solutions ? »

"La contrainte n’est pas tenable sur le long terme"

Ces « autres solutions », préservant à la fois la liberté et la santé du malade et celles de son entourage, Catherine les cherche encore. Son fils Julien, 21 ans, souffre depuis deux ans de troubles psychotiques, et refuse de se soigner. Il ne peut pas être hospitalisé sous la contrainte, car il n’est pas en crise aiguë, n’est pas considéré comme dangereux pour lui-même ou pour les autres. « Or, souligne Catherine, la famille peut vivre des situations de violence psychique, d’épuisement nerveux, de tyrannie quotidienne du malade, sans qu’il y ait pour autant délire ou passage à l’acte violent. Par ailleurs, l’hospitalisation ne résout pas tout, quand la personne est renvoyée chez elle au bout d’un certain temps. Car la contrainte n’est pas tenable sur le long terme.»

Pour obliger certains patients à se soigner sur une plus longue durée, sans pour autant les hospitaliser, l’Union nationale des amis et familles de malades psychiques (Unafam) préconise, avec l’appui de psychiatres, une réforme de la législation qui permette d’imposer des soins en ambulatoire sans consentement. Une mesure qui n’est pas à l’abri d’une récupération sécuritaire, craignent certains médecins, et qui soulève de nombreuses questions éthiques (lire débat) : doit-on et peut-on soigner un malade psychique contre son gré, voire par la force ? Dans quels cas et dans quel but ? Qui cherche-t-on avant tout à protéger : le patient, l’entourage, la société ? Et de quels types de soins parle-t-on ?

« La famille pourrait intervenir au déclenchement de la procédure, car elle est le veilleur au quotidien. C’est elle qui est en risque aujourd’hui, estime Jean Canneva, président de l’Unafam. C’est donc elle qui pourrait faire cette demande de soins intensifs. L’idéal est de rechercher le consentement de la personne, mais il est difficile d’attendre sa volonté quand la maladie porte sur sa capacité à décider. Il faut donc qu’à certains moments quelqu’un décide à sa place. Qui ? Je ne serais pas contre une décision judiciaire quelque part. »

Pour Claude Finkelstein, présidente de la Fédération nationale des patients en psychiatrie (Fnapsy), la réflexion devrait rester dans un tri comportant le patient, le soignant, et éventuellement le juge, mais pas la famille : « Ce n’est pas de sa responsabilité de priver une personne de sa liberté. Je comprends leur peur, leur terrible demande de prise en charge. Mais tout cela n’est pas toujours très sain. Je souhaiterais que cette obligation de soin ne soit pas perçue comme une menace ou une punition, comme les hospitalisations sous contrainte le sont souvent, ce qui empêche la personne de prendre conscience qu’elle est malade, la désinsère immédiatement, et l’empêche de s’en sortir. Mais qu’elle prenne la forme d’un contrat de soin entre le médecin et la personne, et qu’on ne la médicalise pas tout de suite. Sous prétexte qu’il n’y a pas assez de soignants, on ne prend plus le temps de le faire. Or, je suis sûre que dans 85 % des cas d’hospitalisation sous contrainte, si on prenait le temps de leur expliquer, on arriverait à leur faire accepter un contrat de soin, qui respecte leur liberté. »
Christine LEGRAND

lundi 16 novembre 2009




Une nouvelle stratégie pour la santé mentale

NOUVELOBS.COM | 17.11.2009 |

De la souffrance au travail aux difficultés de la vieillesse, en passant par le malaise des jeunes, les inégalités ou l’estime de soi… C’est une notion élargie de la santé mentale que Nathalie Kosciusko-Morizet souhaite promouvoir.


Sortir la santé mentale du seul cadre médical et thérapeutique pour l’envisager de façon beaucoup plus large, incluant un grand nombre d’éléments qui définissent notre qualité de vie… Telle est l’ambition affichée par Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’Etat chargée de la prospective et du développement de l’économie numérique, en présentant aujourd’hui un nouveau rapport intitulé La santé mentale, l’affaire de tous: pour une approche cohérente de la qualité de vie.

Si un tel sujet est abordé hors des auspices du ministère de la Santé, c’est justement pour dépasser une approche normative et curative, a précisé ce matin Mme Kosciusko-Morizet. L’actuel plan santé mentale est centré sur les troubles mentaux et la psychiatrie. Le rapport du centre d’analyse stratégique se place lui dans le sillon creusé par le rapport Stiglitz qui prône la création de nouveaux indicateurs économiques tenant compte du bien-être des ménages, et plus seulement de leurs revenus.

La maladie mentale n’est qu’un aspect de la santé mentale, écrivent les auteurs du rapport, un groupe présidé par la psychiatre et épidémiologiste Viviane Kovess-Masféty. Il faut aussi prendre en compte «la détresse ou souffrance psychologique» (stress, anxiété, culpabilité, etc..) et la «santé mentale positive» (estime de soi, réalisation, accomplissement…). Une bonne santé mentale semble être indispensable à une vie réussie, note le rapport. Or les jeunes de 15 à 19 ans, les actifs, les femmes et les personnes âgées seraient les groupes les plus exposés à la souffrance psychologique.

Eviter la consommation excessive d’antidépresseurs, aider les jeunes à prendre confiance en eux, réhabiliter la qualité de vie au travail, s’intéresser davantage aux difficultés des personnes âgées dépendantes sont quelques unes des recommandations des auteurs. Vaste programme…

Nathalie Kosciusko-Morizet a insisté sur le fait que ce rapport était une première étape dans la considération des enjeux de santé mentale, une initiative destinée à lancer le débat.

C.D.
Sciences-et-Avenir.com
17/11/09