mardi 17 novembre 2009




SCIENCES

16/11/2009 19:14


La contrainte en psychiatrie, un moindre mal ?

En partenariat avec Bayard, la Cité des sciences de la Villette organise le 17 novembre 2009 les Rencontres vidéo en santé mentale. A cette occasion, « La Croix » donne la parole à des personnes malades.

Grégoire, 19 ans, allait mal depuis quelques mois, sans que ses parents aient vu la « crise » arriver. Puis le couperet est tombé violemment : il s’est mis à ne plus dormir, à marcher de long en large dans l’appartement, et à tenir des propos incohérents… Une nuit, alors que son état s’était encore aggravé, ses parents ont appelé les pompiers. « Votre fils est majeur, leur a-t-il été répondu. S’il ne veut pas aller à l’hôpital, on ne peut rien faire pour lui, il faut que vous appeliez la police. » Mais, explique son père, « face à notre désespoir, ils nous ont proposé d’utiliser un subterfuge : “Posez-lui n’importe quelle question (“Veux-tu que quelqu’un vienne s’occuper de toi ?”), s’il répond oui, on vous envoie une équipe.” » La ruse a fonctionné. Grégoire a été embarqué aux urgences de l’hôpital du secteur, puis hospitalisé sous la contrainte.«

C’est une vraie violence qu’on lui a faite, reconnaît son père. Nous avons abusé de sa faiblesse, profité de son désarroi pour le piéger. Mais on n’avait pas le choix : c’était comme jeter la couverture sur quelqu’un qui brûle. Mon fils ne nous l’a d’ailleurs jamais reproché. » Après un mois d’hospitalisation, Grégoire vit dans un appartement thérapeutique et accepte de prendre ses médicaments. Mais son père ne sait pas s’il les prend pour son bien-être, les médecins ayant réussi à le convaincre, ou par peur de la menace répétée d’un retour à l’hôpital s’il ne les prend pas. « C’est dur à dire, soupire-t-il, mais c’est sans doute plus difficile encore à entendre. »

L’hospitalisation sous contrainte, que l’on impose à certains malades psychiques – notamment lors de leur première crise, parce qu’il y a urgence, voire danger, ou que le déni de leur maladie fait partie de leurs troubles –, reste une expérience traumatisante pour tous, à commencer par les malades eux-mêmes. Si certains reconnaissent a posteriori qu’on leur a rendu service, d’autres en gardent un sentiment de persécution et une perte de confiance douloureuse.

"C’est traumatisant, vous perdez toute croyance en toute valeur de la société"

Ainsi Philippe, 56 ans, hospitalisé à deux reprises à cause de « syndromes bipolaires », est persuadé que c’est « la contrainte qui (l’)a rendu malade ». « C’est traumatisant de subir cela, dit-il, vous perdez toute croyance en toute valeur de la société : ce passage par l’infirmerie de la préfecture, cette espèce de garde à vue punitive, où on ne vous parle pas, mais où on vous bourre de médicaments. Puis l’hôpital où on vous refuse toute activité, tout contact avec l’extérieur, et où vous n’avez aucun droit, sauf celui de prendre vos médicaments. Si vous refusez de les prendre, on vous met dans une cellule d’isolement, et on vous les injecte de force… » Aujourd’hui, il vient dans un accueil de jour participer à des activités et prendre ses médicaments. Le fait-il de son plein gré ? «Cette question n’a pas de sens, rétorque-t-il avec humour. Notre seul choix est de dire oui, sinon on nous réinterne : c’est l’injonction de l’injection ! »

François, 53 ans, interné il y a dix ans à la demande de ses frères pour une « grosse dépression » (diagnostiquée comme trouble bipolaire), garde le sentiment amer qu’on a voulu « se débarrasser de lui » et souffre qu’on l’ait « privé de sa décision ». « Mes frères ont fait venir un psychiatre chez moi, mais comme je ne voulais pas bouger (je disais que je n’étais pas malade, c’est ce qu’on dit dans ces cas-là), ils ont appelé la police, qui m’a conduit à l’hôpital. Peut-être ont-ils eu raison, mais je l’ai très mal vécu : j’aurais voulu qu’on m’explique, qu’on me rassure ; j’avais plus besoin de soutien psychologique que de police et d’ambulance. »

Il a souffert d’autres choix dont il s’est senti spolié, notamment la mise sous curatelle. « Peut-on vous priver de vos droits et libertés parce que vous êtes en souffrance psychique ? On nous dit : c’est pour notre bien… Mais on ne sait pas tout le mal que cela nous fait. En même temps, y avait-il d’autres solutions ? »

"La contrainte n’est pas tenable sur le long terme"

Ces « autres solutions », préservant à la fois la liberté et la santé du malade et celles de son entourage, Catherine les cherche encore. Son fils Julien, 21 ans, souffre depuis deux ans de troubles psychotiques, et refuse de se soigner. Il ne peut pas être hospitalisé sous la contrainte, car il n’est pas en crise aiguë, n’est pas considéré comme dangereux pour lui-même ou pour les autres. « Or, souligne Catherine, la famille peut vivre des situations de violence psychique, d’épuisement nerveux, de tyrannie quotidienne du malade, sans qu’il y ait pour autant délire ou passage à l’acte violent. Par ailleurs, l’hospitalisation ne résout pas tout, quand la personne est renvoyée chez elle au bout d’un certain temps. Car la contrainte n’est pas tenable sur le long terme.»

Pour obliger certains patients à se soigner sur une plus longue durée, sans pour autant les hospitaliser, l’Union nationale des amis et familles de malades psychiques (Unafam) préconise, avec l’appui de psychiatres, une réforme de la législation qui permette d’imposer des soins en ambulatoire sans consentement. Une mesure qui n’est pas à l’abri d’une récupération sécuritaire, craignent certains médecins, et qui soulève de nombreuses questions éthiques (lire débat) : doit-on et peut-on soigner un malade psychique contre son gré, voire par la force ? Dans quels cas et dans quel but ? Qui cherche-t-on avant tout à protéger : le patient, l’entourage, la société ? Et de quels types de soins parle-t-on ?

« La famille pourrait intervenir au déclenchement de la procédure, car elle est le veilleur au quotidien. C’est elle qui est en risque aujourd’hui, estime Jean Canneva, président de l’Unafam. C’est donc elle qui pourrait faire cette demande de soins intensifs. L’idéal est de rechercher le consentement de la personne, mais il est difficile d’attendre sa volonté quand la maladie porte sur sa capacité à décider. Il faut donc qu’à certains moments quelqu’un décide à sa place. Qui ? Je ne serais pas contre une décision judiciaire quelque part. »

Pour Claude Finkelstein, présidente de la Fédération nationale des patients en psychiatrie (Fnapsy), la réflexion devrait rester dans un tri comportant le patient, le soignant, et éventuellement le juge, mais pas la famille : « Ce n’est pas de sa responsabilité de priver une personne de sa liberté. Je comprends leur peur, leur terrible demande de prise en charge. Mais tout cela n’est pas toujours très sain. Je souhaiterais que cette obligation de soin ne soit pas perçue comme une menace ou une punition, comme les hospitalisations sous contrainte le sont souvent, ce qui empêche la personne de prendre conscience qu’elle est malade, la désinsère immédiatement, et l’empêche de s’en sortir. Mais qu’elle prenne la forme d’un contrat de soin entre le médecin et la personne, et qu’on ne la médicalise pas tout de suite. Sous prétexte qu’il n’y a pas assez de soignants, on ne prend plus le temps de le faire. Or, je suis sûre que dans 85 % des cas d’hospitalisation sous contrainte, si on prenait le temps de leur expliquer, on arriverait à leur faire accepter un contrat de soin, qui respecte leur liberté. »
Christine LEGRAND

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