dimanche 6 décembre 2009





Livres 26/11/2009

Roustang démonte le divan

Critique

Recueil de textes du psy iconoclaste et spécialiste de l’hypnose

Par GENEVIÈVE DELAISI DE PARSEVAL psychanalyste

François Roustang Feuilles oubliées, feuilles retrouvées Payot, 256 pp., 18 €. Le secret de Socrate pour changer la vie Odile Jacob,238 pp., 23,50 €. Un destin si funeste, Elle ne le lâche plus, Le Bal masqué de Giacomo Casanova, Lacan, De l’équivoque à l’impasse «Petite bibliothèque Payot», 8 € chaque.

Vingt ans père jésuite, vingt ans psychanalyste, désormais théoricien et praticien de l’hypnose, tel est François Roustang, personnage inclassable dans le paysage contemporain de la psychanalyse, à moins que ce ne soit de la philosophie. Les éditions Payot ont l’heureuse idée de reprendre en poche une partie de son œuvre. L’homme est éclectique et fécond.

Il est important de comprendre quelle hypnose il défend : c’est celle du «pape» de la discipline, Milton Erickson, psychiatre américain (mort en 1980) dont l’approche repose sur la conviction que le patient possède en lui les ressources pour répondre de manière appropriée aux situations qu’il rencontre. C’est le fil rouge des travaux de Roustang, chemin qui l’a conduit à s’éloigner petit à petit de la psychanalyse ; ce dont témoigne par exemple Un destin si funeste.

Transfert. L’approche psychanalytique qu’il fustige est d’abord celle de Lacan ; Roustang est à l’évidence un «déçu de Lacan» (y aurait-il du dépit amoureux ?), d’un Lacan qu’il a manifestement bien connu. Mais Freud aussi en prend pour son grade, Freud qui, comme fondateur d’Ecole, a instauré selon Roustang des relations perverses avec ses disciples. Il y aurait «un nombre significatif de cadavres dans le placard» de la psychanalyse. D’où, par extension, la critique majeure de Roustang, qui repose sur l’usage du transfert : «J’ai bien été obligé de me demander si ce n’était pas la cure analytique elle-même, et spécifiquement le transfert en analyse, qui étaient la source de ces liens passionnels difficiles à rompre»(Feuilles oubliées).

Notre homme n’y va pas par quatre chemins ; ce n’est pas, insiste-il, parce que le psychanalyste se dérobe à la vue du patient qu’il ne suggère pas, qu’il n’influence pas. Les patients, par exemple, c’est bien connu, rêvent pour leur analyste… Lacan (qui jouait essentiellement de la séduction, selon Roustang) reconnaissait lui-même qu’un Africain venu avec sa culture sur le divan d’un analyste en ressortait avec un inconscient d’Occidental ! La messe est dite (à croire parfois que, si on mettait Jésus à la place de Freud ou de Lacan, cela marcherait pareil, mais peut-être est-ce une mauvaise pensée…).

Roustang ironise sur «les sectes protectrices à l’intérieur desquelles s’abritent la plupart des analystes, rendus ainsi incapables d’entendre les questions qui viennent frapper à leur porte, ni de se remettre en cause». Il évoque «les estropiés de la psychanalyse qui se sont servis du divan pour revivre les amères douceurs, l’abandon maternel ou les jeux infinis de la soumission révoltée des adolescents» ! On ne s’ennuie pas. Seul Ferenczi trouve grâce à ses yeux, car il avait compris que l’attention flottante exigée du psychanalyste supposait de sa part un état de transe (on rejoint là l’intérêt de l’hypnose). Parmi nombre de changements d’ordre épistémologique proposés à la métapsychologie, notre iconoclaste suggère de remplacer la notion d’inconscient par celle d’«animalité humaine». Il faut lire, c’est passionnant et novateur.

Identité. Socrate est pour Roustang le premier vrai thérapeute, bien que nous apprenions que ce n’est pas lui qui a prononcé le célèbre «Connais-toi toi-même» (le Secret de Socrate pour changer la vie, paru simultanément aux éditions Odile Jacob). Dommage pour les hellénistes distingués et même moins distingués, car cela casse un mythe auquel on aimait bien s’accrocher. Roustang n’est pas à cela près, il étrille gaiement dans la foulée les soi-disant continuateurs de Socrate, à commencer par Platon lui-même !

Notre auteur ne s’adresse guère aux psychanalystes, on s’en doute, bien qu’il soit un enfant du sérail (ou parce qu’il est…) ; à trop le fréquenter ou le lire, un analyste, reconnaît-il, risque de perdre son identité. Les philosophes l’apprécient bien davantage. Et il dit dialoguer beaucoup avec les psychiatres, eux qui sont contraints par les résultats, souligne-t-il non sans ironie, eux «qui ne peuvent se contenter d’être les militants d’une idéologie». Ne nous méprenons pas : il ne s’agit pas ici d’une de ces attaques à la mode contre la psychanalyse venant d’un psychanalyste dévoyé, traître à la cause, dénigrant le sein qui l’a nourri, etc. Roustang fait autorité, son œuvre est impressionnante. Un déconstructeur en somme.


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