vendredi 25 décembre 2009



Critique
La paranoïa comme un des beaux-arts
LE MONDE | 14.12.09 |

Dans l'exposition collective "Chasing Napoleon" du Palais de Tokyo, à Paris, l'oeuvre affolante de Paul Laffoley se fiche comme un coup de poing. Le personnage à lui seul vaut le détour : persuadé d'avoir été enlevé par les extraterrestres, ce septuagénaire américain garderait dans le secret de son cerveau un métal inconnu sur Terre. Pis, il se serait ensuite fait greffer une patte de lion.

Ces anecdotes éclairent d'un jour rocambolesque les toiles qu'il a réalisées au long de sa vie, selon une méthode obsessionnelle : sur des formats carrés se heurtent ovnis et philosophes grecs, ying yang et signes astrologiques, dans des compositions évoquant les mandalas psychédéliques autant que les tableaux d'un savant fou.

Ce pittoresque artiste occulte le reste de l'exposition - intitulée "Chasing Napoleon" en hommage aux fantasmes des aliénés ? Dans chaque salle sont présentés des abris où se protéger du bruit et de la fureur du monde, où s'épargner la folie - ou mieux y plonger.

La cachette souterraine où se lovait Saddam Hussein a été reconstruite par Christoph Büchel. La cabane du terroriste Unabomber a été reconstituée par Robert Kusmirovski. D'autres maisons, hantées celles-là d'un sens du confort bien plus sagement domestique, ont été répertoriées en Islande par Dieter Roth, qui en livre la litanie diapositive.

Quant à Micol Assaël, elle propose de s'enfermer dans un bureau de goulag sibérien frigorifié. Seule échappée à cet ensemble qui fait de la paranoïa un des beaux-arts, les chants d'oiseaux qui envahissent la verrière du palais. Apparemment anodins, ils s'avèrent eux aussi profondément schizophrènes : ils ont été recréés par l'artiste Hannah Rickards à partir de l'enregistrement d'oiseaux de chair et de plumes, qu'elle a ensuite ralenti. De ce matériau, elle a fait une partition, qu'elle a elle-même chantée avant de l'accélérer. Ainsi se perpétue la longue marche du Palais vers la quatrième dimension.

"Chasing Napoleon". Palais de Tokyo, 13, avenue du Président-Wilson, Paris-16e. M° Iéna. Tél. : 01-47-23-54-01. Sur Internet : Palaisdetokyo.com. Tous les jours sauf lundi de midi à minuit. Prix : 6 euros et 4,5 euros. Jusqu'au 17 janvier.

Emmanuelle Lequeux
Article paru dans l'édition du 15.12.09


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