samedi 28 novembre 2009





La psychiatrie malade de son enfermement

Par ÉRIC FAVEREAU Jean-Marie Delarue contrôleur général des lieux de privation de liberté

La contention des patients, sans véritable contrôle, est devenue quasi systématique dans les hôpitaux, au grand dam des personnels.


Les personnels soignants de la psychiatrie n’aiment pas en parler. Comme si c’était la caricature de leur travail. Comme si revenait le fantasme du film Vol au-dessus d’un nid de coucous avec ces psychiatres qui enferment leurs malades en toute impunité. Comme si, aussi, les profanes ne pouvaient pas comprendre.

Aujourd’hui, pourtant, la situation autour des mesures d’enfermement et de contention – c’est-à-dire des patients attachés – dans les hôpitaux psychiatriques est inédite en France. Est-ce le grand retour de l’enfermement ? Depuis la Seconde Guerre mondiale, en tout cas, on n’a jamais connu cela. Les chambres d’isolement et les mesures de contention se sont multipliées. Il y a vingt ans, elles étaient rarissimes, aujourd’hui elles sont partout, dans presque tous les services de psychiatrie publique. Il n’y a aucun chiffre officiel, mais, jusqu’aux plus hautes autorités sanitaires, nul ne s’en étonne, bien au contraire. Ces dernières justifiant sans complexe cette privation de liberté, qui se fait pourtant en dehors de tout contrôle juridique sérieux.


SÉCURITAIRE. En décembre 2008, juste après l’assassinat d’un jeune par un malade mental échappé de l’hôpital psychiatrique de SaintEgrève (Isère), Nicolas Sarkozy avait tenu un discours uniquement sécuritaire pour la prise en charge des malades mentaux. Sur le moment, personne ne s’était trop étonné d’un plan pour créer 200 chambres nouvelles d’isolement. «Pourquoi ? Ils en manquent ?» ironisait, alors, un psychiatre de Lille. «Le plus grave, ce n’est pas qu’il y a en ait, note avec bon sens le Dr Mercuel, chef du service santé mentale et exclusion sociale du centre hospitalier de Sainte-Anne, à Paris, car on a besoin parfois d’isoler des patients. Mais l’impression que l’on a, c’est que chacun fait sa tambouille personnelle, au gré des difficultés de service» . Sans contrôle ni évaluation, sans même respecter les règles de fonctionnement, faute de personnel.

Depuis quelque temps, Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, a pris en charge ce dossier et, avec son équipe, multiplie des visites. «Nous n’avons pas à juger la pertinence de ces mesures d’isolement, mais ce qui nous frappe à présent, c’est la variété des pratiques dans un même hôpital ou entre deux établissements. Et surtout l’absence de toute évaluation ». Il ajoute : «On a rencontré certaines formes de brèves phases d’isolement, juste quelques heures, le temps d’un répit thérapeutique nous dit-on. Cela peut se comprendre. Mais nous avons constaté des durées longues, très longues, de plusieurs semaines. Et nous avons vu aussi des isolements sans fin. Comme dans ce service de psychiatrie d’un hôpital général où un malade est enfermé dans une chambre avec un seul matelas, à moitié nu. Il est là depuis des années…».

Quand on lui demande ce qu’en disent les patients isolés, Jean-Marie Delarue note que la plupart d’entre eux se plaignent de ne voir jamais, ou si peu, leur psychiatre.


CHOQUÉS. Aujourd’hui, à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, le collectif de la Nuit sécuritaire (www.collectifpsychiatrie.fr), qui s’était formé en riposte au discours de Nicolas Sarkozy de décembre dernier, va discuter toute la journée de cette question. Un débat que les membres du collectif jugent essentiel mais difficile car, même eux, sont gênés, certains choqués devant ces pratiques d’enfermement, d’autres moins. «On doit affronter cette question et ne pas se taire» , explique le psychiatre, Hervé Bokobza, coordonnateur de ce collectif. Michel Guyader, médecin chef de secteur dans l’Essonne, est plus virulent. Forte personnalité, il est l’un des rares psychiatres publics à se révolter ouvertement contre ces pratiques : «C’est pour moi, un déshonneur ». Mais il reconnaît aussi : «Dans mon service, il y a une chambre d’isolement, qui est trop utilisée. J’ai essayé de faire un moratoire, mais j’ai du mal.»


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