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Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

samedi 30 janvier 2010




Des bonnes ondes pour les malades mentaux
Sandrine Cabut
28/01/2010 |


Animée par des patients, une radio diffusée sur Internet veut changer les regards sur le handicap psychique.








Pour l'une, participer à cette radio est l'espoir que «les bien portants comprennent notre différence, qu'ils voient aussi la richesse qu'il y a en nous, la grande sensibilité des malades psychiatriques». Pour une autre, c'est «un moyen de rentrer dans la société en ayant une parole propre». Un troisième y voit «un outil qui aidera à nous intégrer, à nous faire admettre, à ne plus être rejetés». Depuis quelques mois, ces trois patients atteints de troubles mentaux, et bien d'autres, animent Radio Citron. Diffusée pour l'instant sur Internet, cette radio «qui n'a pas peur des pépins» aura peut-être bientôt droit de cité sur les ondes de Radio France, qui parraine l'initiative.

«La radio, c'est le contraire de l'enfermement. Ce serait bien si vos productions pouvaient nous alimenter», leur a assuré Jean-Luc Hees, le président de Radio France, en inaugurant officiellement Radio Citron, mardi, à la Maison de la radio, en présence du maire de Paris et de nombreux patients. Permettre à ces derniers d'exprimer leurs différences et de faire évoluer la perception qu'ils ont d'eux-mêmes, et amener leurs auditeurs à changer de regard sur la maladie mentale, c'est le but de ces radios animées par des malades mentaux. En Argentine, où l'aventure a commencé en 1991, avec la Colifata, première radio à émettre depuis un hôpital psychiatrique, 7 millions de personnes écoutent l'émission. D'autres pays, comme le Brésil, l'Espagne, l'Italie, l'Angleterre, se sont lancés dans des aventures similaires. «Nous nous sommes inspirés de la Colifata», précise sur le site de Radio Citron, l'association l'Élan retrouvé, qui encadre les animateurs. Fondée en 1948, cette association crée et gère des structures sanitaires et médico-sociales pour réadapter et réinsérer les malades atteints de troubles psychiques.

Billets d'humeur, météo, horoscope, mais aussi micro-trottoirs… Les animateurs de Radio Citron assurent une ou plusieurs rubriques. Ils sont amenés à «s'exprimer sur ce qu'ils vivent, pensent ou sentent de la société qui les entoure», chacun avec son ton, plus ou moins humoristique et décalé, expliquent les responsables de l'association. Avec un beau brin de voix, Ekaterina raconte les contes qu'elle a inventés, comme «une vie de bouton». Charly, alias GCD, «Gros Cerveau Déglingué, trente ans de psychiatrie», précise-t-il, lit des poèmes et tient une étonnante «loi de l'horoscope». Il y a aussi une rubrique «conflit de canard» (des recettes de cuisine assez particulières) ; un feuilleton intitulé La Voix de l'autre, récit d'une histoire d'amour à travers des échanges par e-mail. Il y a même des débats philosophiques. En pratique, deux à trois heures d'émission sont enregistrées tous les deux mois. Certains sujets sont traités dans les différents services impliqués de l'association, d'autres donnent la parole à des personnes extérieures à l'institution, mais dont les interviews sont réalisées par les patients, d'autres encore sont débattus en direct. «L'échange avec les auditeurs est capital et pourra se faire à deux niveaux, à l'intérieur de l'Élan retrouvé et avec le grand public, insistent les responsables. Ce seront des échanges écrits sur notre site Internet et par téléphone. Lors de l'enregistrement général, des auditeurs pourront être présents et intervenir.» Une invitation à écouter les différences.

Site de Radio Citron : http://www.radiocitron.com/



Critique

"La Méthode Coué. Histoire d'une pratique de guérison au XXe siècle", d'Hervé Guillemain :
Coué, sa méthode et ses couacs


LE MONDE DES LIVRES | 14.01.10 |

Tous les jours, à tous points de vue, tout va de mieux en mieux." La formule est à répéter vingt fois, à voix haute, matin et soir. L'aide d'une cordelette à nœuds est la bienvenue. Quant à la durée de la prescription, toute la vie fera bien l'affaire. Car cette panacée est "préventive autant que curative". Voilà pratiquement tout le contenu de la célébrissime méthode Coué. Elle est devenue synonyme, dans le langage courant, d'illusion risible et de persuasion inefficace. Voulez-vous brocarder une politique ? Faire comprendre qu'elle se contente de psalmodier que son bilan est positif ? Traitez-la simplement de "méthode Coué", version ringarde et ridicule, en France, du wishful thinking.

Le docteur Emile Coué (1857-1926, pharmacien de son état) n'est plus crédible. Ce ne fut pas toujours le cas. Voilà ce qu'on découvre, avec autant d'intérêt que d'amusement, en lisant l'original travail d'historien conduit par Hervé Guillemain. Autour d'un objet mince, diaphane, presque invisible, il parvient à construire une enquête féconde, qui dessine à sa manière un paysage instructif.

Au départ, un fait banal : un pharmacien de province pratique l'hypnose dans son arrière-boutique, avant la première guerre mondiale. Voilà qu'il s'installe à Nancy, suggère avoir des liens avec l'école où s'illustrèrent Bernheim et Liébeault. Dans les années 1920, son succès devient foudroyant. Les patientes affluent du Royaume-Uni. Des sociétés "couéistes" se fondent un peu partout en Europe comme aux Etats-Unis. Dans les cliniques du lac Léman, on propose soudain, au même menu, à une clientèle plutôt lasse, la méthode Coué et la psychanalyse !

Relayée par les sociétés de théosophie, discrètement parée d'oripeaux indo-bouddhistes, la méthode Coué semble rappeler la répétition des mantras orientaux. Après cette courte gloire, la vaine méthode tombe dans l'oubli et ne subsiste qu'à l'état de proverbe. Jusqu'à ce que le retour de l'hypnose et le revival des suggestions en tout genre viennent amorcer des tentatives de réhabilitation. Tout l'attrait de cette belle enquête est finalement de faire comprendre comment la gloire, l'éclipse, puis le retour de Coué sont autant de signes de la composition, de la décomposition et de la recomposition du paysage psychothérapeutique. Evincée par le triomphe de la psychanalyse, la méthode Coué réapparaît. On recommence, dans les années 1990, à célébrer ses vertus, et la gloire de son créateur.

Car cet homme sans intérêt, qui avait sans doute fini par se convaincre lui-même d'avoir inventé quelque chose, est bien l'un des grands précurseurs de cette soupe éclectique qu'on nous sert aujourd'hui à grandes louches sous le nom de "développement personnel". L'idée est toujours la même : positivez, tout va changer. Persuadez-vous que tout va bien, ça finira vite par être le cas. En juillet 1921, le quotidien Le Matin décrétait qu'Emile Coué était "le plus grand optimiste de France". Depuis, il y a de la concurrence. Décidément, tout va de mieux en mieux.

LA MÉTHODE COUÉ. HISTOIRE D'UNE PRATIQUE DE GUÉRISON AU XXE SIÈCLE d'Hervé Guillemain. Seuil, "L'Univers historique", 396 p., 21 €.

Roger-Pol Droit





Phil'Info

En finir avec Freud ? Le débat Onfray-Miller

Michel Onfray a entrepris de déboulonner la statue de Freud. Nous lui avons proposé d'en débattre avec le psychanalyste Jacques-Alain Milller. Le débat paraît dans notre numéro de février, avec un dossier Freud (en kiosque le 21 janvier). En voici un avant-goût.

À lire aussi dans le numéro de février, le dossier Freud, avec un extrait du Malaise dans la civilisation en cahier central, et le dossier de couverture : « Le socialisme peut-il renaître ? »

Pour un avant-goût du débat, cliquer sur le lien suivant : http://philomag.com/fiche-philinfo.php?id=167



Keynes ou l'économistes citoyen

Bernard Maris, Presses de Sciences po, 1999, 104 p., 75 F.
Sylvain Allemand

Dans les manuels d'économie, le nom de Keynes est associé aux politiques de relance par la consommation mises en œuvre dès l'après-guerre dans les pays industrialisés avant d'être contestées à partir du milieu des années 70. Pourtant, l'apport de l'auteur de la Théorie générale est bien plus considérable : Keynes fut l'un des premiers à analyser l'économie en termes de conventions, de prophéties autoréalisatrices, d'anticipations rationnelles... Autant d'intuitions qui ont depuis très largement contribué à lever le voile sur l'énigme des marchés et le comportement des agents économiques.

C'est cette postérité que l'économiste Bernard Maris entend restituer à travers une présentation qui replace le célèbre économiste dans le contexte de son époque. Si la fréquentation par Keynes du cercle des bloomsburiens (Virginia Woolf, Bertrand Russel...) a très largement contribué à sa réputation d'économiste pas comme les autres, on sait moins en revanche qu'il fut un lecteur attentif de Freud, et que sa théorie de la monnaie s'inspire directement de l'interprétation psychanalytique de l'argent. Pour Keynes, rappelle B. Maris, la préférence pour l'épargne n'était rien d'autre que la marque d'un esprit infantile.

Quant aux vertus citoyennes prêtées dans le titre à cet économiste, elles sont à deviner au fil des pages dans sa participation à la vie publique ainsi que dans certaines prises de position, notamment au sujet des réparations infligées à l'Allemagne au lendemain de la Première Guerre mondiale...

Pour B. Maris, elles se sont aussi manifestées dans cette propension, plutôt rare pour un économiste, à vouloir restreindre autant que possible la place de l'économie dans la société


Centre d’études du vivant
Université Paris-Diderot - Paris 7.

Séminaire Deux critiques de la sexualité, deux conceptions du désir et du plaisir : la controverse entre Gilles Deleuze et Michel Foucault

par Monique David-Ménard

Les jeudis 04.02, 11.02, 18.02, 08.04 et 15.04 de 12h à 14h
Salle 238A – Bâtiment Condorcet - 4, rue Elsa Morante – 75013 Paris

Organisé dans le cadre du Centre d’études du vivant ce séminaire s’adresse aussi aux étudiants du Master Recherche et de l’Ecole doctorale « Recherches en psychanalyse ».

Désir ou plaisir ? La controverse entre Gilles Deleuze et Michel Foucault dans leur critique de la psychanalyse

Gilles Deleuze et Michel Foucault renouvellent l’art de poser des problèmes philosophiques sur le mode d’un voisinage paradoxal : critique constante du sujet cartésien ou phénoménologique, pas de côté par rapport à l’insistance sur le sens dans la pensée et par rapport à la structure dans l’abord du langage, mise en valeur de singularités impersonnelles comme caractère du réel, critique de la notion de négativité - qu’elle soit comprise dans la dialectique hégélienne ou dans l’idée lacanienne du manque à être constituant le désir - au profit des « positivités » ; réévaluation de cette organisation du temps qu’on appelle l’Histoire au profit des devenirs chez Deleuze et des ruptures transversales qui traversent les institutions, les savoirs et les pouvoirs chez Foucault ; nouvelle pensée des relations - liaisons disjonctives et rhizomes pour l’un, espaces de dispersion des énoncés pour l’autre -, lecture décisive de Nietzsche pour les deux et compagnonnage critique avec Kant etc…on n’en finirait pas de citer des thèmes qui balisent leur proximité. Pourtant ils font de la philosophie de deux façons peut-être incompatibles et en tout cas exclusives : Foucault évite avec génie toute thèse métaphysique alors que Deleuze produit une métaphysique neuve.

De cette proximité exclusive témoignent au mieux deux termes : agencements des désirs, des concepts et des créations chez Deleuze, dispositifs des savoirs et des pouvoirs chez Foucault. Ces termes indiquent l’un comme l’autre la distance prise par Deleuze et Foucault, par rapport aux oppositions de base de la philosophie : sujet et objet, sensible et intelligible, connaître et agir etc…et aussi les principes de leur critique de la psychanalyse. Pourtant, ils sont tout sauf équivalents, car les agencements dans leurs devenirs ont une affinité avec l’infini alors que les positivités que Foucault nomme dispositifs sont délimités, précis et ne communiquent aucunement les uns avec les autres. Cette différence devient une divergence lorsqu’ils opposèrent deux critiques de la psychanalyse : faut-il garder le terme de désir (Deleuze et Guattari) ou celui de plaisir (Foucault ?). Le séminaire fera le point sur la portée, politique et philosophique de cette controverse.

mercredi 27 janvier 2010

Les Livres de Psychanalyse
vendredi 15 janvier 2010

La Passion évaluative

NOUVELLE REVUE DE PSYCHOSOCIOLOGIE n°8












Éditions Erès
Prix : 25 €
janvier 2010


Ce numéro a comme projet de favoriser une réflexion, la plus approfondie et la plus argumentée possible, sur ce qu’on pourrait appeler la « passion » ou même « la rage » évaluative contemporaine, sur les racines de cette passion qui est sous-jacente aux procédures d’habilitation, d’accréditation, de certification, d’indexation, sur les méthodes d’évaluation en vigueur et sur leur intérêt, leurs limites ou leurs impasses, sur les acteurs du processus, sur les domaines variés de l’évaluation, (l’enseignement, la formation, les organisations industrielles et commerciales, les institutions du secteur sanitaire et social, etc.). En définitive, il a pour but de favoriser une compréhension du devenir de l’évaluation et d’explorer le rapport qu’elle entretient avec le jugement, la sanction ou, au contraire, avec le développement d’individus et d’organisations qui se confrontent avec l’inévaluable.

Coordination : Gilles AMADO - Eugene ENRIQUEZ

Ont participé à ce numéro : Frederic BLONDEL - Marcel BOLLE DE BAL - Valerie BOUSSARD - Xavier BRIFFAULT - Marco BRUNOD - Christophe DEJOURS - Marie-jose DEL VOLGO - Sabine DELZESCAUX - Emmanuel DIET - Elian DJAOUI - Georges GAILLARD - Isabelle GERNET - Roland GORI - Andre LEVY - Jacqueline LORTHIOIS - Jean-pierre PINEL - Gerard REYRE - Jacques RHEAUME - Monica SAVIO - Rachel SIMBU - Daniele WEIS



Quelle liberté pour le sujet à l'époque de la folie quantitative ?
Hervé Castanet (dir.)













Paru le : 02/12/2009
Editeur : Pleins Feux
Collection : L'impensé contemporain
Prix : 25 €


Nous vivons sous le règne de la règle.
Celle-ci ne s'encombre ni de principes ni de généralités. Elle accumule les chiffres, fait série, prétend répondre à chaque cas. Sa logique est de tout intégrer partie après partie. Elle est métonymique et inductive. Prise concrètement, cette règle semble toujours ouverte, illimitée. Elle est souvent illogique (les chiffres ne sont que listes et ne renvoient à aucune réalité). Elle se proclame faussement règle qualitative tout en confondant la partie de la totalité avec la singularité qui y objecte.
Un terme classique la désigne : folie totalitaire - folie quantitative. Utopie insidieuse, elle est principe de mort et asservit les peuples. Comment la contrer ? Une direction est posée par Jacques-Alain Miller :
" C'est une erreur, disait Lacan, que de faire de l'inconscient un dedans. Oui, parfaitement, l'inconscient est au-dehors, il est à penser en extériorité. C'est pourquoi, oui, "l'inconscient, c'est la politique".
Laissée à sa pente naturelle, la politique, nous le voyons tous les jours, est fantasmatique, mégalomaniaque, délirante. Bref : elle a besoin de psychanalystes, et de ceux, cliniciens et intellectuels, que la lecture de Lacan a formés " (Jacques-Alain Miller, Le Nouvel Ane, n° 8, février 2008, p. 3). Notre arme a un nom : c'est " le fer de lance, la pointe avancée de l'enseignement de Lacan appliqué à la guerre de civilisation en cours " (ibid.).
Pour cette guerre, il s'agit pour chacun de se réinventer. Car, bien sûr, " tout est pour le mieux dans le pire des mondes possibles " (Philippe Sollers) ! Hervé Castanet.

Appel des appels

Colloque : la passion évaluative
Samedi 13 mars 2010

http://www.appeldesappels.org/spip.php?article235

ESCP EUROPE
79 avenue de la République,
75011 Paris (Métro Saint‐Maur)

Une demi-journée de rencontres est prévue autour de la sortie du n°8 de la Nouvelle revue de psychosociologie : en première partie, l’idéologie évaluative en question avec une intervention de Roland Gori, et une seconde une réflexion sur les pratiques évaluatives : dérives et perspectives.

Il est de notoriété publique aujourd’hui que les pratiques d’évaluation multiples et variées tendent à envahir tous les niveaux de la société française, évaluations dans l’ensemble plus sommatives que normatives, parfois dans un délire quantophrénique et insidieusement normalisateur. Bien entendu, un refus absolu de l’évaluation serait à la fois suspect et naïf car aucun groupement ne peut s’instituer et durer s’il oublie de mettre au point certains indicateurs témoignant de ses choix. L’évaluation ne peut donc être totalement dissociée d’un jugement, lequel se réfère de près ou de loin à des règles, des valeurs ou des croyances plus ou moins claires. C’est pourquoi en cette période d’activisme évaluatif, il nous paraît important non seulement de faire le point sur les dérives, impasses et perversions actuelles de certaines pratiques et procédures, mais aussi d’explorer les conditions permettant de faire de l’évaluation un processus à la fois dynamique et créateur.


Contre l'uniforme mental. Scientificité de la psychanalyse face au neurocognitivisme
Gérard Pirlot











Pour l’auteur de cet essai engagé, le discours cognitivo-comportemental dans la psychologie clinique et la psychiatrie est une « lobotomisation théorique » et un « prêt-à-porter » intellectuel assorti au « politiquement correct » ambiant qui veut éliminer la réflexion apportée par la psychopathologie psychanalytique.

Or, selon lui, l’épistémologie scientifique de ce quantitativisme est obsolète concernant la vie psychique : du fait du développement des sciences de l'auto-organisation, des théories du chaos déterministe, du connexionnisme neuroscientifique et du darwinisme neuronal, c’est plutôt aujourd’hui l’œuvre théorique de Sigmund Freud et la psychanalyse qui se trouvent être en mesure de se voir reliées au domaine scientifique, en particulier celle des sciences de la complexité.

Après une critique du quantitativisme auquel conduit, dans la clinique, le neurocognitivisme actuel, l’ouvrage cherche à montrer combien nombre d’hypothèses freudiennes (sur l’associationnisme cérébral et psychique, la mémoire, le refoulement, l’inconscient, les liens entre émotion, souvenir et acte moteur, les fonctions du rêve) sont aujourd’hui validées par les neurosciences.

Portraits de femmes en analyste - Lacan et le contre-transfert
Gloria Leff











Sortie le: 26/11/2009
Editeur : Epel
Collection : Essais
Prix : 24 €


Ferenczi le notait déjà en 1924 : « Dans toute analyse normale, l’analyste joue, en effet, tous les rôles possibles, sans exception, pour l’inconscient du patient ; il ne tient qu’à lui de reconnaître ce rôle chaque fois au moment opportun et de s’en servir consciemment selon les circonstances . » Mais quand l’analyste endosse un rôle particulier, qu’est-ce qui se met en marche ? Qu’est-ce qui entre en jeu ? Comment la réussite ou l’échec d’une analyse pourraient-ils dépendre de cette représentation ? Lacan, dans le séminaire L’angoisse, dégage pour ces questions un abord d’une autre veine en relevant qu’une des analyses rapportées par une « femme analyste » avait réussi parce qu’elle avait fait jouer son contre-transfert. Le contre-transfert a toujours été un des thèmes les plus discutés entre analystes et ce, indépendamment de leur appartenance doctrinaire ou du groupe analytique dont ils se réclament. La condamnation de Freud en 1910 n’a pas endigué l’intérêt des analystes pour ce problème ; pas plus que le rejet de Lacan, et des lacaniens – qui eux ont essayé de rabattre l’affaire sur la notion du « désir de l’analyste »-, n’a pu, lui non plus, mettre un terme à cette question. En 1962-1963, la position de Lacan est beaucoup plus nuancée : il s’appuie sur une anecdote sur le Talmud pour circonscrire la spécificité de l’érotique analytique et reconnaître que psychanalyste et psychanalysant ressortent marqués de s’être trouvés « ensemble dans la cheminée ». Il reprend alors la problématique contre-transférentielle et la met dans la bouche (et sous la plume) de quelques « femmes analystes » pour contester le point où Freud a arrêté l’analyse. Avec l’écrit de l’une d’elles il montre que non seulement l’analyse peut être menée « au-delà de l’angoisse de castration », mais aussi de quoi est fait cet « au-delà » et à quelles conditions un analyste a pu y avoir accès.

Traduit par Béatrice Cano

vendredi 22 janvier 2010

PSY cause(s)

Théâtre du marais











Du 14 janvier au 17 avril 2010

Elle est Psy, symbole d’équilibre. Seule. Mère. En analyse … A cause de sa mère ? De son âge ? Ou de ses patientes ? …les névroses c’est contagieux ?... Josiane Pinson déshabille la psyché féminine pour ausculter ses fragilités. Aigre douceur et humour noir foncé, au théâtre du Marais du 14 janvier au 17 avril 2010.

To be or not to be « bankable »...Partant du principe qu'il vaut mieux parler de ce que l'on connaît, je me suis attachée, depuis « La Quarantaine Rugissante », à dépeindre la femme au plus près de ce qu'elle est : ni parfaite, ni débile, ni caricaturale. Entre trouilles, devoirs, fêlures, carcans, angoisses... et tentatives d'épanouissement personnel.

Dans une société où il ne fait pas bon vieillir, il est peu conseillé de le faire seul(e).... Même si l'on est un symbole d'équilibre, détenteur(trice) du savoir. C'est donc une psy qui dérape. Parce que, comme vous et moi, elle n'est pas à l'abri du « No more bankable »... Elle aussi se demande si l'on peut encore séduire à l'approche de la cinquantaine.

Fidèle à mon ton de prédilection, la dérision, j'ai donc choisi, au travers de cette psy et de ses patientes, de vous parler de vous et de moi.
Sans complaisance.
Avec humour.
Mais aussi et surtout avec compassion.

Josiane Pinson

PSYcause(s)
De Josiane Pinson
Mise ne scène Daniel Berlioux
Création lumières jean Claude Rolland

Du 14 janvier au 17 avril 2010
du jeudi au samedi à 19h

Réservations : 01 45 35 75 87
www.theatre-du-marais.com

Théâtre du Marais
37, rue Volta
75003 Paris
Métro Arts et métiers ou temple

du Jeudi au samedi à 19h
réservations : dès maintenant au 01 45 35 75 87

www.theatre-du-marais.com

7ème édition du festival Bobines Sociales



http://www.bobines-sociales.org/



Agriculture, travail, et psychiatrie : points de frictions et lieux de résistances qui intéressent cette septième édition des Bobines Sociales.


Mais comment résister quand l’ennemi avance masqué ? Comment percevoir la mort de nos sols et la toxicité des modes de culture derrière le pain quotidien ? Comment saisir la perversité des modes de management derrière la culture d’entreprise ? Comment comprendre le traitement social et politique de la folie alors que son histoire a été confinée aux marges des sociétés ?

Pour y voir plus clair, des séances associant des films rares et des débats avec des collectifs, des professionnels, des chercheurs, des militants. Parmi les événements de cette édition : une rencontre avec l’économiste Frédéric Lordon autour du documentaire « La Mise à mort du travail » (2009), un débat sur l’industrie de la viande avec le journaliste Fabrice Nicolino, ou encore une séance sur l’autogestion avec Thomas Coutrot nouveau co-président d’Attac après la projection de « Démocratie » de Chris Marker et d’un film sur la belle histoire des « Femmes de la Brukman » en Argentine.

Traditions du festival, les regards hors Europe se focalisent cette année sur l’actualité politique et sociale de la Colombie, avec deux documentaires indépendants. La séance sur l’histoire du cinéma engagé portera sur les foyers de travailleurs immigrés, tels que filmés par Marcel Trillat dans les années 70 et à travers des images d’aujourd’hui.

Enfin, le samedi soir, nous laissons la scène au groupe Eth et à leur son groove et funk inspiré des musiques éthiopiennes.











Vienne 1913

Cie Influenscènes


Théâtre du Lierre, Paris
http://www.letheatredulierre.com/commande/

Publié par Laurent Schteiner dans Théâtre le 11 jan 2010

Le souffle de l'histoire


Alain Didie
r-Weill, médecin psychiatre et membre de l’École freudienne de Paris, a écrit pour le théâtre la rencontre imaginaire entre Adolf Hitler et Sigmund Freud à Vienne en 1913. C’est avec talent que Jean-Luc Paliès a mis en scène cette fresque qui retrace cette époque trouble d’avant guerre au théâtre du Lierre.

Un jeune homme vit pauvrement au cœur de la capitale austro-hongroise où il étudie le dessin à l’école des Beaux Arts de Vienne. Fêtant son vingtième anniversaire, Adolf fait la connaissance d’un héritier de l’aristocratie viennoise, prénommé Hugo. Celui-ci, foncièrement antisémite, se lie d’amitié avec Adolf. Hugo est confié par sa famille aux bons soins du professeur Freud afin de résoudre la pathologie qui le ronge. La rencontre de ces deux jeunes gens va sceller leurs futurs destins. De 1909 à 1913, Adolf, assailli par ses névroses grandissantes, va créer sa propre doctrine antisémite qui le conduira à quitter Vienne et devenir le monstre abject que le monde reconnaitra vingt ans plus tard. Toute la société viennoise défile sous nos yeux de Gustav Jung à Gustav Klimt. Des salons aristocrates aux asiles de sans-abri et aux réunions politiques, nous fréquentons ces lieux où Adolf se forge sa personnalité où sa folie grandit en même temps que ses accès colériques.









crédit photo Patrick Lauret


La Vienne de 1913 sous nos yeux
Jean-Luc Paliès a conçu une mise en scène très originale et très riche qui maintient le spectateur en haleine tout au long de la pièce. En effet, sa mise en scène tient d’une mise en place spatiale où les comédiens prennent place derrière des pupitres. Réunis, au sein d’un chœur d’orchestre imaginaire, les comédiens vont incarner pas moins de vingt-cinq personnages. La présence d’u
ne narratrice, côté cour, intervient pour replacer les dates, les époques, les lieux et les événements. Ce qui permet au public de ressentir toute cette atmosphère de la Vienne de l’époque. Un musicien sur verre assure une musique originale qui permet de jouer sur diverses tonalités des plus légères aux plus inquiétantes. Deux chanteuses lyriques complètent le tableau en fond de scène par des morceaux choisis. Jean-Luc Paliès a réussi le tour de force de véhiculer en une heure quarante les mouvements d’idées et artistiques, les milieux sociaux, et les peurs de cette société viennoise. Outre les pupitres, la présence d’un banc servant tour à tour d’asile pour Adolf ou d’exutoire à sa propre folie, donne ce caractère si particulier à cette scénographie.









crédit photo Patrick Lauret


Une interprétation jubilatoire
La force de cette pièce réside notamment sur l’interprétation brillante de ces artistes. Certains interprètes se détachent grâce à leur implication magnifique dans leur personnage, tel le trio composé de Jean-Luc Paliès (Freud), Miguel-Ange Sarmiento (Adolf Hitler) et Philippe Beheydt (Hugo). Le jeu sobre des comédiens donne une puissance à un texte très bien écrit renforçant d’autant le sujet. Le public est saisi d’effroi lorsqu’Adolf décide de partir pour l’Allemagne en laissant les spectateurs médusés après une énième colère marquée par le coup d’un gendarme frappé au sol. Et c’est avec une musique lancinante et inquiétante que le public se retrouve plongé dans le noir. Si la richesse du théâtre se nourrit de la Création, celle-ci s’appelait, samedi dernier, Vienne 1913 !

Auteur : Alain Didier-Weill
Artistes : Miguel-Ange Sarmiento, Philippe Beheydt, Jean-Luc Paliès, Bagheera Poulin, Stéphanie Boré ou Isabelle Starkier, Katia Dimitrova ou Claudine Fiévet, Alain Guillo - Mezzos|Sopranos (en alternance) Magali Paliès, Estelle Boin, Séverine Étienne, Maquaire Geneviève Bottau - Musique sur verre : Jean-Claude Chapuis
Metteur en scène : Jean-Luc Paliès

Nouvelles psychanalytiques
vendredi 15 janvier 2010

Rencontre avec François Gantheret : "La nostalgie du présent : psychanalyse et écriture












A l’occasion de la parution aux Editions de l’Olivier de "La nostalgie du présent : psychanalyse et écriture" - Une réflexion sur la double pratique d’écrivain et de psychanalyste.

Francois Gantheret est psychanalyste, docteur es lettres, professeur émérite de psychopathologie à université Paris VII, membre de l’Association psychanalytique de France. Il a publie aux éditions Gallimard des ouvrages de psychanalyse, Moi, Monde, Mots (1996), Libido et autres nouvelles du divan (L’Arpenteur, 1998 et Folio, 2001) ainsi que des romans, dans la collection blanche : Les corps perdus (2004), Comme le murmure d’un ruisseau (2006), Ferme les yeux (2007).
Source : http://www.initiales.org/

dimanche 17 janvier 2010

SUR L’ÉLECTROCHOC, LE CAS ANTONIN ARTAUD

vendredi 15 janvier 2010

http://florencedemeredieu.blogspot.com/2010/01/sur-lelectrochoc-le-cas-antonin-artaud.html











Table des matières

Introduction

Mis au point en Italie en 1938, appliqué à l'homme en 1939, héritier des techniques de choc ou “sismothérapies”, l’ électrochoc connaît entre 1939 et 1946 un développement considérable en Psychiatrie. — L’œuvre et la vie d'Antonin Artaud (interné à l'Asile de Rodez de 1943 à 1946) interfèrent avec l'histoire de l'électrochoc. A la toute puissance médicale, susceptible de transformer en profondeur l'ensemble des données neurophysiologiques de l'être humain et de remettre le psychisme “à zéro” Artaud opposera ce cheval de Troie qu'est la littérature.
Au travers d'un formidable travail de la langue et sur la langue. C'est alors d'une véritable surrection et recréation qu'il est question la machinerie littéraire se faisant précisément électrique pour perturber en profondeur les effets du coma de l'électrochoc. — On trouvera dans cet ouvrage une histoire de l'électrochoc ainsi qu'une analyse de ses effets et contre-effets sur l'œuvre de cet écrivain d'exception que fut Artaud.

1 - De l'électrochoc resitué dans l'histoire de la psychiatrie

LES TRAITEMENTS ANTÉRIEURS :
Les thérapies de choc. — Un modèle : l’épilepsie. — Le coma. — Le traitement par l’insuline (1933). — Le cardiazol (1935). — Comparaison des méthodes.

L’ÉLECTROCHOC :
L’électricité dans le traitement des maladies mentales.— Cerletti et la mise au point de l’électrochoc (1938). — La crise et ses effets. — L’électrochoc en France (1940-1945). — L’électrochoc dans le monde.

L'ASPECT TECHNIQUE :
Automatisme de la machine et perfection technique. — Prothèses thérapeutiques. — Appareillage technique et déroulement de la crise. — La position des électrodes. — les cas d’auto-observations. — Accidents et contre-indications. — La conduite de la cure.

LES RÉSERVES :
L’électrochoc, “ monstre du Lochness de la thérapeutique ”. — La position du professeur Baruk.

DE L’INFLUENCE DES TECHNIQUES CONVULSIVANTES SUR L’ÉVOLUTION DE LA PSYCHIATRIE :
Une nouvelle trilogie : l’institution/le malade/le personnel soignant. — Une dimension expérimentale. — De l’usage de la statistique. — Quelques chiffres.

DES ANNÉES D’APRÈS-GUERRE À NOS JOURS :
L’utilisation intensive de l’électrochoc. — Réflexes conditionnés et placebos.

2 - Les aspects théoriques

Organicistes et dynamistes. — Mode d’action de l’électrochoc. — Hughlings Jackson (1835-1911). — Delmas-Marsalet et la théorie de la “ dissolution-reconstruction ”. — Les travaux de Jean Delay. — L’amnésie. — L’aphasie. — Breggin : La thérapeutique par altération mentale. — Un traitement moderne ! — Du fantasme de la machine à “ l’homme-nouveau ” électrique. — De l’électricité cérébrale. — Homme-machine et circuits cybernétiques. — Le traitement du temps.

3 - Le cas Antonin Artaud

L'enfance, le traitement à l'électricité. — Les traitements avant Rodez.
LES TRAITEMENTS À RODEZ :
L’électrochoc à Rodez. — Le cas Antoine A. — Les protestations d’Artaud. — Une formidable dénégation. — Artaud et ses médecins. — La thèse du Dr Latrémolière. — Les justifications ultérieures. — Les effets de l'électrochoc. — Les questions qui restent en suspens. — Le coût de l’électrochoc. —

4 - Littérature et psychiatrie : le choc de deux Titans

La cruauté asilaire. — L’internement d’une œuvre.
SOUVENIRS DE LA MAISON DES MORTS :
L’expérience des comas. — Une vie d’outre-tombe. — Les troubles de la mémoire et l’univers flottant des souvenirs. — Hypermnésie et pullulement des êtres. — Resserrer l’être. — Dédoublement, illusion des sosies et troubles du schéma corporel. — Sommeil, vigilance et syndrome d’influence.

MACHINES AUTOMATES :
Automatismes. — L’Automate personnel (1927). — Le corps-machine. — La machine à inscrire. — Du théâtre de la cruauté à la pantomime convulsive. — L’insurgé.

UNE NOUVELLE COSMOGONIE :
Une machinerie cosmique. — Hors temps, hors espace. — La verticale de l’être.

LE DISPOSITIF ÉLECTRIQUE :
La métaphore électrique. — Deux sortes de fluide. — la loi de l’ “ hom ”. — Une parenté “ électrique. — Le tonique, le clonique, le spasmodique. — Conduire le courant. — Prise de terre. — Faire “ résistance ”.

LA REFONTE DU LANGAGE :
La grande régression aphasique. — Le trouble de la langue. — Une langue organique. — Une langue archaïque. — Les Cahiers de Rodez. — La déliaison des énergies et la question de l’actuelle transcription des Cahiers. — Du dessin ou de la “ bouillabaisse ” des formes. — Les glossolalies. — Le cri, le râle et la syllabe. — Une tentative anti-grammaticale. — Intonations, interjections, fragmentations. — Un laboratoire de la langue. — Éloge de la cacophonie.

5 - Artaud / Bataille : le clos et l'ouvert

Une rencontre placée sous le signe historique du malentendu. — Artaud, ombre ou limite de Bataille ? — L'énergie. — La dépense. — La communication. — Rite du peyotl et pratiques consumatoires. — Une réactivation des pulsions (orales, sexuelles, anales). — Électro-choc et mystique. — "L'Acéphale".

Conclusion

Du statut des internés illustres. — Artaud et l’ethnopsychiatrie. — Le symbolique. — Cruauté technique et “ merveilleux ” asilaire. — Transparence et opacité.

Bibliographie

NOTA BENE : publié au printemps 1996, cet ouvrage se complète de recherches et découvertes, effectuées ultérieurement et qui m’ont permis d’affiner la question :
- “ Les premières années d’asile ” et “ La période de Rodez ”, in C’était Antonin Artaud, Fayard, 2006, pp.. 649 à 863.
- “ Nos amis les psychiatres… ”, in L’Affaire Artaud, Fayard 2009, pp.. 293-373.Livre : Sur l'électrochoc, le cas Antonin Artaud
La République des LIBRES
14 janvier 2010

Sigmund et Théodule - de Morasse.


LE LAID RIBOT LIT « IMAGO »











Théodule Ribot (1839-1916)

Dans le vol. 78 (juillet-décembre 1914) de la « Revue philosophique de France et de l’Etranger », Alcan éditeur [on la trouve sur le site Gallica de la BNF], Théodule Ribot (le pape de la revue) se prononce sur la « psycho-analyse ». Il a lu les résumés de quelques articles du volume 2 de la revue « Imago », nos 1 à 4 de 1913. Le traducteur, N. Kostyleff, détaille les sommaires en les commentant.

À propos de Freud « et de son école », pour comprendre ce qui chiffonnait et continua de chiffonner durant 35 ans – jusqu’en 1950 ? – la science médicale et la « philosophie française » il faut relire Théodule Ribot (1839-1916). Dans le vol. 78 (juillet-décembre 1914) de la « Revue philosophique de France et de l’Etranger », Alcan éditeur [on la trouve sur le site Gallica de la BNF], Théodule Ribot (le pape de la revue) se prononce sur la « psycho-analyse ». Il a lu les résumés de quelques articles du volume 2 de la revue « Imago », nos 1 à 4 de 1913. Le traducteur, N. Kostyleff, détaille les sommaires en les commentant.

THEODULE RIBOT

« Imago » a été créée par Freud en 1912, avec Hanns Sachs et Otto Rank. Elle a pour sous-titre : « Revue pour l’application de la psychanalyse aux sciences de l’esprit ». Jusque là, elle n’était évidemment pas traduite en français.

L’article de Ribot a pour titre : « La mémoire affective et la psycho-analyse ». Ribot définit ainsi celle-ci : « un procédé qui a pour but de plonger dans l’inconscient et d’en ramener des morceaux dans le jour de la conscience ». Il ne faut pas la confondre, prévient-il avec « l’analyse psychologique proprement dite : observation intérieure, introspection ».

Pour Ribot, la « partie faible du freudisme » est l’interprétation des faits. Le grand homme lui reproche de poser « comme cause dernière et unique, l’instinct sexuel qui est censé tout expliquer (…) Dans cette voie, ils (les psycho-analystes) sont allés loin, souvent trop loin. » Et d’expliquer au lecteur que le point de départ erroné de cette thèse est l’importance donnée aux rêves puisque Freud considère que le rêve n’est qu’une apparence, une façade, « derrière laquelle la psycho-analyse découvre une logique régulatrice » ; et de résumer : les moments du rêve sont des symptômes. Ils doivent « servir à pénétrer jusqu’au fond du rêve qui est un complexe affectif enfoui dans l’inconscient, instinct sexuel, ou, sous une forme plus générale, libido, le désir. » Si Ribot voit très bien comment « du rêve à la rêverie et à l’imagination créatrice la transition se fait naturellement », il reproche aux psycho-analystes d’en trouver la source « dans quelque complexe ». Pour Ribot, c’est là l’erreur… « Les psycho-analystes ont (ainsi) pu passer facilement de l’étude médicale des complexes dans leurs rapports avec les névroses et les psychoses, à celle de la création esthétique, mythique, religieuse, métaphysique, etc. Ils s’y sont lancés avec ardeur et témérité ».

Théodule Ribot est un savant posé, mais on devine, bouillonnants, les points d’exclamation quand il énumère les thèmes déroutants : le rapprochement des « primitifs » et des « névrosés » ; le « rôle de l’érotisme dans les religions de toute espèce et chez les mystiques de tous les pays » ; « l’inceste et la déviation sexuelle dans le roman, la poésie, le théâtre (…) toujours attribués à un complexe inconscient datant de la première enfance ». L’insistance sur l’inceste déplaît (elle est « lassante »), comme est grotesque la « fantaisie » qui essaie d’expliquer « la spéculation philosophique » par « la manifestation de tendances psycho-sexuelles datant de l’enfance ». Puis vient le reproche suprême : « Le défaut capital de cette théorie de l’imagination créatrice, c’est la prétention inacceptable de vouloir tout expliquer par la seule action de l’instinct sexuel. » Certes Théodule Ribot crédite la psycho-analyse d’une étude solide de la « logique du sentiment » mais rappelle qu’il ne veut voir dans celle-ci qu’une « étape » dans l’évolution de la « faculté de raisonner ». Rien de plus…

Il reste que, jusqu’à ce que le mouvement surréaliste, Pierre-Jean Jouve et André Breton, pour des raisons littéraires, puis Marie Bonaparte, la princesse, utilisent quelques idées du freudisme, la France demeura hermétiquement close à la « science boche » (et même « juive »). Elisabeth Roudinesco et Michel Plon (« Dictionnaire de la psychanalyse », Fayard) signalent l’existence d’un professeur de médecine de Poitiers, le Pr Morichau-Beauchant (1873-1952) dont Freud dit qu’il fut : « le premier Français qui se reconnut officiellement adepte de la psychanalyse ».




C. Soler, Lacan, l'inconscient réinventé








Lacan, l'inconscient réinventé
Colette Soler


Paru le : 09/09/2009
Editeur : PUF
ISBN : 978-2-13-057635-8
EAN : 9782130576358
Nb. de pages : 243 pages

Prix éditeur : 23,00€


A-t-on bien mesuré l'incidence de Jacques Lacan pour la psychanalyse ? Sa formule de l'inconscient freudien " structuré comme un langage " est fameuse, mais ce n'était qu'une porte d'entrée.

Vient ensuite la thèse de " l'inconscient réel ", inouïe au regard de ce qui précède. Pourquoi ce pas ? Cherchant le fil d'Ariane de la trajectoire dans ce qui restait impensé à chaque étape de cet enseignement toujours en mouvement, ce livre élucide les questions implicites qui, à chaque pas, animent et fondent la démarche ; il dessine les lignes nouvelles qui en résultent avec leurs conséquences pour la clinique du sujet, des symptômes, des affects, et pour la pratique de la cure, sa fin, et sa portée politique.

Si depuis Freud, beaucoup ont rêvé de réinventer la psychanalyse, Colette Soler fait valoir dans cet ouvrage ce que Lacan a réussi de cette réinvention.

Sommaire :

L'INCONSCIENT, RÉEL

Trajectoire
Vers le Réel
Lalangue, traumatique

L'ANALYSE ORIENTE VERS LE RÉEL

Le passe de fin
Le temps, pas logique
L'analyse finie

CLINIQUE RENOUVELEE

Statut des jouissances
Symptôme de l'inconscient réel
Le père et le Réel

PERSPECTIVES POLITIQUES

Dissidence du symptôme ?
La psychanalyse et le capitalisme
Malaise dans la psychanalyse

L'auteur :
Agrégée de l'Université, psychanalyste formée par Jacques Lacan, Colette Soler pratique la psychanalyse et l'enseigne à Paris.
Elle est membre fondateur de l'École de Psychanalyse des Forums du Champ lacanien et a notamment publié Ce que Lacan disait des femmes (2003)






A LA UNE

Édition du vendredi 15 janvier 2010

http://www.midilibre.com/articles/2010/01/15/A-LA-UNE-Malaise-entre-les-murs-de-la-psychiatrie-1072678.php5

Gard, Malaise entre les murs de la psychiatrie

Après 13 jours d’arrêt maladie, cet infirmier en psychiatrie âgé de 40 ans a repris le chemin de l’hôpital. Mais il a le blues. « Je compte partir, quitter le secteur fermé, passer en extra hospitalier, pour intégrer l’équipe des visites à domicile », confesse-t-il.

Le 25 décembre dernier, ce professionnel expérimenté a été frappé violemment par un patient. Un événement qui l’a choqué et agit sur lui « comme la goutte d’eau qui fait déborder le vase ». Cet infirmier qui travaille depuis 1995 en psychiatrie au CHU de Nîmes, en a assez. « Cela se dégrade d’année en année », estime-t-il.

« Le soir de Noël, un patient d’une vingtaine d’années a été admis en HDT (hospitalisation à la demande d’un tiers), raconte-t-il. A 23 h 15, un collègue aide soignant est allé voir dans sa chambre s’il dormait. Le patient lui a sauté dessus, l’a frappé. Je suis arrivé en renfort et j’ai reçu un coup de poing à la figure qui m’a étalé par terre. » Le jeune homme a pu être maîtrisé. Mais les deux agents hospitaliers agressés ont été mis en arrêt maladie.

L’affaire n’a en soit rien d’extraordinaire dans ce secteur fermé de psychiatrie, où, derrière les grilles, sont hospitalisés des cas susceptibles de constituer un danger pour eux-mêmes ou pour autrui. Mais elle se traduit par un vif ras le bol. Surtout que l’incident succède à un autre, choquant. Le 20 décembre, toujours dans ce secteur fermé qui compte 24 lits, un patient qui était allé fumer dans une cage d’escalier prévue à cet effet, s’est immolé par le feu en enflammant avec son briquet un déodorant aérosol. Très sérieusement blessé, il a été évacué vers le service des grands brûlés de Montpellier. Il est aujourd’hui tiré d’affaire.

Ces deux événements violents, qui font suite à d’autres, suscitent des interrogations sur les conditions de travail, alors que les méthodes psychiatriques ont considérablement évolué, elles sont notamment plus versées dans les droits des patients. Est-il ainsi loisible qu’en secteur fermé les patients puissent avoir un briquet sur eux ou d’autres effets personnels potentiellement dangereux ? « On n’est pas en sécurité », estime carrément l’infirmier agressé le soir de Noël.

Une infirmière et une aide soignante en milieu ouvert, ou encore un agent du secteur fermé, ne disent pas autre chose. Tous incriminent le manque de personnel – « le jour où le patient s’est immolé il manquait un infirmier et un aide soignant » -, le nombre insuffisant d’agents masculins, précieux face aux cas violents. Ou encore l’inexpérience de la plupart des infirmiers en milieu fermé : « Des jeunes diplômés puisque plus personne ne veut désormais travailler en secteur fermé. »

Richard BOUDES





LE MONDE | 12.01.10 |

Les Français face à un système de soins devenu illisible


Combien rembourse l'assurance-maladie pour tel acte médical ou tel type de consultation ? A quoi correspond ce forfait de 1 euro qui apparaît sur les relevés de remboursements ? Quels frais sont pris en charge par les mutuelles ?...

Confrontés à un système de soins devenu quasi incompréhensible au fil des années, les particuliers se disent souvent désarmés, notamment quand il s'agit de savoir à quoi correspondent les tarifs de santé. Avec la création, au 1er janvier, d'une nouvelle vignette de remboursement de médicaments, qui sera orange cette fois, et la hausse annoncée des cotisations des mutuelles de 5 %, la tâche ne devrait pas leur être simplifiée en 2010.

"Comprendre les tarifs de santé est désormais aussi complexe que comprendre sa facture de téléphone", observe Christian Saout, le président du Collectif interassociatif sur la santé (CISS), qui représente les patients. M. Saout regrette que, contrairement aux télécommunications, il n'existe pas dans le secteur de la santé d'agence de régulation. Pourtant, le système a évolué au point de paraître illisible, notamment en ce qui concerne les tarifs de la médecine de ville (hors hôpital et affections longue durée). La diversification des tarifs remonte aux années 1980. Est alors créé, en sus du secteur 1 (médecins conventionnés par la Sécurité sociale, dont la consultation est au tarif de base), le secteur 2, qui a permis à certains médecins de pratiquer les honoraires libres. Une décision qui a débouché, vingt ans plus tard, sur la généralisation des dépassements d'honoraires, désormais considérés comme l'un des points noirs du système.

Mais c'est surtout dans les années 2000 que le système de soins s'est singulièrement complexifié.

Prises dans l'optique de responsabiliser des Français gros consommateurs de soins et de réduire le "trou" de la Sécurité sociale, les mesures créées par les pouvoirs publics ont été nombreuses, et souvent compliquées. Comme la franchise médicale de 0,50 euro par boîte de médicaments, entrée en vigueur en 2008 et plafonnée à 50 euros par an, ou, sur le même principe, le forfait de 1 euro par consultation adopté en 2005, qui ne concerne cependant pas les dentistes ou les kinésithérapeutes.

Moins connu, un système complexe de majoration des consultations médicales en fonction des situations (urgence, week-end, consultation d'enfant) a été instauré afin de mieux adapter les revenus des médecins à leur pratique. Ainsi, un supplément de 5 euros pour les moins de 2 ans, ou de 3 euros pour les 2 à 6 ans a été instauré chez les généralistes.

Plus marquante a été la création du parcours de soins, en 2004 qui aboutit, en cas de non-respect par le patient du passage devant le médecin traitant, à un remboursement moindre de 40 % des tarifs de consultation contre 70 % habituellement. Autant de modifications qui se concrétisent par des lignes et des sigles supplémentaires sur les relevés de remboursement de l'assurance-maladie. Ainsi la franchise sur les médicaments est déduite d'autres remboursements, notamment les consultations, puisque les boîtes sont souvent délivrées sans que l'assuré ait à verser quelque chose en pharmacie.

Pour rajouter à la complexité, les complémentaires de santé ne prennent pas forcément tous les déremboursements à leur charge. Ce sera ainsi le cas pour les médicaments qui vont entrer, au printemps, dans la nouvelle catégorie des remboursements "à 15 %". Leur vignette orange s'ajoutera aux bleues et blanches des boîtes déjà remboursées à 35 %, 65 % et 100 %. Devraient y être inscrits des produits bénéficiant jusque-là du taux de 35 %, dont le service médical rendu a été jugé faible ou insuffisant. Une mesure prévue dans le budget 2010 de la Sécurité sociale. La Mutualité française a déjà estimé que s'ils étaient jugés inefficaces, il ne fallait pas les rembourser. Ce qui ne veut pas dire que toutes les mutuelles qu'elle fédère suivront cette recommandation...

Cet exemple est la preuve que les offres des complémentaires de santé sont aussi devenues un casse-tête pour les particuliers. En témoignent les nombreux sites de comparaison apparus sur Internet. "Les mutuelles apportent le complément des remboursements de l'assurance-maladie. Dans un système qui s'est complexifié au point de devenir d'une opacité totale, leur intervention ne peut être d'une lisibilité parfaite", justifie Jean-Pierre Davant, le président de la Mutualité française.

Alors que ce dernier a annoncé que les cotisations devraient augmenter en moyenne de 5 % en 2010 du fait de la hausse des dépenses de santé, les Français pourraient être nombreux à être tentés de changer de complémentaire. "Le turnover est important pour les assurés en contrats individuels, et les augmentations de prix sont de plus en plus un vecteur de changement", explique Mathias Matallah, président de Jalma, un cabinet de conseil spécialisé dans la santé.

Selon lui, à bien y regarder, même si les expressions utilisées diffèrent, les offres des complémentaires ne sont pas si éloignées. Les vraies différences se limitent à trois postes : les soins dentaires et l'optique, dont l'assurance-maladie s'est largement désengagée, ainsi que les dépassements d'honoraires des médecins.

Mais encore faut-il comprendre dépliants et devis... Pour permettre aux usagers de choisir en connaissance de cause, le CISS réclame la mise en place d'un contrat de base, à 40 euros pour tous les opérateurs, qui permettrait de comparer ce que les uns et les autres proposent pour ce prix.

Aujourd'hui, tous les observateurs du système de santé s'accordent à dire que sa complexité accrue pose problème. Les complémentaires de santé, poussées par les pouvoirs publics, viennent d'engager une réflexion, dont pourrait émerger, d'ici la fin 2010, un glossaire commun ou des montants de remboursements libellés en euros, et non en pourcentage des tarifs de la Sécu que nul ne connaît.

L'assurance-maladie aussi réfléchit à comment améliorer la lisibilité. Déjà, sur son site www.ameli.fr, il est possible de se renseigner, entre autres, sur les tarifs de chaque médecin. Depuis 2009, en outre, les professionnels doivent fournir un devis pour tout acte, avec dépassement d'honoraires, supérieur à 70 euros. Mais tous ne s'exécutent pas encore.

Laetitia Clavreul



mercredi 13 janvier 2010



Livres

La guerre des éditeurs au format poche

LE MONDE DES LIVRES | 07.01.10


La guerre des Freud est déclarée ! Désormais dans le domaine public, l'œuvre du père de la psychanalyse attise les convoitises éditoriales. C'est pour les sciences humaines "un événement comparable à la fin des droits d'auteur pour Proust en littérature", estime Michel Prigent, patron des Presses universitaires de France (PUF), qui revendiquent la place de premier éditeur de Freud en France. "Il va y avoir une véritable redistribution des cartes, et la question des traductions redevient centrale", poursuit-il. Aux PUF, Freud représente aujourd'hui 10 % du chiffre d'affaires. La maison s'est mise en ordre de marche pour défendre sa part de marché. "Je préfère les traductions de notre équipe dirigée par Jean Laplanche, mais j'attends avec impatience celle de Jean-Pierre Lefebvre au Seuil", précise encore Michel Prigent. A côté de la poursuite des oeuvres complètes qui devrait se terminer en 2014 ou 2015, les PUF ont lancé une offensive en "Quadrige", la collection de poche maison, avec la parution de douze titres en janvier, qui seront suivis d'autres au cours de l'année.

Car c'est au format de poche, et dans un certain désordre, que se joue cette bataille entre éditeurs. "La disponibilité immédiate et le prix sont les deux clés du succès", reconnaît Eric Vigne, qui dirige "Folio Essais" chez Gallimard. Dès janvier, l'éditeur affichera quinze titres en poche, dont cinq nouvelles reprises de l'édition courante. "Freud est un auteur qui tourne très bien", avoue-t-il. Chez Gallimard, le titre phare demeure Sur le rêve, qui, depuis vingt ans, s'est écoulé à 321 000 exemplaires.
"Pas question de se laisser manger la laine sur le dos par les autres éditeurs", avertit de son côté Benoîte Mourot, directrice générale de Payot, qui peut se targuer d'être l'"éditeur historique de Freud". Huit titres sont présents en "Petite bibliothèque Payot", dont deux nouveautés (voir ci-contre) et une réédition actualisée : Cinq leçons sur la psychanalyse, leur texte le plus célèbre et le plus vendu. "Le titre lui-même est une trouvaille de Gustave Payot, qui l'a inventé lors de la première publication, en 1921", précise-t-elle.

Pour ces trois éditeurs, qui se partageaient jusqu'à présent l'oeuvre de Freud, l'impératif est d'occuper le terrain avant l'arrivée des nouveaux entrants. Ceux-ci ne sont pour l'instant qu'au nombre de deux : Le Seuil et Flammarion. Editeur de Lacan, Le Seuil est attendu avec intérêt sur ce terrain. Deux des trois premiers titres sont publiés en "Points". Quant aux éditions Flammarion, elles publient d'ores et déjà un volume en "GF", et l'éditrice Sylvie Fenczak annonce, à partir du mois de mai, "une quinzaine de titres dans la collection "Champs", avec, au centre du projet, le traducteur Fernand Cambon".

Alain Beuve-Méry

Article paru dans l'édition du 08.01.10.





Freud, une passion publique

LE MONDE DES LIVRES | 07.01.10 |

Depuis le 1er janvier 2010, les œuvres de Freud entrent dans le domaine public, devenant, soixante-dix ans après sa mort, des "biens non susceptibles d'appropriation privée".

A ce jour, et alors qu'elles sont partiellement traduites en une soixantaine de langues, l'établissement d'une édition intégrale (vingt volumes environ), organisée de façon cohérente et dans l'ordre chronologique, n'a été effectuée que dans cinq langues : l'allemand, l'anglais, l'italien, l'espagnol et le japonais. Les correspondances ne sont pas encore disponibles dans leur totalité, mais régulièrement traduites. Après de longues batailles, elles commencent à être accessibles à la Library of Congress de Washington où ont été déposés les manuscrits de Freud. On évalue à 15 000 le nombre de lettres écrites par lui : 5 000 ont été perdues et plus de 3 000 ont été déjà publiées ou sont en cours de traduction dans plusieurs langues.

Deux éditions complètes de l'œuvre ont été réalisées en allemand : l'une du vivant de Freud, l'autre après sa mort. Publiées à Londres entre 1940 et 1952, les Gesammelte Werke (GW) sont devenues l'édition de référence, complétée ensuite par un index et un volume de suppléments.

La destruction de la psychanalyse par les nazis, qui a eu pour conséquence l'émigration de la majorité des freudiens allemands, autrichiens et hongrois vers les États-Unis, a été un désastre pour l'évolution du mouvement psychanalytique, mais aussi pour la publication des oeuvres de Freud. En devenant américains, les psychanalystes européens, contraints à être médecins et à adopter l'idéal adaptatif de l'american way of life, se sont orientés exclusivement vers la clinique, délaissant la partie spéculative de la pensée du maître et les travaux érudits.

Jamais le mouvement psychanalytique allemand n'est parvenu, après 1945, à retrouver son ancienne splendeur : d'autant moins que les quelques freudiens non juifs, demeurés à Berlin, avaient collaboré avec le régime. Seul Alexander Mitscherlich (1908-1982) parvint à sauver l'honneur en créant à Francfort le prestigieux Institut Freud et en obligeant les nouvelles générations à réfléchir sur le passé. C'est sous son impulsion que furent mises en chantier les Studienausgaben (ou textes choisis) destinées à un public un peu plus large que celui des GW. Mais comme Freud n'est plus considéré en Allemagne comme un penseur et que son œuvre n'a guère été étudiée à l'université, elle n'est pas suffisamment lue pour qu'une nouvelle édition critique ait pu être entreprise chez Fischer Verlag, l'éditeur actuel de Freud.

Partout dans le monde, aujourd'hui, cette oeuvre est donc lue en anglais. Et ce d'autant plus que la plupart des psychanalystes contemporains, inféodés à l'idéologie utilitariste venue d'outre-Atlantique, s'intéressent moins à la genèse des textes du père fondateur qu'à l'exploration des circonvolutions cérébrales. Ils ont presque oublié que celui-ci était d'abord un juif viennois, savant et écrivain, contemporain de Theodor Herzl, ami de Stefan Zweig et de Thomas Mann, héritier de la tradition philosophique allemande : un penseur des lumières sombres.

En conséquence, depuis la seconde guerre mondiale, l'International Psychoanalytical Association (IPA), fondée par Freud en 1910, est une association corporatiste, même si les Latino-Américains, plus puissants que les Européens et les Nord-Américains, résistent à cette orientation, tout en étant parfaitement anglophones.

Et pourtant, c'est au psychanalyste anglais James Strachey (1887-1967) que l'on doit la plus belle traduction de l'œuvre de Freud : la fameuse Standard Edition (SE), dont l'appareil critique est un chef-d'œuvre. Proche de Virginia Woolf et du groupe de Bloomsbury, analysé par Freud à Vienne, Strachey a réussi à investir, par amour, l'œuvre d'un autre, au point de la faire sienne toute sa vie. Certes, la Standard a des défauts - latinisation des concepts, effacement d'un certain style littéraire -, mais elle a le mérite d'avoir unifié les concepts en anglais et elle est la seule à témoigner de ce que peut être la passion d'un traducteur. Au fil des années, elle a été révisée et corrigée. Sa qualité, liée à la domination de la langue anglaise sur le mouvement psychanalytique, a donné lieu à quelques aberrations : ainsi les Obras completas publiées en portugais au Brésil, de 1970 à 1977, ont-elles été traduites de l'anglais. Il est probable qu'avec le passage au domaine public, une nouvelle traduction pourra enfin voir le jour dans l'un des pays où la psychanalyse est une culture nationale.

La situation de la France est unique au monde. Les premiers traducteurs - Samuel Jankélévitch, Yves Le Lay, Ignace Meyerson, Blanche Reverchon-Jouve, Marie Bonaparte - ont été excellents. Mais ils n'ont pas eu le souci d'unifier la conceptualité : les uns étaient psychanalystes, les autres philosophes ou germanistes. De son côté, Edouard Pichon, grammairien, membre de l'Action française et cofondateur de la Société psychanalytique de Paris (SPP), en 1926, créa une commission pour l'unification du vocabulaire psychanalytique français dont l'objectif était de débarrasser la psychanalyse de son "caractère germanique" pour en faire l'expression d'un "génie français" : la civilisation contre la Kultur. Au sein de la SPP, affiliée à l'IPA, la princesse Bonaparte traduisait donc les textes de Freud avec talent sans proposer de travail théorique. Contre elle, Pichon pensait une conceptualité sans traduire le moindre texte.

Durant les années 1950, un nouveau clivage se produisit quand Jacques Lacan effectua sa refonte de la pensée freudienne. Il incita ses élèves à lire Freud en allemand, actualisant du même coup l'idée d'une unification de la conceptualité, dont on trouve la trace dans le célèbre Vocabulaire de la psychanalyse (Presses universitaires de France, 1968), réalisé par Jean Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis, sous la direction de Daniel Lagache, lequel mit en chantier aux PUF, à la même époque, un projet d'opus magnum qui ne se réalisa jamais, du fait des désaccords survenus entre les différents protagonistes.

Ayant quitté l'IPA en 1963, Lacan, installé aux éditions du Seuil, n'obtint jamais la permission de traduire certaines oeuvres de Freud : les droits étaient réservés à trois éditeurs - PUF, Gallimard, Payot - et aux psychanalystes membres de l'IPA, seuls habilités à y désigner une équipe. Installé chez Gallimard, Pontalis renonça, lui, à publier des oeuvres complètes, refusa tout projet de passage de Freud dans la collection "La Pléiade" et se contenta de faire traduire, retraduire ou réviser un grand nombre d'ouvrages dans la collection "Connaissance de l'inconscient". Malgré des préfaces insuffisantes, ces textes sont remarquablement traduits, notamment par Cornélius Heim et Fernand Cambon. Ils mériteraient d'être republiés, avec des commentaires et des notes adéquates, dans la collection de poche "Quarto", comme cela avait été prévu. Hélas, ce projet a été ajourné lui aussi.

Mise en chantier en 1988 par une équipe composée de Jean Laplanche, Pierre Cotet, André Bourguignon (1920-1996) et François Robert, l'édition des Œuvres complètes de Sigmund Freud (OCSF) n'est pas encore achevée aux PUF, avec 15 volumes parus (sur 21) en édition courante et en poche (dans la collection "Quadrige"). En contradiction avec l'esprit du Vocabulaire de la psychanalyse, cette édition, fruit d'un travail d'équipe et non pas d'une rencontre entre un traducteur et une œuvre, a été unanimement critiquée. Voulant se situer en symétrie inverse de Pichon, les artisans de cette entreprise ont prétendu faire retour à une sorte de germanité archaïque du texte freudien. Aussi se sont-ils donné le titre de "freudologues", convaincus que la langue freudienne n'était pas l'allemand mais le "freudien", c'est-à-dire un "idiome de l'allemand qui n'est pas l'allemand mais une langue inventée par Freud". Ainsi traduite en freudien, l'œuvre de Freud n'est guère lisible en français : tournures incompréhensibles, néologismes, etc. Parmi les inventions, notons "souhait" ou "désirance" à la place de "désir" (wunsch), "animique" à la place d'"âme" (seele) ou de psyché, "fantaisie" au lieu de "fantasme" (fantasie). Face d'un côté à cette version pathologique de l'œuvre freudienne, et, de l'autre, à l'immobilisme de Gallimard, on comprend que l'entrée dans le domaine public soit en France un événement : un moment de bonheur et de liberté.

Si les traductions françaises publiées aujourd'hui sont différentes les unes des autres, elles ont pour point commun un rejet de toute théorie "freudologique", un retour au classicisme, un refus des dérives interprétatives. Le nouveau Freud français est désormais l'oeuvre d'universitaires patentés. D'où un certain académisme : les traducteurs et commentateurs, normaliens, agrégés, professeurs de lettres, germanistes, philosophes ne se soucient guère des travaux des psychanalystes ou même des historiens du freudisme, et pas du tout des innovations issues du monde anglophone : retour à la langue de Freud, à l'allemand de Freud et à l'Europe continentale qui a vu naître la psychanalyse. Le nouveau Freud français n'est ni lacanien, ni freudien orthodoxe, ni scientiste, ni affilié à l'IPA, il est un auteur du patrimoine philologique franco-allemand, revu et corrigé à la lumière de la philosophie et de la littérature : un Freud de la République des professeurs, démédicalisé, dépsychologisé, dépsychanalysé, peu historisé. Cette perspective est très différente de celle adoptée par les Britanniques.

Puisque la Standard Edition révisée est une merveille, les responsables de la nouvelle édition anglaise ont pris un parti inverse de celui de la France. Chez Penguin, les traductions ne visent pas à corriger les erreurs du passé mais plutôt à donner une autre image de l'oeuvre en l'immergeant dans l'histoire de la culture politique, des études de genre ou des débats historiographiques. Aussi bien sont-elles désormais présentées par d'excellents auteurs anglophones ayant eux-mêmes produit des travaux critiques ou historiques : John Forrester, Jacqueline Rose, Mark Edmundson, Leo Bersani, Malcolm Bowie. Adam Philips est le seul psychanalyste à faire partie de cette entreprise, mais il est aussi un essayiste iconoclaste peu apprécié de ses collègues praticiens.

Une chose est certaine en tout cas : dans le monde entier, l'édition des oeuvres de Freud est désormais l'affaire des écrivains, des universitaires et des historiens. Après des décennies de querelles ou de charabia, Freud est désormais regardé, hors du milieu psychanalytique - et à l'exception notable de l'Allemagne -, comme l'un des grands penseurs de son temps. Cela ne manquera pas de provoquer de nouvelles campagnes antifreudiennes semblables à celles orchestrées depuis vingt ans par les tenants d'un comportementalisme barbare. Car il en va de Freud comme de Darwin ou de Marx. Les déferlements de haine à leur égard semblent être la preuve que leur invention touche à une vérité universelle : quelque chose comme le propre de l'homme. L'être humain est en effet le produit d'une évolution biologique, d'une détermination psychique conflitctuelle et d'un environnement social conçu en termes de classes.

Elisabeth Roudinesco

Article paru dans l'édition du 08.01.10






Freud, mal aimé en France

Une somme sur des rapports tumultueux.

Par FRÉDÉRIQUE ROUSSEL

Vingt-cinq ans déjà qu’Alain de Mijolla compulse des archives d’histoire de la psychanalyse. Et deux ans pour la rédaction de cet énorme livre qu’est Freud et la France, 1885-1945 (947 pp., PUF, 49 euros, à paraître le 13 janvier), qui sera suivi d’un deuxième volet, La France et Freud, 1946-1981 (jusqu’à la mort de Lacan). Le psychanalyste et fondateur de l’Association internationale d’histoire de la psychanalyse (AIHP) a opté pour un parti pris chronologique, année après année. Dans un récit fouillé et méticuleux,il croise les événements, les protagonistes et les débats scientifiques du moment. Cette somme, destinée à être un instrument de travail, suit la lente progression du personnage de Freud et de ses idées dans le milieu médical et culturel français à travers correspondances privées, témoignages et articles.

Le fondateur de la psychanalyse a très peu séjourné en France. Mais les quelques mois qu’il passera aux côtés du professeur Charcot à la Salpêtrière en 1885 seront déterminants. Il reviendra à Paris, très brièvement, en juin 1938, quand il fuit Vienne pour Londres.

Les rapports de la psychanalyse avec la France ont dès le début été compliqués. «Les Français ont toujours été hostiles à Freud à cause de Pierre Janet et des théories qui existaient en France avant lui. La psychanalyse a eu du mal à rentrer et a été éreintée. Le Livre Noir [2005, ndlr] n’a rien inventé, tout ce qui est dit contre Freud est dit depuis 1914.» Alain de Mijolla, qui prise peu les querelles d’école, souligne que depuis la mort de Freud, les batailles se font autour de la formation. Son livre montre que la psychanalyse fut l’œuvre d’un penseur génial, diffusée non sans heurts dans un pays a priori rétif.

A noter qu’est aussi sorti en octobre un portrait sonore en 2 CD intitulé «Sigmund Freud, Dans l’intimité d’un génie», où l’on entend la voix du maître et des témoignages du premier cercle (dont Marie Bonaparte, Anna Freud, Gaston Bachelard), Radio France-INA, 22 euros.




Livres


Entretien

"Peur" ou "angoisse" ? Trois traducteurs s'expliquent

LE MONDE DES LIVRES | 07.01.10


S'agissant d'un auteur comme Freud, tout choix de traduction engage des enjeux non seulement linguisitiques, mais aussi théoriques et conceptuels. Nous avons demandé à trois traducteurs d'expliquer leurs options, en prenant un exemple : le livre de Freud intitulé Das Unbehagen in der Kultur (1930). François Robert appartient au comité éditorial qui supervise la parution des Œuvres complètes de Freud aux Presses universitaires de France, où ce texte a été publié en 1994 sous le titre Le Malaise dans la culture. Deux nouvelles traductions paraissent ces jours-ci : chez Garnier-Flammarion, Dorian Astor a conservé le même titre ; au Seuil, Bernard Lortholary a préféré, quant à lui, Le Malaise dans la civilisation. Entretiens croisés.

Comment envisagez-vous l'avenir du texte freudien, à présent que chacun peut en publier une nouvelle traduction ?

Bernard Lortholary : A chaque fois qu'on publie une nouvelle traduction d'un grand écrivain, cela augmente mécaniquement son audience, et cela offre aussi à ceux qui le connaissent déjà un matériau qui nourrit l'échange, la réflexion. Pour Freud, c'est une chance d'échapper à la pierre tombale jargonnante qui a jusqu'ici dissuadé le grand public de le lire, alors même qu'il écrit un allemand tout à fait fluide, et qu'il mérite d'être traduit de façon limpide. Or il l'a essentiellement été par des gens qui connaissaient mieux la psychanalyse que l'allemand. Il s'y sont attelés avec un incontestable courage, mais sans réelle compréhension de la langue.

Dorian Astor : Cette concurrence des traductions permet un travail critique qui oblige à revenir au texte. En France, l'oeuvre freudienne a longtemps été enfermée dans une forteresse psychanalytique qui prétendait détenir sa vérité. Il y avait l'idée que, si l'on n'était pas psychanalyste, on ne pouvait pas traduire Freud. Or dire qu'une traduction est définitive, c'est un réflexe totalitaire. Pour ma part, je suis germaniste, traducteur littéraire, et je refuse de me battre avec les psychanalystes sur le terrain de l'orthodoxie. Mais je peux les affronter sur le terrain de la langue...

François Robert : Nous attendons la confrontation avec sérénité. Toute nouvelle traduction est la bienvenue. Mais attention, il ne faut pas régresser. Chacun peut proposer une traduction qu'on dira plus "lisible", mais l'important est de ne pas revenir en arrière en nivelant tout, au mépris de la rigueur théorique. Notre équipe travaille sur l'ensemble des oeuvres. Il est plus facile de dire "allez, je vais traduire Malaise dans la culture !", ponctuellement, sans se préoccuper de savoir si tel ou tel terme revient dans un autre livre. On nous a beaucoup reproché de chercher à uniformiser le vocabulaire de Freud. Mais notre but est d'abord de faire apparaître des discontinuités et des continuités dans cette langue qui est faussement simple, car Freud a une manière très spécifique de conceptualiser les mots. Il faut en tenir compte. La diversité, oui ; l'éclectisme, non !

Pourquoi avoir choisi de traduire Das Unbehagen in der Kultur par Malaise dans la civilisation ou par Malaise dans la culture ?

Bernard Lortholary : La langue allemande dispose des deux termes, "Kultur" et "Zivilization". Quand on traduit, il faut toujours se demander : ce texte, de quoi il parle, à quelle date, et à qui s'adresse-t-il maintenant ? Freud parle du malaise engendré par la civilisation. Mais il écrit à un moment où les idéologues accusent la "Zivilisation" d'être française, voire juive, par opposition à la "Kultur" allemande. Il met les pieds en terrain miné. Nous n'en sommes plus là. Aujourd'hui, si un journal titre "Malaise dans la culture", on se dit : ah, Frédéric Mitterrand doit avoir de gros soucis... Le terme "culture" a été réquisitionné par ce sens institutionnel. Donc, j'ai choisi Malaise dans la civilisation.

Dorian Astor : Il y a ici un jeu de miroirs. En allemand, le mot "Kultur" est mélioratif, il signifie supérieur. En français, c'est plutôt "civilisation" : on ne parle pas de civilisation papoue, mais de culture papoue. Dans L'Avenir d'une illusion, Freud dit : "Je dédaigne de faire la différence entre Kultur et Zivilization." A partir de là, il faut savoir comment les choses s'articulent conceptuellement. Freud est l'héritier d'une philosophie où l'on oppose nature et culture. Pour lui, tout ce qui éloigne l'homme de la nature est un fait culturel. Utiliser le terme "civilisation" pour traduire le titre, ce serait en revenir au vieux sentiment de supériorité français façon années 1930. J'ai opté pour Malaise dans la culture.

François Robert : La distinction Kultur/Zivilization appartient à l'univers de pensée allemand. Pourtant, il est possible d'importer le concept de Kultur dans la traduction, où ce mot va prendre une nouvelle acception, parfaitement cohérente avec celle qu'il a aujourd'hui en français. "La culture est édifiée sur le renoncement pulsionnel", répète Freud. Telle est l'opposition pertinente chez lui. Si on traduit par "civilisation", on perd donc le sens nouveau que Freud a donné au mot "Kultur" : la grande nouveauté freudienne, c'est d'assimiler la nature à la pulsion, et la culture à son refoulement.

Pourquoi avoir choisi de traduire le mot allemand "Angst" par "angoisse" ou par "peur" ?

Bernard Lortholary : Souvent, en traduction, il n'y a pas de solution idéale, on doit choisir la moins mauvaise. D'abord, il faut éviter ce qu'a fait l'équipe des oeuvres complètes : parce que l'allemand dit "das Kind hat Angst vor dem Pferd", ils traduisent "l'enfant a de l'angoisse devant le cheval". Sous prétexte de cohérence terminologique, on écrit des choses ridicules. Le mot "Angst" recouvre un sens large, depuis la peur de ceci ou cela jusqu'à l'angoisse existentielle. Il faut donc se résoudre à ne pas toujours traduire par le même mot : j'ai choisi tantôt "peur", tantôt "angoisse". Le contexte donne la solution.

Dorian Astor : La distinction que le français opère entre "angoisse" et "peur" n'existe pas en allemand. J'ai donc choisi "peur", afin de garder la généralité du terme. Par ailleurs, l'angoisse se définit comme une peur dont on ignore l'objet. Freud dit que l'"Angst" se cache derrière tous les symptômes. Parler d'une "angoisse inconsciente", comme le font certains traducteurs, n'a pas de sens. Ce qui est inconscient, c'est l'objet de la peur. Un enfant dit "j'ai peur", il ne dit pas "je suis angoissé". Et de quoi mon chéri ?, lui demande-t-on. "Je sais pas"...

François Robert : Chez Freud, la théorie de l'angoisse présuppose qu'on puisse parler d'"angoisse inconsciente", comme on parle de "culpabilité inconsciente". Ce n'est pas le traducteur qui est en cause, c'est Freud lui-même ! Quand on dit "Ich habe Angst vor", on est tenté de traduire par "j'ai peur de". Mais Freud vient toujours compliquer les choses. Il faut prendre le risque d'une périphrase, pour montrer comment le concept se déploie. Lorsque le petit Hans dit "j'ai peur du cheval", Freud explique que c'est de l'angoisse ("Angst") et non de la peur ("Furcht"). Si vous passez indistinctement de l'une à l'autre, vous perdez la richesse de la théorie. Il faut donc dire que Hans "a de l'angoisse devant le cheval". Il y a une grande différence entre le sens courant d'un mot et celui que Freud lui donne. Il est piégeant, vous savez !

Propos recueillis par Jean Birnbaum

Article paru dans l'édition du 08.01.10.





Compte rendu

De l'intérêt de Sigmund Freud pour Yvette Guilbert, la plus moderne des chanteuses d'antan

LE MONDE | 24.12.09








Le psychanalyste viennois
Sigmund Freud à Londres en 1938.


Parce qu'il s'intéressait aux femmes, à l'art, et à leurs mystères respectifs, Sigmund Freud avait été subjugué par Yvette Guilbert (1865-1944). Le médecin viennois était venu à Paris en 1890 afin de suivre les consultations du professeur Charcot, grand spécialiste de l'hystérie. La chanteuse de cabaret faisait ses débuts à l'Eldorado, et le fondateur de la psychanalyse écouta bouche bée Dites-moi si je suis belle, chantée sur une mélodie tortueuse datant du XIVe siècle. Freud resta fidèle au modèle favori de Toulouse-Lautrec, qui la dessinait sans relâche, taille fine, yeux perdus, longs gants noirs.

En 1897, la plus moderne des chanteuses d'antan épousa un autre Viennois, biologiste, Max Schiller. Plus tard, Freud accrocha à son mur, à côté du portrait de son amie l'écrivain Lou Andreas-Salomé, celui de cette femme qui fascina Paris et bien au-delà, jusqu'à ce qu'elle tombe malade en 1900. Et Freud entretint une passionnante correspondance avec la "diseuse fin de siècle", unique en son art du parlé-chanté et du théâtre en scène.

Passionnée par ce genre très européen, Nathalie Joly a construit un spectacle, Je ne sais quoi, fondé sur dix-neuf chansons et dix-huit lettres inédites, écrites entre 1926 et 1939 - Freud était alors réfugié à Londres. Elle l'a créé fin 2008 à l'initiative de la Société française de psychanalyse, à la Cartoucherie de Vincennes, et le présente jusqu'au 31 décembre avec un pianiste, Jean-Pierre Gesbert, sur la petite scène de la Vieille Grille, un cabaret comme il en reste peu à Paris. Un passionnant coffret a, en outre, été édité, qui contient les chansons du spectacle et le texte des lettres qui lui ont été confiées par le Freud Museum de Londres.

D'Yvette Guilbert, on a gardé ces chansons composées par Léon Xanrof - un certain M. Fourneau, qui transposa son nom en latin, fornax, et inversa le tout -, qui firent le miel de Barbara, à ses débuts en 1950. Le Fiacre ou la magnifique Maîtresse d'acteur sont des mélodies qui ont traversé le siècle. Yvette Guilbert, la diseuse, mettait des musiques sur des textes de Paul de Kock (Madame Arthur), des thèmes anciens (Verligodin) ou s'emparait de drames fabuleux, comme celui de La Glu (de Jean Richepin et Gounod) ou de La Soularde (Jules Jouy et Eugène Porcin).

Freud s'interrogeait sur l'essence de l'artiste. D'un côté, Yvette Guilbert, qui changeait sans cesse de registre - drame, humour, personnages louches, prudes, voyous, femmes trahies, femmes cruelles, femmes naïves, etc. De l'autre, par exemple, un Charlie Chaplin, "qui joue toujours le même rôle, celui du garçon souffreteux, pauvre, sans défense, maladroit, mais pour qui finalement tout tourne bien. Or, pensez-vous que pour jouer ce rôle il lui faille oublier son propre moi ? Au contraire, il ne représente jamais que lui-même, tel qu'il était dans sa pitoyable jeunesse", écrit Freud à Max, le mari de "Madame Yvette".

A propos d'Yvette Guilbert, qui a une trentaine de "femmes" à son répertoire, Freud reçoit cette réponse de Max Schiller : "Yvette Guilbert a une formidable énergie de concentration, une sensibilité très forte, une imagination tout à fait extraordinaire. A cela s'ajoutent une capacité d'observation considérable, et enfin, une volonté monumentale de créer dans le vrai, fût-ce à ses dépens."

En ce sens, Je ne sais quoi est un spectacle passionnant, drôle souvent, jamais pesant, sobre (mise en scène de Jacques Verzier), qui permet à la fois de redécouvrir des chansons dites réalistes (La Soularde), des fables (La Glu, histoire d'un pauv' gars qui tue sa mère et lui prend le coeur à la demande d'une cruelle amoureuse ; sur le chemin, il court, le coeur tombe, roule sur le chemin et lui demande en pleurant : "T'es-tu fais mal mon enfant ?") ; des polissonneries (Quand on vous aime comme ça).

Nathalie Joly chante avec justesse, éclaire l'importance de la star du Moulin rouge et du Divan japonais, sans jamais chausser les gros sabots qui permettraient de comprendre le "je ne sais quoi" qui attise les passions autour de Madame Arthur.

Je ne sais quoi, de Nathalie Joly. Théâtre de la Vieille Grille, 1, rue du Puits-de-l'Ermite, Paris -5e. M° Monge. Jusqu'au 31 décembre, à 19 heures. De 7,50 € à 17 €. Tél. : 01-47-07-22-11.
Nathalie Joly chante Yvette Guilbert, 1 CD et livret de 28 pages, Seven Zik - Marche la route.

Véronique Mortaigne