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Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

mercredi 16 septembre 2009


Social
Débarqué par l’Arh : le docteur Paresys, première victime de la loi Bachelot


http://www.viva.presse.fr/Debarque-par-l-Arh-le-docteur_12507.html

Le docteur Paresys sera-t-il la première victime de la loi Bachelot ? L’agence régionale d’hospitalisation (ARH) vient, début septembre de rejeter le recours qu’il avait déposé contre l’arrêté mettant fin à ses fonctions de chef de service de l’établissement public de santé mentale des Flandres à Bailleul (Nord).

En juillet cet arrêté succédant à la décision du conseil exécutif de l’établissement avaient créé une vive émotion, de nombreux syndicats et associations qui avaient manifesté leur soutien au docteur Paresys [1] y voyant la confirmation des orientations de la loi Bachelot qu’ils dénonçaient : nouvelle gouvernance visant à administrer l’hôpital comme une entreprise, primat de la décision administrative sur l’intérêt des malades et l’argument médical. En effet, avant même la promulgation de la loi Bachelot, le conseil exécutif de l’établissement de Bailleul et l’agence régionale d’hospitalisation passaient outre à la commission médicale détablissement (CME) qui avait elle confirmé le docteur Paresys dans ses fonctions, fonctions qu’il occupe depuis 15 ans.


Psychiatre et militant syndical
Que reproche l’ARH au docteur Paresys ? Psychiatre, il est aussi militant syndical (Union syndicale de la psychiatrie). A ce titre il a participé à la dénonciation des lois contre les lois de Prévention de la délinquance, et particulièrement contre l’article 8, qui remettait fondamentalement en question le statut des patients, et donnait aux maires des pouvoirs exorbitants en terme d’hospitalisation d’office.
Le Syndicat de la médecine générale (SMG) qui demande l’annulation de l’arrêté de l’ARH souligne que ce qu’on lui reproche est bien « une pratique basée sur les besoins de santé des patients : organisation de la permanence des soins, défense de la psychiatrie de secteur permettant l’accès aux soins de tous, de la psychiatrie de liaison, recherche d’alternatives à l’hospitalisation comme la création d’une maison thérapie fermée arbitrairement par l’ARH, projet d’implantation de lits plus favorable aux besoins de la population (annulé par l’ARH pour un projet plus coûteux et stigmatisant les patients), accès aux soins facilité pour les détenus et les personnes en situation précaire etc ».


Responsabilité médicale
Dans son arrêté de juillet, l’Agence régionale d’hospitalisation justifiait sa décision en écrivant que : « Le bilan du docteur Pierre Paresys est un véritable réquisitoire contre l’Agence régionale de l’hospitalisation et la direction de l’établissement », ajoutant que : « Il n’est pas dans les responsabilités du médecin chef de remettre en cause les prescriptions des administrations locales ou régionales... » . Une ligne parfaitement conforme aux orientations de la loi Hôpital patients santé territoire mais, souligne le docteur Paresys dans une lettre au directeur de l’EPSM [2] : « Personne, ne peut délier un médecin de sa responsabilité vis-à-vis des patients ou de l’équipe, pas même un chef de pôle. Le code de déontologie condamne par ailleurs tout lien hiérarchique et privilégie la collégialité, la diversité des pratiques. Le médecin chef aura donc toujours le devoir de défendre des orientations compatibles avec les intérêts combinés des patients et de l’équipe qui demeurent indissociables, et le devoir de combattre les autres »…
[15.09.09]

Maïté Pinero

[1] Association des internes et anciens internes en psychiatrie, syndicats de psychiatres public (IDEP et SPH), Comité d’action Syndical en Psychiatrie, Coordination Nationale des Comités de Défense des Hôpitaux et Maternités de Proximité, CGT, Collectif contre les franchises, fédération nationale Sud-Santé sociaux, Union Syndicale de la Psychiatrie.
[2] Lettre ouverte au directeur de l’ARH : www.uspsy.fr

Pour signer la pétition de soutien : http://lapetition.be/en-ligne/petition-4483.html
lyoncapitale.fr

SOCIETE


Dépression : les cliniques accueillent à bras ouverts
http://www.lyoncapitale.fr/index.php?menu=01&article=8599

Reportage. L'hospitalisation publique est de plus en plus difficile d'accès pour les dépressifs en crise. Pour être suivi à court terme et à temps plein, ils sont donc réorientés vers les cliniques privées qui tournent à plein. (Article paru dans le numéro d'avril de Lyon Capitale)

Les hôpitaux psychiatriques publics sont au bord de l'apoplexie. Alors la psychiatrie réoriente les patients et les aiguille vers une prise en charge dans des cliniques privées. À Lyon, elles proposent 450 lits. Dans ces établissements, le taux d'occupation flirte avec les 100%. À Écully, la clinique Mon Repos a réalisé un chiffre d'affaires de 5,4 millions d'euros. Elles assurent un suivi et un soin que l'hôpital public ne peut assurer faute de moyens. “Nous ne surfons pas sur le business de la souffrance psychique. Nos prix ne sont pas exorbitants et les mutuelles ainsi que la sécurité sociale remboursent dans la plupart des cas tous les frais d'hospitalisation”, se justifie Manuel André, le directeur de la clinique Mon Repos. Le forfait journalier est de 12 euros et peut grimper jusqu'à 53 euros pour une chambre simple et un peu plus spacieuse, 23m2, équipée d'une télévision.

Dans l'agglomération lyonnaise, il n'existe aucune clinique pour VIP en pleine crise de nerfs comme en région parisienne. Cinq établissements se répartissent les patients hospitalisés dans le privé et proposent une offre d'accueil de 450 lits. La clinique Mon Repos à elle seule peut en accueillir une centaine. Le cadre est apaisant. L'endroit semble comme coupé du monde. La bâtisse a des allures d'hôtel casino de station thermale. Les patients qui déambulent l'air hagard dans les couloirs de la clinique ramènent à la réalité du lieu. “Les malades qui arrivent chez nous sont dans un état dépressif grave avec souvent une tentative de suicide”, précise Manuel André. À la clinique Mon Repos se mêlent des patients récurrents, chez qui la dépression est une pathologie, à ceux qui connaissent “juste” un épisode de crise. Les cadres côtoient des bénéficiaires de la CMU. Comme dans toutes les structures de soins psychiatriques, les salariés qui ont pété les plombs sont légion. Ils ne repasseront généralement plus par la clinique Mon Repos. La durée des soins est en moyenne d'une quarantaine de jours.


ACTUALITE MEDICALE

Promouvoir des alternatives à l’hôpital psychiatrique
Publié le 15/09/2009
http://www.jim.fr/e-docs/00/01/B1/71/document_actu_med.phtml#



Dans les services psychiatriques de tous les pays, eu égard à l’impératif des restrictions budgétaires, la tendance générale est à la réduction systématique des durées d’hospitalisation et à l’élaboration de solutions substitutives pour répondre malgré tout efficacement aux besoins de soins des patients. Consacrée à une méta-analyse de 27 études sur ce thème (échelonnées entre 1966 et 2008), une publication britannique conclut à l’intérêt de développer davantage les recherches, avant de pouvoir confirmer avec certitude la supériorité de ces alternatives à l’hospitalisation classique (quant au rapport qualité / prix, en quelque sorte). Néanmoins, les programmes de type « suivi communautaire » [1] (actuellement en plein essor dans les pays anglo-saxons) offrent, estiment les auteurs, « une alternative acceptable au séjour à l’hôpital pour certains patients avec une pathologie mentale aiguë », en permettant une gestion des crises basée sur « l’individualisation et la flexibilité des interventions ».

À l’image de ces six « auberges de crise » (crisis hostels) à San Diego (Californie), le nom même de certaines de ces structures en dit parfois long sur leur vocation : lieux de vie, substitut souple et moins onéreux à l’hôpital psychiatrique, avec tendance à privilégier l’aspect hôtelier, social et communautaire, sur l’aspect technique et médical, même si celui-ci reste bien sûr toujours présent dans les ressources disponibles.

Dans ce registre des « structures intermédiaires », on parle plutôt en France d’institutions à caractère médico-social, de logements thérapeutiques, de foyers de jour (ou d’internats), d’accompagnement à la vie sociale… Mais ces diverses dénominations dissimulent mal une réalité mesquine venant souvent compromettre les espérances ambitieuses à l’origine de tous ces projets de désinstitutionnalisation : le manque récurrent de moyens humains et financiers.

[1] Cf. http://www.espace-socrate.com/SocProAccueil/Document\Rehabilitation\a_accompagnement_et_suivi_communautaire.pdf

Dr Alain Cohen

Lloyd-Evans B et coll. : Residential alternatives to acute psychiatric hospital admission : systematic review. Br J Psychiatry 2009; 195: 109-117.

samedi 12 septembre 2009

Editorial
samedi 12 septembre 2009

La peine de mort n'a pas été abolie en France...

Ce titre peut étonner. Pourtant, c'est bel et bien la réalité. En effet, « le suicide tue plus dans les prisons que la peine de mort ne l'a jamais fait » (1). La dernière exécution capitale a eu lieu en 1977. Depuis, c'est au moins 3 000 morts par suicide que l'on peut recenser dans les prisons. Ainsi, des êtres humains placés sous la responsabilité et donc, en principe, sous la protection de l'État, se donnent la mort et que fait-on ? Des rapports et des rapports sur les prisons, sans que les choses changent en profondeur. À l'évidence, c'est le système carcéral lui-même qui est en cause.

Ne plus disposer ni de son temps ni de son espace, la promiscuité, l'impossible intimité, la soumission constante, la difficulté de prendre des initiatives, la rareté des contacts avec l'extérieur, avec la famille, l'indigence des relations entre personnes, l'ennui, la frustration, la violence, les trafics, les hiérarchies parallèles, les caïds, les braqueurs, les pointeurs, tout cela est à l'origine de certains des suicides, des automutilations, des dépressions, des agressions. À cette situation désastreuse, s'ajoute la souffrance des familles qui devraient pourtant être mises en situation d'aider le détenu. S'y ajoute aussi la souffrance des personnels, fatigués, lassés d'exercer leur métier dans des conditions fragiles... Voilà ce qu'écrit Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux privatifs de liberté (1).

Tout cela est aggravé par la surpopulation dans les prisons et ce n'est pas en en construisant toujours plus que les choses changeront au fond. Espérons que ces nouvelles prisons ne reproduiront pas l'existant en plus froid, en plus neutre, en plus déshumanisé. Il faut repenser ces lieux pour qu'il soit possible d'y redonner un sens de la punition. Or, punir c'est vouloir corriger, c'est donc tout faire pour relever celui qui est tombé au lieu de l'enfoncer davantage.

Le contraire de la dignité proclamée

Il est reconnu que bon nombre de détenus relèvent de la psychiatrie. Pour eux (et pour beaucoup d'autres), la prison n'a aucun sens, dit le sénateur Jean-René Lecerf, rapporteur du projet de loi pénitentiaire. « Les prisons sont pleines mais vides de sens », ajoute le professeur de philosophie Emmanuel Jaffelin.

La prison, telle qu'elle est, ne permet pas aux prisonniers « de se sentir des hommes qui comptent encore et restent debout », écrit la psychiatre Catherine Paulet, présidente des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (1).

La conclusion de ces analyses et de ces constatations est claire pour Jean-Marie Delarue : « La prison ne peut être davantage cette mort lente qu'a dénoncée, il y a peu, un groupe de détenus. Elle doit se transformer par un ensemble de mesures qui lui permettront d'assurer les deux missions qui lui sont assignées depuis 1945 : la punition certes... mais aussi 'la réinsertion', c'est-à-dire le retour consenti, encouragé, soutenu, à une vie sociale acceptée et partagée. » (1)

Dans la semaine qui vient, le Parlement, une fois de plus, va débattre de cette grave question. Cette fois-ci, sortira-t-on enfin des chemins battus et rebattus ? Va-t-on enfin abandonner notre hypocrisie qui consiste, en ce domaine, à proférer des bonnes paroles, à faire des voeux en l'air, à proclamer les droits de l'homme, à abolir la peine de mort officiellement pour la voir se pratiquer sournoisement ? Va-t-on enfin cesser de tolérer qu'en prison, ce soit tout le contraire de la dignité proclamée ?

(1) Emmanuel Jaffelin, Le Monde, 5 septembre 2009.
François Régis Hutin

mercredi 9 septembre 2009

"L'âge de l'angoisse" a beaucoup d'avenir...
Éditeur : Basic Books
320 pages / 19 €

Résumé : Andrea Tone ne livre pas seulement une histoire exemplaire des tranquillisants. Elle ruine bien des clichés moraux et des facilités épistémologiques qui paralysent l'analyse historique rigoureuse de nos rapports si ambigus aux psychotropes. Un chef-d'oeuvre.
Pierre-Henri CASTEL

http://www.nonfiction.fr/article-2746-nonfiction.htm


Andrea Tone, qui enseigne l'histoire sociale de la médecine à l'université McGill, était bien connue pour son essai de 2001 sur la pilule contraceptive, Devices and Desires. Gageons que son dernier livre rencontrera le même succès. Il conte la tumultueuse histoire d'amour et de désamour de l'Amérique pour les tranquillisants, du tout premier, aujourd'hui bien oublié, le Miltown, jusqu'à la vague (funeste?) des benzodiazépines, et pour finir, à l'usage si problématique des anti-dépresseurs de dernière génération comme anxiolytiques.

Il gagne surtout à être mis en regard du travail de Christopher Lane sur la médicalisation des émotions, parce qu'il démontre que tout ce qu'on doit reprocher à Lane était parfaitement évitable, et qu'entre l'essai hypercritique, séduisant mais pour finir vain, et le travail minutieux de l'historien, surtout quand il a la chance extraordinaire de tomber sur une archive exceptionnelle, le public peut d'emblée percevoir la différence. Le grain des phénomènes sociaux est plus fin, les tensions qui les traversent plus dialectiques, plus paradoxales, la grande histoire pénètre la petite dans des détails inattendus. Nous sommes enfin délivrés des grands récits passe-partout dont se nourrit l'essayisme actuel en matière de santé mentale (le Triomphe Mercantile de l'Industrie Pharmaceutique comme infrastructure, la Haine de la Psychanalyse comme superstructure, l'Intellectuel Dénonciateur en Héros Moderne, etc.) qui ont découragé les études empiriques, ou pire encore, réduit les faits à des illustrations banales pour des théories préexistantes. Il n'est tout simplement pas vrai que si "ça a marché", c'est que "ça devait marcher". Andrea Tone nous met au contraire sous les yeux des pharmacologues assez peu fiers de leurs découvertes, et plutôt malhabiles à en tirer pour eux-mêmes profit, des industriels surpris de découvrir une clientèle aussi réceptive, et des gens ordinaires, aux soucis fort éloignés de la critique sociale, se transformer en menaces majeures pour les lobbies pharmaceutiques, bref, des surprises, des contre-pouvoirs, des moments de vraie science et même d'éthique et de haute responsabilité politique illuminant la montée progressive de la corruption douce des milieux médicaux, les surprenantes lacunes du droit, et l'aveuglement de tous devant des modifications si profondes de nos affects collectifs, qu'il faut des dizaines d'années de recul pour en saisir les contours.

Pourquoi en effet l'angoisse fait-elle problème? Pourquoi chaque époque, au moins depuis qu'on parle de Modernité, autrement dit depuis la fin du 17ème siècle, s'est-elle à un titre ou un autre vécue comme "l'âge de l'angoisse" (Auden en a frappé la formule en anglais et Andrea Tone le cite explicitement)? Parce que l'angoisse est à la fois une émotion pénible, et un sentiment dont nous ne cherchons pas tant que cela à nous sentir entièrement ni définitivement délivrés. Modalité affective exemplaire de la solitude de l'individu, c'est en même temps celle qu'il éprouve les plus grandes jouissances à surpasser; effet cruel de la vie morale qu'il mène sans l'avoir choisie. C'est aussi la preuve qu'il en a une, et qu'il n'est pas tout à fait abruti comme sujet par l'existence qu'on lui fait mener; porte ouverte sur le pire, jusqu'au suicide, c'est enfin l'aiguillon des grandes décisions et des ruptures. Bref, elle fait de l'affirmation de soi une condition douloureuse et de l'estime de soi une conquête chèrement acquise.

Si ce sont là des propriétés "conceptuelles" de l'angoisse, elles se distribuent ensuite, selon les époques et les milieux, dans des attitudes variées et souvent contradictoires. De façon trop cursive, malheureusement, Andrea Tone consacre ainsi un premier chapitre à une histoire de l'angoisse américaine. Il n'est pas difficile d’en retrouver l'origine dans les idéaux puritains, qui, jusque dans les années 1960, et sans doute encore au-delà, constituaient le socle des engagements personnels d'une partie considérable de la vaste classe moyenne et de l’élite. L’Amérique, c'est aussi le premier continent de la "neurasthénie" (le terme y fut forgé par Beard à la fin du 19ème siècle), cette pathologie protéiforme où il est si facile de "reconnaître" notre dépression, ou nos troubles anxieux, mais à laquelle on en comprend rien si on n'examine pas le rôle qu'elle pouvait jouer dans la vie morale et sociale des hommes d’avant le premier conflit mondial. D'entrée de jeu, Andrea Tone situe les drogues contre l'angoisse dans un contexte où ce qu'elles éclairent, ce sont d’abord les transformations des sentiments moraux. Elles ne puisent leur pouvoir, leur valeur marchande, et leur efficacité thérapeutique, que des réponses qu'elles offrent à des questions qui sont, de part en part, sociales et culturelles, politiquement mouvantes et moralement chargées. Car on ne soigne personne sinon de ce qui alimente une plainte collectivement admise comme légitime. Et l'on traite comme un poison tout ce qui altère des affects jugés, du moins jusqu’à un certain degré, indispensables à l’existence humaine normale. L'anglais des notices de médicaments reflète très tôt ces ambiguïtés. "Tension" n'est pas toujours "anxiety". "Tension" connote une valeur, et notamment virile, celle de l' "achiever", l'homme en route vers le succès, cette figure paradigmatique de la prospérité américaine. Ni trop, ni trop peu d’angoisse: voilà tout l'enjeu.

L'histoire moderne des anxiolytiques débute vers 1903 avec les barbituriques, et leur chef de file, le Véronal©. On mesure mal, aujourd'hui, à quel point ces substances, tenues de nos jours en si grande suspicion, bénéficiaient d'une aura d'efficacité et de sûreté. Ils remplaçaient en effet les dangereuses préparations sédatives au bromure de potassium, à quoi la pharmacopée destinée aux "malades des nerfs" s'était réduite pendant presque cinquante ans. Andrea Tone explique que le succès des barbituriques tenait notamment au fait qu'il était facile de les décliner en laboratoire en substances proches et cependant distinctes, ce qui permettait une brevetabilité fondée à l'époque, chez les Allemands, non sur la molécule, mais sur son mode de fabrication. Il n'a bien évidemment pas fallu attendre la jeunesse post-moderne dont les moralistes se lamentent pour que prolifèrent leurs usages récréatifs. "Goofballs" et autres cocktails épicés des années 1920 à 1950, dont on regrette qu'Andrea Tone ne livre pas toutes les recettes, feraient pâlir nos fêtes les plus débridées. Mais c’est la seconde guerre mondiale qui va voir exploser leur consommation, comme la drogue du soldat, employée autant pour soulager la douleur physique et les traumatismes des blessés que pour gérer l’angoisse des combattants. A la fin de la guerre, tout un marché illicite se développe, qui atteste des effets à long terme de cette intoxication collective. Or, la banalisation des barbituriques rencontra aussi, premier paradoxe, un allié inattendu : la psychanalyse. En effet, loin de contrevenir aux cures par la parole, les barbituriques (tels le penthotal, le fameux "sérum de vérité") furent utilisés pour la faciliter. Andrea Tone ne dit pas grand-chose de ce que fut alors la vogue incroyable de la "narco-analyse", psychanalyse rapide et efficace, car surmontant d’un coup le refoulement. Elle reste cependant un maillon essentiel dans la naissance d’un appétit de brièveté et d’efficacité thérapeutique, qui devait si rapidement faire basculer les demandes ordinaires des gens, de la cure freudienne avec un appoint chimique, à celle de la cure chimique avec complément psychologique.

Le méprobamate, principe actif du Miltown©, et qu’on trouve encore commercialisé par Wyeth sous le nom d’Equanil©, allait à cet égard marquer l’histoire et de la psychopharmacologie, et de la culture. Plus exactement, et c’est toute la force du livre d’Andrea Tone, grâce au Miltown©, nous comprenons pourquoi l’histoire de la culture et de la société individualiste devait à partir des années 1950 se trouver inéluctablement liée à celle de la psychopharmacologie.

Car, règle d’or de tous les anxiolytiques successivement commercialisés, et capitalisant sur la toxicité « finalement reconnue » de leurs prédécesseurs, le méprobamate se présentait d’abord comme absolument non toxique et non-addictif. On en frémit après coup… Mais à soi seul, cela ne pouvait suffire à son formidable succès. Il faut aussi tenir compte du contexte de la guerre froide commençante. La peur de l’apocalypse nucléaire, la menace soviétique, étaient en effet incorporées au quotidien des familles, aux exercices imposés aux écoliers, au point que la trousse de secours de la parfaite ménagère sous abri atomique se devait de contenir une centaines de comprimés de "tranks" ! Enfin, Andrea Tone note avec finesse que les "tranks" sont les premiers médicaments pour gens "normaux", car il est normal d’être angoissé, et que les gens "normaux" n’ont besoin, eux, que d’une aide "temporaire" . C’est là un formidable vecteur de diffusion, mais aussi, qu’on y prenne garde, le germe d’une future réaction potentielle violemment négative aux anxiolytiques. Car les gens "normaux", eux, ne veulent pas être des "drogués", ni dépendre en rien des médicaments, comme les "malades". D’ailleurs, ce n’est pas le psychiatre qui leur aura prescrit un anxiolytique, mais le généraliste, et comme un petit coup de pouce ("Mother’s little helpers", chanteront plus tard les Rolling Stones, sur un ton sinistre ) ; pas comme un vrai traitement pour une maladie mentale !

On voit là combien les thèses bien grossières qui font des masses innocentes les victimes de l’avidité manipulatrice des marchands de médicaments sont incapables de tenir compte de ce que Gerald Klerman a appelé, dans les année 1970, le "calvinisme pharmacologique" des Américains. On doit pouvoir se passer de psychotropes, quand on est "normal", et, en même temps, ceux qui en ont vraiment besoin, même ponctuellement, doivent pouvoir en consommer et en réguler eux-mêmes l’usage, en mettant leur liberté et leur autonomie à l’abri des pièges addictifs des molécules. Tout cela n’est pas aisé à comprendre pour un lecteur français. Nous imaginons les Américains gavés d’anxiolytiques, forgeant des pathologies imaginaires, comme la phobie sociale, le trouble panique, le SAD (Social Anxiety Disorder) pour pathologiser à des fins mercantiles des émotions innocentes. Toute l’argumentation de Lane repose là-dessus. Mais il n’en est rien : c’est nous, Français, qui étonnons les Américains. Nous consommons, à leurs yeux, des quantités effarantes de Xanax© (Alprazolam), la drogue même qui dans les années 1980 a remplacé le Valium© avant de déclencher une vague de méfiance et de rejet sans précédent. Ils s’étonnent même que cela ne nous pose pas de problème majeur de santé publique . C’est que nos formes d’appropriation collective des émotions et notamment de l’angoisse, la façon sans doute dont nous privatisons certaines difficultés psychologiques, est entièrement étrangère à la problématique post-puritaine du "calvinisme pharmacologique" américain. C’est d’ailleurs une question formidable, et fort empirique, à poser aux sociologues de la santé mentale : comment consommons-nous, en France, les psychotropes ? Quel genre de "droit" nous reconnaissons-nous d’en prendre, et quel "devoir" de les arrêter ? La réception du livre de Lane en France n’en semble que plus étrange : un peu comme si le phénomène culturel si particulier dont il est l’émanation exemplaire, la méfiance traditionnelle et typiquement américaine pour tout ce qui empêche le Self de prendre le contrôle de ses propres émotions, pouvait se transposer tel quel en France. Il aura suffi, et la chose est là encore exemplaire, de faire comme si Lane défendait la psychanalyse pour que le malentendu soit consommé, et que la critique sociale à la française "se reconnaisse" dans des thèses qui n’ont que fort de peu de prémisses morales et anthropologiques communes. Décidément, la globalisation des marchés et des mœurs ne rend que plus sensibles les appropriations locales et les distorsions multiples de tendances universelles. On devrait parler non de globalisation, mais de « glocalisation ». L’Amérique de Ralph Nader et des grands combats des consommateurs contre les lobbies, la culture individualiste de l’empowerment et des associations de patients, la virulence du combat féministe pour la santé des femmes (première cible des anxiolytiques de la seconde génération, les benzodiazépines), tout cela donne une couleur absolument spécifique au rapport puritain et post-puritain à l’angoisse. Nous ne savons pas si bien, en France, ce qui en serait la contrepartie, encore que, par exemple, les rapports entre patients et généralistes soit depuis longtemps un des lieux bien connus où se négocient nos spécificités à cet égard… De fait, Andrea Tone cite avec précision ces documents fascinants de Roche, où prescrire des tranquillisants aide à lutter contre la peur du chômage, dans un ordre économique qu’il n’est pas question de contester . Mais elle montre également comment émergea aux Etats-Unis l’idée d’un besoin "collectif" de médicaments psychotropes, besoin qui serait, de façon anti-individualiste, l’objet d’un souci public.

Un des charmes de ce livre, c’est ensuite comment il double l’histoire scientifique et aussi capitalistique des anxiolytiques d’une histoire culturelle de leurs appropriations populaires. Rien ne dément mieux la thèse de la manipulation unilatérale des foules par les forces démoniaques du marketing scientifique, que cette phrase de Henry Hoyt, le petit chanceux qui osa se risquer dans la vente industrielle du méprobamate, et qui lança sans s’en douter le premier block-buster de toute l’industrie pharmaceutique moderne, le Miltown© : "Laissez-moi vous dire : quand on a affaire à absolument tout le monde, on a affaire à la Grande Inconnue" . Mais c’est qu’il dut faire face à des enquêtes serrées, pour expliquer pourquoi, sans leur avoir jamais fourni d’échantillons, les vedettes de la radio et de la télévision, le Tout-Hollywood, les pharmaciens débordés sous l’afflux des commandes comme les patrons de bars chic vantaient sans relâche son produit-miracle. Autre époque : on lira avec curiosité l’ahurissant mélange que se faisait prescrire Kennedy à la Maison Blanche . Bref : nous ne sommes sûrement pas passifs dans nos relations aux drogues, et seul un regard vraiment anthropologique, qui décèle les enjeux spociaux généraux, peut rendre compte de ce que nous vouons au succès ou à l’échec, et pourquoi, en fait de médicaments.

Andrea Tone poursuit l’aventure du Miltown© avec celle du Librium©, premier de la série des benzodiazépines, censées surmonter les effets secondaires redoutables du méprobamate. A Frank Berger succède sous son amical scalpel Leo Sternbach. Que voilà des carrières scientifiques joliment racontées ! Ces savants chassés d’Europe vous savez pourquoi, emportés pour finir dans un vertigineux tourbillon de dollars, artistes du tube à essai bénis de coups de chances incroyables, peu intéressés au demeurant par l’argent et plutôt des artisans que des universitaires, renvoient de ce que pouvait être la vie d’un chercheur de laboratoire privé dans les années 1950 et 1960 une séduisante image.

Mais c’est encore une fois l’aspect véritablement social des benzodiazépines qui retiendra le lecteur : ce furent les premiers médicaments explicitement conçus avec pour cible non les besoins sociaux traduits en termes de souffrances émotionnelles, mais le cerveau. C’est grâce à ces drogues anti-angoisse modernes, montre Andrea Tone, que le vécu subjectif de la "névrose d’angoisse", ce monolithe sans faille hérité de Freud et de la psychanalyse, fut tout simplement dépecé en autant de sous-entités morbides qu’il y avait de psychotropes sur le marché pour les "guérir" . Le trouble panique, l’anxiété généralisée, les troubles de l’anxiété sociale, jusqu’aux phobies et aux obsessions, dans le sillage du développement des neurosciences, se mirent à apparaître comme des dysfonctionnements spécifiques des neuromédiateurs, et donc comme autant de cibles potentielles pour des molécules distinctes, correspondant à un marché segmenté pour autant de nouveaux psychotropes. Finie, l’ère du simple "tranquillisant". Car désormais, nous avons de l’angoisse à nous faire pour l’angoisse que nous éprouvons : de quel type est-elle au juste ? Cela, seuls pourront le dire la génétique, la psychométrie, les taxinomies tentaculaires des DSM successifs, les techniques cognitives et comportementales applicables ou pas, en somme, seuls les neurobiologistes ou les statisticiens. Cette biologisation de l’angoisse a donné lieu, très en amont, à la situation qui rend si perplexes les spécialistes en santé mentale : on critique de plus en plus les benzodiazépines, ou les anti-dépresseurs de dernières génération (comme le Prozac©) qui ont pris ensuite leur relève, mais on en consomme de plus en plus ; on s’alarme de cette consommation, mais on s’alarme au moins autant du sous-diagnostic des troubles anxieux "véritables" ; et l’on tourne en rond dans une surenchère qui peut en quelques semaines à peine diaboliser un produit jusque là porté aux nues, ou susciter l’espoir fou d’une panacée d’un jour, qu’il faudra ensuite et bien péniblement recycler d’indication en indication pour amortir ses coûts phénoménaux de production. Aux Etats-Unis, nous apprend Andrea Tone, le triomphe puis la chute des benzodiazépines ont eu pourtant d’autres déterminants sociaux et culturels que la pression des grands laboratoires. Car les benzodiazépines, c’est la drogue de la femme angoissée qui se cache ; c’est le médicament de l’angoisse honteuse. Le Valium©, premier médicament à rapporter plus de 100 millions de dollars, c’est le poison secret des femmes qui ne peuvent plus faire face. La qualité sociale de l’affect anxieux s’est transformée. Il n’a plus les mêmes effets, il ne sert plus à affecter autrui comme avant. Les émotions changent avec les sociétés, non pas tellement dans leur contour biologique, mais dans leurs fonctions pour tisser et valider des relations impératives entre les êtres humains, des relations qui les "touchent" et qui les « meuvent » en un sens rien moins que métaphorique. Andrea Tone montre ainsi le poids énorme de la confession de Betty Ford, l’épouse du président Ford, ou le succès de l’autobiographie de Barbara Gordon, dans la grande crise de conscience du "calvinisme pharmacologique" américain, justement dans les années 1980, qui est aussi, nouveau paradoxe, celle du DSM3 et de la nouvelle clinique pro-biologique des maladies mentales. A cause notamment des drames du syndrome de sevrage, le brouillage des frontières morales entre drogues (drugs) illicites et médicaments (drugs aussi, en anglais !) prescrits par des médecins, prit alors la forme d’une mise en cause des bases mêmes du sentiment d’identité, de contrôle de soi, et de dignité de l’individu qui sont au cœur de l’esprit américain. Le politique s’en saisit, et tout un arsenal de lois furent votées.

Comment, et au prix de quels détours et de quels à-coups dans l’appréciation collective de l’angoisse et de son traitement, Andrea Tone rejoint à la fin la situation contemporaine, le lecteur s’en émerveillera. Il se demandera aussi comment ces grands faits universels, liés au capitalisme mondialisé, à l’uniformisation des émotions et des représentations, s’insèrent dans des contextes nationaux précis — et en particulier, dans le contexte français. Il restera peut-être aussi un peu sur sa faim, quand il cherchera à comprendre au juste pourquoi l’angoisse américaine a évolué dans les années 1960, puis 1980 . Il n’en reste pas moins que l’ampleur de la fresque, l’harmonie des détails avec l’ensemble, la sélection des sources et le comparatisme permanent font de The Age of Anxiety un de ces bons livres de sciences sociales, dont on aimerait ne pas attendre vingt ans la traduction.







Exercice de la psychologie au risque du psychologue, colloque national, 13/11/2009, organisé par le CH de Rouffach, le Collège de psychologie du CH de Rouffach et le Réseau national des psychologues

http://www.wmaker.net/reseaupsycho.fr/Exercice-de-la-psychologie-au-risque-du-psychologue,-colloque-national,-13-11-2009,-organise-par-le-CH-de-Rouffach,-le_a3840.html?preaction=nl&id=10407669&idnl=54896&;

DANS LE CADRE DU CENTENAIRE DU CH de ROUFFACH

Lieu: Salle des fêtes du Centre hospitalier de Rouffach 27 rue du 4ème RSM - 68250 ROUFFACH

Comité scientifique : AMARGER Alexandra, BAERENZUNG Isabelle, BLANRUE Guy, FAUST Magali, FORCHARD Chrystel, ONIMUS Amélaïde, WURMBERG Daniel

Contact et coordination: STIRN Senja - s.stirn@ch-rouffach.fr – 03 89 78 70 14

ARGUMENTAIRE

La crise sociétale actuelle est en train d'opérer un changement profond des bases mêmes de la civilisation, de la politique, secouant l'être humain jusqu'aux assises vitales de la vie elle-même.
Les réformes s'attaquent aux grands sujets qui relevaient jusque-là de la responsabilité du service public (Education nationale, Santé publique, Justice ...), selon une logique d'économie libérale.

Les « professions » deviennent des « métiers », les « formations fondamentales et appliquées » sont remplacées par des « compétences », réduisant parfois l' »exercice » à des « activités ».

Dans ce contexte, comment le psychologue continuera-t-il à préserver non pas l'exercice du psychologue, mais l'exercice d'une discipline qu'est la psychologie ?
Comment conçoit-il l'évolution de sa profession en termes de formation, d'exercice, de la conceptualisation des nouvelles pratiques ?
Quelle pourrait être sa place dans le cadre des réformes de l'Education, de la Santé et de la Santé mentale ?
Quelle structuration serait nécessaire et/ou possible à l'avenir ?
Quelles pratiques singulières a-t-il développé au risque des pratiques classiques ?
Quelle clinique pour le citoyen et qu'en faire de ces nouvelles demandes ?
Y-a-t-il une place pour le psychisme dans l'oeil du cyclone ?

Le présent colloque se propose d'approfondir la réflexion professionnelle sur la pratique, l'éthique et les référents théoriques de la discipline et de l'exercice de la psychologie, et notamment à la lumière des nouvelles réformes de la santé, du développement des nouvelles pratiques, de nouvelles données sociétales et avancées conceptuelles autour du thème, dans le cadre des règles éthiques et déontologiques.

Les intervenants que nous avons invité font partie de ces personnalités de notre profession qui se situent dans une perspective dynamique de l'évolution de notre profession. Type d'actions de formation (au sens de l'article de formation L 900 du Code de travail): Perfectionnement des connaissances et de la pratique.

PROGRAMME


Matinée : quelle identité ?

8h Accueil des participants.
9h Allocution de bienvenue. M. Pierre WESNER, directeur du CH de Rouffach Dr. Joël OBERLIN, président de la CME du CH de Rouffach Modérateurs : Guy BLANRUE, Daniel WURMBERG
9h15 Ouverture de la journée : Entre le désir d’unification et la pratique de la division. Analyse socio-historique. Senja STIRN
9h45 L’identité de la profession du psychologue. Enquête sociologique. Laure GOEPFERT
10h15 Discussion
10h30 Pause café
Modérateurs : Isabelle BAERENZUNG, Chrystel FORCHARD
11h Pratiquer la psychologie aujourd’hui. Dana CASTRO
11h30 De la loi HPST au projet de loi sur la santé mentale : le psychologue, un «grain de sable» nécessaire ! Emmanuel GARCIN
12h Discussion
12h30 Pause déjeuner

Après-midi : pratiques singulières

Modérateurs : Jean-Pierre CHARTIER, Magali FAUST
14h Le Witz: L’image du psychologue à travers les arts et les médias. Montage par la cellule communication.
14h15 Introduction Exercice de la psychologie ou exercice des psychologues. Aspects juridiques. Senja STIRN
14h30 La formation pratique et la diversité: l’originalité de la formation à l’Ecole des psychologues praticiens. Jean-Pierre CHARTIER
14h45 Psychologue coordinateur ... réflexion à partir de l’expérience du volet psychologie d’un réseau de cancérologie. Caroline PELLETTI
15h15 Discussion
15h30 Pratiques singulières, pratiques innovantes : l’intervention psychologique. Gilbert LACANAL
16h La coopération entre le médecin et le psychologue dans le cadre de la consultation- mémoire psycho-cognitive. Stéphane BRENGARTH
16h30 Discussion
17h Clôture de la journée et apéritif
Intervenants : Stéphane BRENGARTH, psychiatre au pôle 4/5 du CH de Rouffach. Dana CASTRO, psychologue clinicienne, chargée d’enseignement à l’Ecole des psychologues praticiens, membre du comité de rédaction du Journal des psychologues. Jean-Pierre CHARTIER, psychologue et psychanalyste, membre du Quatrième groupe, directeur de l’Ecole des psychologues praticiens. Emmanuel GARCIN, psychologue, vice-président du Réseau national des psychologues. Laure GOEPFERT, étudiante en M2 de sociologie. Gilbert LACANAL, psychologue, président des Psychologues du monde (organisation humanitaire non-gouvernementale, intervenant lors des catastrophes). Caroline PELLETTI ,psychologue, coordinatrice du volet « prise en charge psychologique en ville » du réseau de soins de cancérologie ONCOPACA. Senja STIRN, psychologue, vice-présidente du Collège de psychologie du CH de Rouffach, présidente du Réseau national des psychologues, chargée d’enseignement à l’Ecole des psychologues praticiens.


Pays Basque
R. Bachelot défend la «coopération" avec le privé
05/09/2009
Goizeder TABERNA


La ministre de la Santé et des Sports Roselyne Bachelot connaît «bien» le Pays Basque, à l'instar de nombreux ministres. Cette fois, c'est l'inauguration du Centre hospitalier intercommunal de la Côte basque qui l'a fait se déplacer. L'occasion d'afficher sa position sur des sujets d'actualité.

«La loi Hôpital, patients, santé et territoire a été promulguée le 22 juillet, maintenant il faut la faire vivre», a-t-elle déclaré. C'est pourquoi elle a rencontré les professionnels, libéraux et hospitaliers, et a insisté sur le fait que la coopération sanitaire est un des «points cruciaux». Il s'agit de la coopération entre le secteur privé et le secteur public.

Le maire de Bayonne Jean Grenet a affirmé que le secteur privé est «obsolète» et qu'il faut «l'accompagner dans sa structuration». Et Roselyne Bachelot a pris comme exemple le Centre de cardiologie du Pays Basque, regroupant sur le site hospitalier toutes les activités de cardiologie du Labourd, de la Basse-Navarre et du sud des Landes.

Revendications du personnel

Effectivement, l'Hôpital de Bayonne avait pris de l'avance et a depuis quelques années travaillé pour l'introduction du privé dans le service public. Ainsi, le Centre de cardiologie réunit trois établissements privés et l'hôpital.

Aux portes du nouveau bâtiment, des représentants du personnel du service de psychiatrie ont attendu la ministre pour lui faire part de leurs revendications concernant le manque d'effectifs. Cette dernière a remercié leur «accueil républicain». Une délégation a été reçue par un membre de son cabinet.

Quant à la grippe A (H1N1), la ministre compte sur le vaccin, les gestes civiques des citoyens et les médecins de ville pour endiguer la pandémie et considère que les hôpitaux ont suffisamment de moyens humains pour lui faire face. Reconnaissant les risques d'un vaccin, elle a assuré que ce vaccin pourra être considéré comme «totalement sûr» dès lors qu'il aura bénéficié de l'autorisation de mise sur le marché.



vendredi 4 septembre 2009

Prisons : comment effacer la "honte" ?
LEMONDE.FR | 04.09.09 | 19h52
http://abonnes.lemonde.fr/opinions/article_interactif/2009/09/04/prisons-comment-effacer-la-honte_1236172_3232.html


Cinq experts témoignent
Le projet de loi pénitentiaire en débat au Parlement et le nombre croissant de suicides de détenus soulignent, à nouveau, la situation indigne des établissements pénitentiaires français et l'obligation d'y remédier. A cette occasion, cinq experts témoignent et font des propositions pour améliorer le sort des détenus.

Les avancées de la loi pénitentiaire en débat, par Jean-René Lecerf

"Humiliation pour la République", selon la commission d'enquête du Sénat de 2000, "honte pour la République", selon Nicolas Sarkozy, la situation de nos prisons fait l'objet d'un diagnostic aussi calamiteux que consensuel. Et ce ne sont pas les accusations récentes de violences dans les maisons d'arrêt de Fleury-Mérogis ou de Valenciennes ni la désespérante multiplication des suicides qui pourront modérer notre jugement.

Et pourtant la vérité oblige à rappeler combien la prison a changé en quelques décennies : parc pénitentiaire largement renouvelé ; loi de 1994 confiant au service public hospitalier la prise en charge de la santé des détenus ; ouverture vers l'extérieur avec les visiteurs de prison, les délégués du médiateur et les parlementaires ; qualité d'une formation des personnels intégrant la culture des droits de l'homme ; loi de 2007 créant un contrôleur général des lieux de privation de liberté...

Ces progrès substantiels sont remis en cause par l'augmentation du nombre des détenus et la part croissante au sein de la population pénale de personnes souffrant de lourds troubles mentaux. C'est de notre capacité à résoudre ces deux problèmes que dépendent leur avenir, et au-delà la qualité de notre démocratie si l'on pense, comme Albert Camus, qu'"une société se juge à l'état de ses prisons".

De 2001 à 2009, le nombre de détenus est passé de 49 000 à 64 000, et l'administration pénitentiaire pronostiquait il n'y a pas si longtemps 80 000 détenus en 2017. Cette éventualité n'est pas acceptable. Elle signifierait une surpopulation accrue alors que le taux d'occupation des maisons d'arrêt dépasse en moyenne 140 % avec des pointes à 200 et parfois 300 %. Derrière la sécheresse de ces chiffres se cachent promiscuité, violence et manque d'hygiène. Une cellule de 12 m2 partagée par trois détenus avec un cabinet d'aisances non ventilé et dépourvu de cloisonnement, telle est encore la réalité dans de nombreuses maisons d'arrêt en attente de rénovation.

Avec l'accroissement des capacités des établissements lié au programme Perben, nous disposerons d'ici à 2012 d'environ 64 000 places, c'est-à-dire d'un ratio de 100 places pour 100 000 habitants. Il s'agit d'une moyenne européenne satisfaisante. Certains pays, comme l'Angleterre ou l'Espagne, connaissent des taux de détention supérieurs ; d'autres, comme les pays scandinaves, des taux bien inférieurs.

Tout doit être mis en oeuvre pour que l'augmentation des capacités d'accueil ne s'accompagne pas de l'accroissement du nombre des détenus, sinon nous serons contraints à de nouveaux programmes de construction et à consacrer l'essentiel des moyens financiers au recrutement des personnels indispensables à leur fonctionnement. Le projet de loi pénitentiaire, tel qu'il a été voté par le Sénat, s'oriente vers un autre choix, celui du développement des aménagements de peine et des alternatives à l'incarcération, faisant de la peine d'emprisonnement ferme en matière correctionnelle un ultime recours. Si la réussite de cette politique impose le recrutement de nombreux conseillers d'insertion et de probation, elle permettra à la fois de limiter la création d'emplois de personnels de surveillance et de les affecter au renforcement des équipes.

Ainsi les surveillants pourront se consacrer à la fois à la sécurité et à la réinsertion, ce qui transformera la qualité de leurs relations avec les détenus. Encore faudra-t-il expliquer que l'aménagement de peine, loin d'être une faveur accordée aux condamnés au mépris des risques encourus par la société, leur impose au contraire des contraintes prolongées et limite les cas de récidive.

Tous ceux qui visitent les prisons sont frappés par le nombre croissant de personnes atteintes de troubles mentaux qu'ils y rencontrent. Pour bon nombre d'entre elles, la prison n'a aucun sens, et elles errent en milieu carcéral, compliquent la vie de leurs codétenus et du personnel pénitentiaire sans être soignées de manière satisfaisante. Ce paradoxe s'explique par deux faits. D'une part, le législateur a permis, dans l'hypothèse où le trouble mental a seulement altéré - et non aboli - le discernement, que l'auteur des faits reste punissable. D'autre part, les évolutions de la psychiatrie ont entraîné une réduction drastique du nombre des lits et de la durée des séjours hospitaliers.

Dans ces conditions, les jurys d'assises, estimant que seule la prison peut désormais protéger la société des personnes dangereuses atteintes de troubles mentaux, ne prononcent que très peu d'acquittements pour irresponsabilité pénale. En outre l'altération du discernement, qui devrait à tout le moins constituer une circonstance atténuante, entraîne au contraire un allongement de la peine. Lorsque l'on connaît le taux élevé de suicides en hôpital psychiatrique, on imagine la fragilité de cette population en milieu carcéral. Une initiative commune à la justice et à la santé s'impose sur ce point, dans les meilleurs délais.

La loi pénitentiaire aborde bien d'autres aspects : obligation d'activité avec pour corollaire une aide en nature ou en numéraire, respect des relations familiales, limitation des fouilles, ouverture des commissions de discipline à des personnes extérieures à l'administration, évaluation pour tous les entrants en prison, réaffirmation du principe de l'encellulement individuel...

Elle donne au Parlement la maîtrise du droit de la prison qui relève pour l'essentiel de circulaires. Mais aucune avancée décisive, aucune rupture avec le passé ne défiera le temps si ne sont pas d'abord traitées la surpopulation carcérale et la maladie mentale. Enfin, si l'on veut réconcilier les Français avec les prisons de la République, encore faut-il qu'ils sachent ce qui se passe derrière les murs. L'administration pénitentiaire doit renoncer à sa culture du secret pour jouer la transparence. La presse doit pouvoir entrer dans les prisons pour informer.

La prison n'est ni de droite ni de gauche. Les sénateurs l'ont bien compris en améliorant de manière consensuelle le projet de loi pénitentiaire afin de construire un texte fondateur dans l'intérêt des victimes comme des détenus et de la société.


Jean-René Lecerf est sénateur (UMP) du Nord, rapporteur du projet de loi pénitentiaire.

L'épicentre des souffrances, par Catherine Paulet

Les parlementaires vont débattre de la loi pénitentiaire et auront certainement en mémoire leurs travaux de 2000 qualifiant la prison d'humiliation pour la République.

Qu'en est-il aujourd'hui ? Le constat est amer. Quelque 48 000 détenus en 2001, 63 000 aujourd'hui (pour 53 000 places), 80 000 à l'horizon 2017. La prison demeure l'alpha et l'oméga de la réponse pénale aux infractions.

Certes, la création du contrôle général des lieux de privation de liberté et la mise en oeuvre des règles pénitentiaires européennes constituent des avancées. Mais les stratégies de réinsertion et de réhabilitation marquent le pas au profit de stratégies de neutralisation-élimination. Cinq ans après une libération, le taux de retour en prison est de 41 % tous délits et crimes confondus, mais il est inférieur à 0,5 % pour les homicides et à 1 % pour les agressions sexuelles sur mineurs.

La charge émotionnelle autour des victimes rend ce message inaudible et l'on en est venu à créer le principe de centres de rétention de sûreté où seront placés, à l'issue de leur peine de prison, des criminels considérés comme présentant une probabilité élevée de récidive sur la base notamment d'expertises psychiatriques, rendant possible l'enfermement d'une personne qui n'aurait jamais récidivé.

Si, en tant que citoyenne, je déplore cette évolution du droit, fût-elle portée par une majorité de mes concitoyens, en tant que psychiatre, j'affirme que lorsqu'un psychiatre prédit la récidive délinquante, par définition incertaine, aléatoire et multifactorielle, il fait référence non à sa science mais à son intime conviction.

Comme en 2000, les parlementaires s'indigneront du nombre de malades mentaux incarcérés. Une personne détenue sur trois avait déjà consulté pour un motif psychiatrique avant l'incarcération, et une personne détenue sur trois est considérée comme relevant de soins psychiatriques. On retrouve quatre fois plus de personnes schizophrènes en population pénale qu'en population générale, et leur vie en détention est un parcours d'obstacles qui aggrave généralement leur état.

Certes, les pouvoirs publics vont renforcer le dispositif de soins psychiatriques en milieu pénitentiaire, prenant acte d'une situation dont la communauté psychiatrique ne doit pas s'accommoder car elle a une large part de responsabilité dans le phénomène. La venue de soignants en prison a permis d'apporter des soins de qualité aux personnes en souffrance ou en demande. Mais désormais le dispositif de soin est victime de son succès. Il légitime l'incarcération de personnes souffrant de pathologies mentales graves. Et il soulage la communauté psychiatrique et la société de la charge que constituent le suivi et l'accompagnement des patients difficiles à soigner. A cette théorie inclusive a répondu une pratique d'exclusion avec un surcroît de peine par réflexe de défense sociale face à la folie, porteuse d'incompréhensible et surtout de danger.

Enfin, les parlementaires s'inquiéteront du nombre de suicides, qui reste sept fois supérieur à celui observé en population générale. Le phénomène est complexe, rencontre de détresses individuelles et de circonstances douloureuses, générant une perte du sentiment d'humanité et d'espoir. A cet égard, il faudrait interroger la structuration même de l'institution pénitentiaire et judiciaire, qui ne parvient pas à faire des détenus des interlocuteurs dont la parole a du sens et auxquels on peut faire confiance ; en cela, elle ne leur permet pas de se sentir des hommes qui comptent encore et restent debout.

Peut-être le succès du film de Jacques Audiard, Un prophète, et les débats parlementaires stimuleront-ils l'intérêt du public pour l'univers carcéral, non pour se satisfaire de "croire savoir" mais pour appeler aux changements nécessaires et possibles auxquels aspirent citoyens sous main de justice et professionnels de terrain.


Catherine Paulet est psychiatre, présidente de l'Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire.

Un système absurde dans une démocratie moderne, par Emmanuel Jaffelin

Nietzsche avait proclamé la mort de Dieu, Hegel annoncé la fin de l'histoire, Foucault diagnostiqué la mort de l'homme. Les philosophes ont toujours guetté les crépuscules. Il faut constater aujourd'hui que nous assistons au crépuscule des prisons, non parce qu'elles sont mal gérées, mais parce qu'elles ne font plus sens.

Les suicides qui se multiplient dans les prisons sont autant de symptômes de la fin d'un système pénal et carcéral. Cette accélération des suicides n'est pas seulement due au surpeuplement des lieux de détention : elle constitue une mise en question de notre société devant l'absurdité de son système punitif.

Au XXIe siècle, enfermer quelqu'un dans une prison, ce n'est pas le punir : c'est agir par paresse et par prolongement d'un système archaïque, dépassé et inadapté aux sociétés postmodernes. L'abolition de la peine de mort réalisée par la gauche paraissait logique et sociologiquement inéluctable ; elle ne fut que paralogique et paradoxale. Il faut se rendre à l'évidence : le suicide tue plus dans les prisons que la peine de mort ne l'a jamais fait.

Foucault a montré que la fin des supplices en public consacrait l'avènement de l'Etat moderne qui manifestait son pouvoir dans le secret et à l'abri des regards. La dissimulation des chiffres réels des suicides dans les prisons n'est rien d'autre que la poursuite de ce processus qui ne convient plus aux sociétés postmodernes, dont les citoyens sont hyperinformés et communiquent en réseau.

Depuis 1977 et l'exécution d'Hamida Djandoubi, il n'y a plus aucune mort donnée par l'Etat et son bourreau ; en revanche, sur la même période, ce sont au moins 3 000 morts par suicide qu'il faut recenser, morts dans lesquelles l'Etat, et donc chaque citoyen, doit prendre sa part de responsabilité. La gauche a cru blanchir son âme en abolissant la peine de mort : elle s'est en fait lavé les mains d'un problème fondamental de notre société.

L'abolition de la peine de mort constitua ainsi moins l'avènement symbolique de la gauche que l'événement signant la défaite de sa pensée. Loin de résoudre un problème moral et politique placé sous la bannière des droits de l'homme, l'abolition de la peine de mort en 1981 a sanctifié la prison et sanctuarisé la punition comme enfermement. La gauche n'a fait qu'entériner un vaste mouvement de société dans lequel la sensiblerie le dispute à l'hypocrisie.

Qu'est-ce que punir ? Il y a dans la punition deux dimensions : celle de la sanction et celle de la réparation. Il faut que le puni comprenne sa faute. La sanction - faut-il rappeler que le mot a la même racine que le sacré - doit conduire le fautif à reconnaître que ce qu'il a fait n'aurait pas dû l'être. Elle suppose un dispositif symbolique que notre justice expéditive et encombrée ne risque pas de mettre en oeuvre. Il faut ensuite que le puni répare sa faute : c'est là encore un travail que l'appareil judiciaire devrait accomplir avec le puni. Qui peut dire que le tribunal et la prison sont des lieux de prise de conscience et de prise en charge du puni vers la compréhension de sa faute et de sa punition ?

A trop vouloir que l'enfermement soit la solution universelle des crimes et délits, le remède à toutes les fautes, on en oublie ce que punir veut dire. Or, punir signifie accueillir celui qui a mal agi pour l'inciter à mieux agir. Il n'y a pas de punition sans volonté de correction, c'est-à-dire sans projet de relever celui qui est "tombé". La prison n'était autrefois qu'un sas, un moment provisoire entre la liberté fautive et la punition. Par un mouvement généralisé d'adoucissement des moeurs, la punition s'est estompée pour ne laisser que la détention. L'emprisonnement, qui n'était qu'un moyen vers la punition, est devenu une fin. Le déficit de sens est donc patent. Au fond, le puni n'a pas le sentiment de l'être : il attend inconsciemment une punition qui ne vient pas. Une grande part des suicides peut s'expliquer par ce déficit de sens.

De nombreux philosophes ont fréquenté la prison. L'emprisonnement de Socrate a fourni à Platon l'occasion de brosser dans le Phédon un portrait de son maître qui soutient que nous sommes tous assignés à résidence par les dieux. Diderot et Sade ont été embastillés pour leurs écrits. Mais c'est à Foucault, qui s'est rendu en prison comme simple visiteur et militant du Groupe d'information sur les prisons, qu'on doit une analyse de l'impasse du système carcéral qui n'a donné lieu à ce jour à aucune refonte. Les prisons sont pleines, mais vides de sens. La peine de mort n'a mis fin ni à la mort ni à la peine dans les prisons. Les ministres de la justice se succèdent sans idées ni courage.

Cinq solutions paraissent à terme inévitables :

- Libérer les punis qui ne peuvent sortir du système carcéral qu'humiliés, violés et désespérés. Utiliser pour ce faire la technologie à notre disposition ;

- Fermer les prisons insalubres et commencer à construire des lieux qui auront été repensés non par des bétonneurs, mais par des femmes et des hommes qui se soucient du sens de la punition ;

- Convertir les prisons salubres en lieux de réintégration sociale - y compris pour des gens désintégrés socialement qui n'ont commis ni crime ni délit -, et ne garder des lieux de détention que pour une minorité de prisonniers qui ne doivent pas échapper à la punition que leur réserve la société ;

- Réformer le code pénal à partir d'une réflexion collective sur la punition qui redéfinisse fautes, crimes, délits, ainsi que les sanctions auxquelles les contrevenants s'exposent. Cette réflexion doit intégrer les avis de ceux qui sont en prison et de ceux qui y ont séjourné. Elle doit faire l'objet d'une réflexion sociétale, d'un débat parlementaire et d'un référendum ;

- Enseigner des règles de vie, et non seulement des textes de loi, dans tous les secteurs de notre société et non seulement à l'école. On ne peut pas enseigner le fair-play dans le sport et, dans le même temps, l'obsession de gagner par tous les moyens.

On ne peut pas motiver les employés d'une entreprise dont les dirigeants ne croient pas aux produits qu'elle fabrique, privilégiant l'augmentation de marges bénéficiaires et gardant les yeux rivés sur le cours de ses actions. On ne peut pas demander aux fonctionnaires de servir l'intérêt général quand les plus hauts dignitaires et hiérarques de l'administration et de l'Etat ont d'abord le sens de leur carrière et de l'intérêt particulier.

Alors que le monde vit une nouvelle Renaissance dont le Web est la fenêtre la plus largement ouverte, les sociétés occidentales continuent d'instituer les lieux d'enfermement comme des passages obligés pour certains âges de la vie ou certains comportements. Sortons de cette vision close de la société, et commençons d'abord par sortir les prisonniers de leur prison en réfléchissant à ce que la société attend d'eux, en dehors de leur date de libération. Les suicides dans les prisons sont un symptôme d'une société malade et repliée sur elle-même qui ne sait plus punir et donc pas guérir. En commençant par une réforme de son système judiciaire, la société française pourrait retrouver une dynamique qu'elle ne soupçonne pas. La vérité de notre société se cache dans ses oubliettes.


Emmanuel Jaffelin est professeur de philosophie au lycée Lakanal à Sceaux (Hauts-de-Seine).

Saint-Paul : voyage au bout de l'enfer, par Sylvain Cormier

La visite se déroulait dans un drôle de climat. La prison Saint-Paul, à Lyon, se préparait à fermer. La plupart des cellules avaient déjà été vidées de leurs occupants. Ce devait être la sixième expertise de ce genre que j'effectuais en tant qu'avocat, pour contester les conditions de détention de mes clients. Un rituel qui devenait familier.

Tout d'abord, une réunion préparatoire avec l'administration, l'expert, l'avocat du ministère de la justice et celui du détenu. On retrace l'historique des cellules occupées, les bâtiments concernés, les communs utilisés, etc. L'administration avait préparé les listings des cellules et recensé le nombre d'occupants. On récapitule : "cellule J1er signifie bâtiment J, 1er étage - cellule H2e, bâtiment H, 2e étage..."

Direction le bâtiment J, 1er étage. Un chef de détention nous accompagnera durant toute l'opération, soit près de cinq heures. Une contrainte pour l'administration, mais aussi pour les détenus qui occupent les cellules expertisées et qui doivent alors les quitter sans qu'on leur en donne la raison.

Le travail de l'expert commence. Photo de la porte numérotée. On ouvre la porte, une odeur franchement nauséabonde nous prend à la gorge. L'huissier note, stoïque : "aération défaillante". Trois lits superposés, une armoire bricolée. Un W-C masqué derrière une serviette tendue sur un fil. La plaque de cuisson est restée allumée. "Un oubli ?", "Non, c'est pour chauffer" me répond le chef. L'huissier mesure les diagonales, la hauteur du plafond. Résultat : 7,80 m² pour trois détenus, voire quatre. On a peine à imaginer un espace aussi réduit occupé par quatre détenus. Concrètement, le quatrième doit poser son matelas par terre ; c'est en général le lot du dernier arrivant. Il n'est alors plus possible de se lever pour marcher dans la cellule. Or, en maison d'arrêt, on y est enfermé presque en permanence, à l'exception des promenades...

"Vous pouvez prendre le jus"

Le délabrement électrique est flagrant : les interrupteurs ont disparu et il faut connecter les fils nus directement pour obtenir de la lumière. Un voyant rouge au-dessus de la porte, côté couloir, semblable à ceux que l'on pourrait trouver dans un studio de radio attire mon attention. C'est un voyant d'alerte. Il est censé pouvoir être déclenché depuis l'intérieur de la cellule pour alerter les surveillants de couloir en cas de problème.

Ce voyant attire mon attention, car dans une autre prison que j'avais visitée, rien de tel n'avait été prévu et les détenus devaient frapper contre la paroi de leur cellule, jusqu'à ce que la cellule voisine fasse de même, et ainsi de suite, pour alerter un surveillant...

Mon client avait agonisé toute la nuit avant de mourir. Une défaillance que le tribunal administratif que j'avais saisi vient de juger comme une faute à la charge de l'Etat. Aussi, je demande à l'huissier de vérifier le fonctionnement de ce voyant d'alerte. Mais le chef me répond aussitôt : "Je n'essaierais pas à votre place, il ne marche pas, aucun ne fonctionne, et en plus vous pouvez prendre le jus !"

C'est alors qu'un détenu a tambouriné à sa porte et a crié : "surveillant ! surveillant !" Un bruissement : le détenu a glissé une feuille de papier au-dessus de la porte, au milieu, puis l'agitait frénétiquement, dans un raffut : "surveillant !" Le surveillant arrive : "plus tard, arrête, je repasserai !", "Surveillant !", hurlait le prisonnier.

Je comprends alors que la bande de papier est un substitut dérisoire au voyant lumineux. Le chef me le confirme : "C'est comme ça qu'ils nous appellent." Je regarde de nouveau, plus attentivement, et j'aperçois juste au-dessus du papier, une trace de combustion, de brûlé. Je questionne. "Quand les surveillants en ont marre, ils brûlent le papier avec leurs briquets", me répond le chef, lassé. Un regard circulaire : je vois que toutes les portes sont ainsi marquées, légèrement brûlées au dessus... C'était à la prison de Lyon, en avril. A la fin de l'été, on dénombrait quatre-vingt-quinze suicides de prisonniers depuis le début de cette année.


Sylvain Cormier est avocat spécialiste en droit pénal. Depuis le 3 mai, les détenus de cette maison d'arrêt ont été transferés dans un nouvel établissement à Corbas (Rhône).


La punition carcérale est inséparable de la réinsertion, par Jean-Marie Delarue

Au moment où va être à nouveau débattu devant le Parlement un projet de loi pénitentiaire, les discussions sur la prison sont légitimes et bienvenues. Sans prendre parti ni revêtir un rôle que le législateur n'a pas confié au contrôleur général des lieux de privation de liberté, on voudrait rappeler, à la lumière notamment d'une cinquantaine de visites approfondies d'établissements pénitentiaires, de centaines de lettres reçues et d'entretiens approfondis et confidentiels tant avec des détenus qu'avec des membres des personnels ou des tiers intervenants (soignants, visiteurs, aumôniers...), quels sont les enjeux à prendre en considération pour conduire une réflexion productive sur cette question très difficile.

La prison est une sanction pénale punissant les auteurs de délits graves ou de crimes. Peu remettent en cause son rôle sur ce plan. Il convient pourtant de se demander si, dans certains cas, la privation de la liberté d'aller et de venir est la sanction la plus appropriée à la rupture des règles sociales. Ainsi, la Suisse a supprimé de son arsenal répressif, il y a peu, toutes les peines de prison inférieures à un an. Une réflexion est inévitable sur ce point.

On doit analyser lucidement le "besoin de sécurité" et la capacité pénitentiaire. Ce "besoin", impossible à définir, se manifeste par trois phénomènes : le souhait de l'opinion de voir mis quelqu'un en prison, les peines de prison prononcées et celles accomplies. La solution ne peut être seulement de construire à l'infini de nouveaux établissements (bien entendu, trop de prisons vétustes sont à refaire, mais le "modèle" de prison reste à définir). Chacun sent bien que, numerus clausus ou non, il y a une limite et, par conséquent, d'autres incitations pour mettre fin à la violence sociale grave que sont le crime ou le délit.

Si l'opinion est prompte à réclamer des châtiments "exemplaires" - que signifie l'exemplarité d'une sanction pénale ? -, elle est aussi prête à soutenir que l'auteur de la faute soit traité "comme" il a traité sa victime, autrement dit qu'il doit payer cher l'écart commis, à l'échelle de la souffrance engendrée. Il faut dire sur ce point que, d'une part, plus un prisonnier est mal traité, plus mal il se comportera à sa sortie de prison, donc que la demande sociale ainsi formulée est contraire d'évidence à la sécurité que l'on revendique par ailleurs. D'autre part, c'est l'honneur des démocraties de ne point agir sur le bourreau comme lui-même a agi sur ses malheureuses victimes. Autrement dit, la sanction pénale prononcée n'est pas celle de la victime ; elle est celle de la société. La place de la victime dans le procès pénal, qui doit être repensée, ne peut qu'être modeste.

Faut-il penser alors que la prison ne doit plus être qu'une sorte de club de vacances forcées, douceâtres et émollientes ? Une seule visite, même sommaire, en prison permet de voir les difficultés quotidiennes de la vie carcérale et la souffrance, méconnue, qu'elle engendre : ne plus disposer, pendant la durée de la peine, ni de son temps ni de son espace est difficile à supporter. La prison n'est pas une sinécure. Ce caractère lui restera, quoiqu'il advienne, attaché. Il n'existe pas de prison douce.

En revanche, il n'est pas acceptable qu'à ce châtiment s'ajoutent d'autres souffrances non prévues, dans une institution gouvernée 24 heures sur 24 par l'administration de notre République : la promiscuité ; la difficulté de toute intimité ; l'extrême difficulté de prendre des initiatives ; la soumission constante ; les aléas des contacts avec l'extérieur (familles, amis et biens) ; l'indigence des relations entre personnes ; surtout, la violence, les trafics, l'exacerbation des hiérarchies sociales et des tensions dominatrices (les braqueurs et les "pointeurs" ; les gens du voyage et les Français d'origine arabe, les Roumains ou Moldaves et les autres, etc.).

Ces traits permanents des établissements, à l'origine de certains des suicides dont on parle tant et de bien d'autres réactions (automutilations, repli sur soi, dépressions, agressions...), ne doivent pas être acceptés. C'est une question de dignité. A ces souffrances s'ajoutent celles des familles des détenus, dont il a été montré que l'emprisonnement de l'un des leurs devient l'axe autour duquel tourne la vie familiale. La famille devrait être pourtant une aide majeure dans l'exécution de la peine, comme d'ailleurs le visiteur, l'enseignant ou le personnel soignant. L'état des prisons est aussi une cause majeure de souffrance pour les personnels, dont l'immense majorité, fatiguée, lasse, assume dans des conditions fragiles et trop souvent solitaires l'exercice d'une mission très difficile. Il faut certes punir les excès. Mais à condition de donner à chacun les moyens, pas seulement financiers, de gérer une population difficile. Sur ce point, la réforme n'est pas l'ennemie des personnels. Bien conduite, elle est leur meilleure alliée.

La prison est inséparable, contrairement à ce qu'on feint souvent d'ignorer, de deux autres politiques publiques. En premier lieu, la santé psychiatrique : qu'on envisage la prise en charge des maladies mentales en prison est en soi préoccupant. En second lieu, l'accompagnement des plus pauvres : la prison connaît encore trop de sorties "sèches", en dépit des dévouements, et les choses se présenteront mieux lorsque le système pénitentiaire n'agira pas seul, mais sera corrélé avec l'appareillage social du dehors, aussi performant que possible, destiné aux personnes précaires.

La prison génère l'ennui et la frustration. La crise actuelle diminue drastiquement le nombre de postes de travail offerts et génère de puissantes inégalités en détention. On ne peut se contenter de cet état de fait, pas plus que du maigre cadre réglementaire et financier accordé à ceux qui sont choisis pour travailler. La recherche de travail "haut de gamme" (avec l'informatique notamment) ou d'activités génératrices d'insertion effective, de retour aux normes sociales, doit être accrue.

La prison est un tout compliqué. Elle ne peut être abordée par un seul de ses aspects, même (hélas !) dramatique. Elle ne peut être davantage cette "mort lente" qu'a dénoncée il y a peu un groupe de détenus. Elle doit se transformer par un ensemble de mesures qui lui permettront d'assurer les deux missions qui lui sont assignées depuis... 1945 : la punition certes (il ne saurait y avoir sur ce point de faux-semblants ou de faux espoirs), mais aussi la "réinsertion", c'est-à-dire le retour consenti, encouragé, soutenu, à une vie sociale acceptée et partagée.


Jean-Marie Delarue est contrôleur général des lieux privatifs de liberté.
SANTÉ. Le Centre hospitalier de La Candélie fait appel à des infirmières retraitées pour pallier des problèmes d'effectifs

A Agen, des infirmières reprennent du service
http://www.sudouest.com/lot-et-garonne/actualite/article/692585/mil/5049101.html

L'hôpital public est confronté depuis quelques années à des problèmes d'effectifs, notamment en ce qui concerne le personnel infirmier, un métier dificile et souvent peu valorisé. Selon un rapport de la Cour des comptes datant de 2005, la « pénurie d'infirmières » serait accentuée dans les secteurs de la gériatrie et de la psychiatrie, moins attractifs.

L'hôpital départemental de La Candélie n'échappe pas au problème. Pour faire face aux besoins de personnel, le centre de soins psychiatriques fait appel à d'anciennes infirmières nouvellement retraitées. « Dans la fonction publique hospitalière, le personnel infirmier part à la retraite à 55 ans. Un décret gouvernemental nous permet désormais de faire appel à des infirmières retraitées, qui peuvent travailler dans la limite du salaire précédemment perçu. Il s'agit de travail très ponctuel, qui nous aide à renforcer nos équipes de soins, surtout la nuit », précise Mme Poujoulet, représentante syndicale CGT à La Candélie.

A l'origine du problème, se trouvent des besoins en effectifs accrus ces dernières années, en raison d'une augmentation de la demande de soins, mais aussi de départs massifs à la retraite qui ont frappé la fonction publique hospitalière. De plus, « les infirmières ne font plus carrière à l'hôpital. Elles y passent dix ans en moyenne, puis vont exercer dans le secteur libéral », ajoute la syndicaliste.

Un recrutement insuffisant

Ces besoins accrus en personnel infirmier ne sont toutefois pas comblés, faute d'un recrutement suffisant parmi les jeunes diplômés. Pourtant, il semble qu'il ne manque pas d'infirmiers sur le marché du travail. Dans le Lot-et-Garonne, qui compte trois instituts de formation aux soins infirmiers, à Agen, Marmande et Villeneuve-sur-Lot, la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) recense 189 infirmiers diplômés enregistrés auprès de ses services en 2008.

Dans ce cas, comment expliquer la pénurie d'infirmiers ? Selon Mme François, la directrice de l'Institut de formation aux soins infirmiers d'Agen, « il n'y a plus de stabilité dans la profession. A titre d'exemple, parmi la dernière promotion de diplômés au mois d'avril 2009, un tiers travaille à temps partiel. Nombreux sont ceux aussi qui choisissent de partir exercer en libéral. C'est un métier difficile et lourd. Les jeunes ne souhaitent plus s'engager, ils travaillent au jour le jour, ils ont davantage besoin de mobilité. »

Un manque de valorisation

Si les jeunes infirmiers sont moins nombreux à briguer la carrière en hôpital, c'est aussi parce que la profession reste peu valorisée, notamment au niveau salarial. « Etre payé 1,2 fois le Smic après trois ans de formation en école et compte tenu des contraintes du métier, cela n'est pas très attractif », souligne Mme Poujoulet.

Surtout, la syndicaliste met en évidence « un manque de transparence au niveau des emplois sur l'hôpital. Le nombre d'infirmiers fluctue fortement. C'est surtout un problème de budget. Dans le secteur de la psychiatrie, plus de 80 % du budget est consacré aux dépenses de personnel. Le budget 2009 au niveau des effectifs est inférieur à celui de l'année précédente. Il est évidemment plus facile et moins coûteux de recourir à des embauches ponctuelles. »

En attendant de nouveaux recrutements, le centre hospitalier de La Candélie, comme de nombreux hôpitaux publics en France, fait donc appel à des infirmières retraitées pour consolider les effectifs. La question du budget et du chevauchement des équipes sera soulevée lors de la prochaine réunion des représentants syndicaux avec la Direction des ressources humaines de l'hôpital, le 10 septembre.

Auteur : Aurélie Abadie
« La patience de Mauricette » : le premier vrai roman de Lucien Suel
jeudi 3 septembre 2009 - 22:22
http://www.echo62.com/actu.asp?id=2460&cat=divers

« Un patient m’a demandé qui j’étais et j’ai dit : ‘je suis écrivain’. Il a éclaté de rire. » La frontière est mince entre les gens en bonne santé et les gens qui ne sont pas en bonne santé… mentale. Lucien Suel, poète et écrivain, a passé six mois sur le site de l’Établissement public de santé mentale Lille-Métropole à Armentières. Une « résidence » soutenue par la Direction régionale des affaires culturelles et l’Agence régionale de l’hospitalisation, dans le cadre d’un projet « Culture à l’hôpital », initié par le docteur Christian Muller. Isolé, acceptant d’être « en osmose » avec « les braves gens de la santé mentale », Lucien a vécu une « histoire extraordinaire ».

S’il ne savait pas au départ ce qu’il allait écrire, il a vite retrouvé dans un coin de sa tête un personnage, Mauricette Beaussart, qu’il avait naguère côtoyé dans une étonnante anthologie des fous et des crétins du nord de la France, et l’a plongé dans l’univers psychiatrique. Écoutant, regardant autour de lui, en totale empathie, sans voyeurisme et tout en pudeur, il a écrit en temps réel. Mauricette la patiente qui disparaît de l’hôpital, son ami Christophe et le secteur G18 de l’EPSM. L’écrivain ignorait tout de la psychiatrie ; il a découvert un monde où les portes sont ouvertes, où l’attention est constante. Et sa parfaite intégration a enfanté un émouvant roman « La patience de Mauricette » : 236 pages qui sont des papiers que l’on peut dignement montrer à la frontière entre la bonne et la mauvaise santé mentale.

Du jardinier à l'EPSM
« La fiction c’est ce qu’il y a de plus proche de la réalité », soulignait ce jeudi 3 septembre 2009 le docteur Muller lors du « lancement national » de ce roman, dans une grande salle de l’EPSM transformée en luxuriant jardin. Oui, un lancement national en présence de Françoise de Maulde, directrice éditoriale de La Table Ronde. Emballée par « Mort d’un jardinier », le précédent ouvrage de Lucien, La Table Ronde a foncé sur « La patience de Mauricette ». « Le premier vrai roman de Lucien Suel le poète, a estimé F. de Maulde. ‘Mort d’un jardinier’ était un livre frontalier. »
Le roman est à la fois une description très dense de la vie de l’EPSM et une exploration des souvenirs chaotiques de Mauricette. Souvenirs lointains ou proches. Une écriture obsédante, tendue, rythmée. « Je vais faire le tri sélectif. Vider mon cabas. Mon cœur mis à nu. » L’auteur brosse en outre un portrait sensible des infirmières, docteurs, psychologues, de la psychiatrie qui s’est « rapprochée des gens ». Comme le rappelait le directeur de l’EPSM Lille-Métropole : « nous devons faire évoluer l’image de la psychiatrie avec d’autres mots, d’autres regards. » Le verbe et la précision de Lucien Suel nous emmènent à la frontière. Sur le fil. Nous frôlons la grâce, la liberté, le bonheur. Et Mauricette ne nous quitte plus : « Ils sont vivants pour me soigner. »

Légende : Lucien Suel est le Seul Unique Écrivain de La Tiremande.

« La patience de Mauricette », La Table Ronde, 18 euros.

mercredi 2 septembre 2009

Refus politique de la peur

Préparer la rentrée du Collectif NON À LA POLITIQUE DE LA PEUR

La question éthique, …., s’articule d’une orientation du repérage de l’homme par rapport au réel
Jacques Lacan[1]


La réunion de convergence du 6 juin a été fort riche en informations, en échanges, mais également en questionnements. Le compte-rendu qui vous a été adressé précédemment en a fait un bon retour.

Nous avons une suite à construire à cette rentrée. Contribuer activement à revivifier les luttes antitotalitaires et anti casse des services publics. Dans cette perspective, nous sommes à la recherche de formes nouvelles d’action qui permettent d’être entendus et qui soient des leviers pour changer les rapports de force.

Le mouvement des « désobéisseurs » est exemplaire. Les sanctions sont tombées une fois les écoles et facs fermées ! Sans doute faudrait-il leur permettre de retrouver la parole pour faire comprendre en quoi leur critique pratique contient dénonciation, opposition, refus et proposition.

De même, le collectif Base Élève peut attester de ses résultats, mais aussi de leur usage concret possible pour aboutir à l’élimination de l’usage (pernicieux ?) de contrôle social.

Il serait des plus utiles que nous puissions disposer, notamment par le travail du Mouvement anti délation, d’informations sur les resserrements au niveau des collectivités territoriales du contrôle social et de la marche vers la société de surveillance. Quelle action démonstrative peut s’imaginer alors ?


Le domaine de la santé sera occupé par de nombreuses initiatives en septembre et en octobre.

Le collectif des 3 C prépare la rentrée, notamment : la recension des suppressions de postes dans les hôpitaux, pour illustrer la portée du phénomène et les mensonges de la ministre ; la riposte aux nouvelles dispositions concernant la Poste confirmant la perspective de privatisation ; la relance de la « bagarre » sur les franchises médicales.

A peine adoptée la loi Bachelot, la répression tombe : le docteur Pierre Paresys, ancien président de l’Union Syndicale de la Psychiatrie, militant syndical connu, se voit refuser le renouvellement de la chefferie de service (il est psychiatre chef de service depuis 15 ans dans le Nord) au prétexte qu’il exprime publiquement son opposition à la politique du directeur de son hôpital de rattachement et de l’Agence Régionale du Nord Pas de Calais. C’est ce que nous appelons un délit d’opinion. Il se trouve que Pierre Delion, professeur de psychiatrie à Lille, est lui-même tracassé, dénoncé par une association de parents militante contre la psychiatrie au titre de ses conceptions du soin psychique. Je soumets à notre discussion une initiative à Lille en Octobre 2009 sur le thème « psychiatrie et politique de la peur », où les 2 Pierre seraient activement présents, et où pourrait être également fait le démontage des effets renforcés par la Loi Bachelot de plus de 20 ans de réformes hospitalières.

La psychiatrie encore.

Ø La réforme répressive de la loi portant sur l’hospitalisation psychiatrique comme une loi de santé mentale disloquant la psychiatrie de service public se profilent pour la rentrée. Nous devons être aux côtés de l’Appel des 39 – La nuit sécuritaire, de l’Union Syndicale de la Psychiatrie, des syndicats et organisations qui s’opposeront vigoureusement contre ces lois. Il y a déjà la proposition de rencontre à Lille. L’Appel des 39 prévoit un Forum national les 4 et 5 décembre 2009 à Paris (tout en se réservant des actions auparavant en cas de parution des projets de lois annoncés juste avant). Je propose que nous en soyons.

Ø Le samedi 10 octobre est la journée internationale pour la santé mentale.
Le Comité Européen : Droit, Éthique et Psychiatrie envisage d’organiser ce jour là à Bruxelles, en co organisation avec la Ligue Bruxelloise Francophone de Santé Mentale, un forum européen centré sur le thème « L’humain et la santé mentale ». Le collectif « Non à la politique de la peur » y sera invité, ainsi que l’Appel des 39, la LDH et d’autres organisations encore. Ce serait —après Milan le 21 mai

La montée en puissance de la répression policière en lien évident avec l’offensive néo-libérale est très inquiétante. La réaction de nombreuses organisations, et en particulier du Collectif Liberté, Égalité, Justice (CLEJ)[2], est une première riposte positive. Je vous invite également à signer la pétition lancée par Stéphane Gatti. Nous devrons discuter de la nécessité de réagir très vite par une large constellation d’organisations et collectifs, et d’idées d’initiatives à soumettre aux autres.

D’autres sujets peuvent venir à l’ordre du jour, comme par exemple Pôle Emploi et le traitement de l’aggravation massive du chômage, ……

Enfin, cette prochaine réunion pourrait décider une conférence de presse de rentrée sur la base d’un texte princeps de rentrée et de présentation à la presse de situations et de propositions.



Voilà de nombreux points à l’ordre du jour qui feront sans doute ressentir à beaucoup d’entre nous la nécessité d’une réunion de rentrée nombreuse, réflexive et active : LUNDI 31 AOÛT à 18 heures au local de la Ligue des Droits de l’homme 138, rue Marcadet – 75018 Paris

Cordialement à tous,

Claude Louzoun

«[1] La citation complète est la suivante : « Eh bien, chose curieuse pour une pensée sommaire qui penserait que toute exploration de l’éthique doit porter sur le domaine de l’idéal, sinon de l’irréel, nous irons au contraire, à l’inverse dans le sens d’un approfondissement de la notion du réel. La question éthique, pour autant que la position de Freud fait faire un progrès, s’articule d’une orientation du repérage de l’homme par rapport au réel. » Jacques Lacan, L’éthique de la psychanalyse, Le séminaire Livre VII, éditions du Seuil, Paris, 1986, pp. 20-21. [2] La réunion de rentrée du CLEJ est le mercredi 16 septembre à 18 heures au local du syndicat de la magistrature.









Publié sur slate (http://www.slate.fr)
Les antidépresseurs, conséquence ou cause de la crise?

Une récession nerveuse

Les ventes d'antidépresseurs sont-elles une conséquence ou la cause de la crise?
Caitlin McDevitt [1] Lundi, 31 août 2009


Dans un climat économique maussade, il est amusant de pointer les «
éclaircies» — les secteurs ou les produits qui marchent très bien pendant que les autres vont mal. Par exemple, cette année, il y avait de nombreuses études indiquant que certains produits — le rouge à lèvres, le chocolat et les pâtes [2] — sont allés à l'encontre du mouvement général de l'économie et ont enregistré des ventes en hausse. Les supermarchés ont gagné en affluence aussi, car les familles ont plus mangé à la maison et moins au restaurant. En février, une histoire particulièrement édifiante [3] relatait le renouveau des affaires pour les cordonniers, car les gens faisaient réparer leurs vieilles chaussures plutôt que d'en acheter des neuves. Bien que ces histoires soient plutôt optimistes, la nouvelle d'une augmentation des ventes [4] d'antidépresseurs malgré — ou peut-être grâce à — la récession était quant à elle tout simplement déprimante.


Le sentiment d'impuissance, le pessimisme, une profonde tristesse persistante — les principaux symptômes de la dépression — n'étaient pas du tout en baisse quand l'économie s'est écroulée. Environ 164 millions d'ordonnances pour des antidépresseurs ont été prescrites en 2008 aux Etats-Unis, 4 millions de plus qu'en 2007, selon IMS Health, une société se spécialisant dans le conseil et l'information pour l'industrie de la santé. Les antidépresseurs ont été le troisième médicament le plus prescrit en 2008, avec des ventes de 9,6 milliards de dollars, en hausse par rapport aux 9,4 milliards dépensés l'année précédente.


Quand les antidépresseurs font du bien à l'économie


Le mois dernier, Eli Lilly & Co. [5] (LLY) a rapporté que ses ventes de Cymbalta au deuxième trimestre — qui est en passe de dépasser l'Effexor aux Etats-Unis au palmarès de l'antidépresseur le plus vendu — ont progressé de 14% par rapport à l'année dernière. La dépendance nationale à ces drogues est une tendance persistante. Une étude publiée en août dans les Archives of General Psychiatry a démontré que de 1996 à 2005, la consommation d'antidépresseurs aux Etats-Unis a doublé.


Bien qu'il soit inquiétant que de plus en plus d'Américains soient considérés comme suffisamment malheureux par leurs médecins pour nécessiter une telle prescription, il y a peut-être du réconfort à trouver dans le fait que les antidépresseurs peuvent faire du bien à l'économie. La dépression coûterait aux Etats-Unis jusqu'à 83 milliards de dollars par an, selon une étude publiée dans le Journal of Clinical Psychology en 2003 et analysant [6] le coût des maladies. L'étude a trouvé que les coûts liés au traitement de la dépression représentaient 26% de la charge totale, et que deux fois ce montant - 52 milliards de dollars - pouvaient être attribués aux journées de travail manquées et à la perte de productivité. «C'est sur le lieu de travail que sont engendrés les coûts les plus importants», a dit Paul Greenberg, l'économiste spécialisé dans le secteur de la santé qui a mené l'étude.


Les effets des drogues


Calculer la productivité perdue n'est jamais une science exacte, mais il n'est pas difficile de comprendre pourquoi les employés déprimés seraient moins efficaces au travail. Non seulement ils travaillent moins de jours, comme l'a démontré l'étude, mais les symptômes de la maladie peuvent rendre très difficiles l'accomplissement de leur tâche. «Si vous dressez une liste de symptômes fortement liés aux mauvais résultats au travail, vous voyez que les symptômes de la dépression correspondent presque exactement avec ce qui fait décliner la productivité», a expliqué Greenberg, citant les difficultés rencontrées par les personnes déprimées pour se concentrer, se souvenir de détails et prendre des décisions. Les antidépresseurs sont conçus pour faire — et le font réellement pour beaucoup de gens — diminuer une partie ou presque tous ces symptômes.


Les compagnies pharmaceutiques sont promptes à indiquer les effets positifs de ces drogues sur les personnes - toutes les personnes. Dans la campagne publicitaire d'Eli Lilly pour Cymbalta, «la Dépression fait mal»), une voix féminine demande, "Où est-ce que la dépression fait mal?» La réponse: «Partout». Et puis, «A qui la dépression fait mal?». Oui, vous l'avez devinez: «A tout le monde».


Du Zoloft gratuit pour ceux qui ont perdu leur emploi


Malheureusement, il y a un marché cible pour ces publicités. Selon les estimations, 15 millions d'Américains souffrent d'une dépression majeure, mais la plupart ne sont pas traités. [7] Et, en fait, l'industrie dont la vocation est de rendre les malheureux heureux est particulièrement rémunératrice. Pendant que d'autres maladies coûteuses — telles que les maladies de coeur ou le cancer — frappent tard dans la vie, la plupart des gens tombent dans la dépression quand ils sont beaucoup plus jeunes, normalement entre 15 et 30 ans. En plus de commencer tôt, la dépression peut s'avérer fréquente. Jusqu'à 75% de personnes qui font une dépression récidivent, et lors de chaque apparition, le risque d'une nouvelle récidive augmente [8].


Les compagnies pharmaceutiques reconnaissent l'importance d'entrer en contact avec les clients tôt et souvent, dans l'espoir que ceux qui auront besoin de prendre ces médicaments sur le long terme restent fidèles à leur marque — à tel point qu'elles sont prêtes à distribuer gratuitement leurs capsules. En mai, le groupe Pfizer [9] (PFE) a annoncé [10] qu'il offrirait plusieurs de ses produits — dont l'antidépresseur Zoloft - gratuitement à ceux qui ont perdu leur emploi ou leur assurance médicale.


«Notre but est d'aider les gens à passer cette période», a déclaré dans un entretien le Docteur Jorge Puente, le chef des produits pharmaceutiques de Pfizer hors Etats-Unis et Europe. L'autre objectif était sans doute moins charitable: dissuader les patients de troquer les médicaments Pfizer contre des génériques moins chers.


Les antidépresseurs au secours de médias


L'industrie pharmaceutique n'est pas la seule à profiter de cette hausse de la consommation d'antidépresseurs. Les grands groupes pharmaceutiques sont notoirement connus pour leurs grandes campagnes de marketing — soutenant ainsi les revenus des entreprises qui dépendent du marché de la publicité. «Elles sont bien sûr une grande source de revenus publicitaires», dit Charles Barber, auteur de Comfortably Numb: How Psychiatry is Medicating a Nation [11] («Comment la psychiatrie dope une nation») Au premier trimestre 2009, pendant que la publicité automobile — depuis longtemps la catégorie leader en matière de publicité aux Etats-Unis — chutait de 28%, selon les classements de Nielsen [12], le montant dépensé pour des pubs pharmaceutiques était relativement stable. Il s'est quand même érodé, mais seulement de 11%. Le secteur pharmaceutique était le troisième plus gros investisseur publicitaire pendant la période. Sans ces dépenses, beaucoup de groupes de médias qui se débattaient déjà dans un marché publicitaire en plein marasme auraient plus souffert encore.


Wall Street camé


Prenons, à titre d'exemple, Redbook, le magazine américain «de la femme qui jongle avec sa famille, sa carrière et ses besoins personnels» et qui, selon les chiffres les plus récents de Magazine Publishers of America [13], a perdu 10% de ses pages publicitaires ce printemps par rapport à l'année dernière. Dans le numéro du mois de septembre, le magazine abrite des publicités pour trois antidépresseurs: Pristiq, Cymbalta et Abilify. Puisque la plupart des malades de dépression sont des femmes, les magazines dont le public cible est féminin reçoivent un coup de pouce supplémentaire des entreprises encourageant la consommation d'antidépresseurs.


Mais le plus grand bien que les antidépresseurs puissent fournir, bien sûr, c'est à ceux qui les prennent. Si les effets salutaires sont ceux recherchés par les personnes qui en ont besoin, quelques sceptiques ont néanmoins expliqué que ces capsules peuvent altérer les mentalités. Il y a presque une décennie, Randolph Nesse, professeur de psychiatrie à l'Université du Michigan, a suggéré [14] que les traders consommant des antidépresseurs prendraient des risques excessifs et donc de mauvaises décisions. Ils pourraient «devenir beaucoup moins prudents qu'avant, s'inquiétant trop peu des véritables dangers», a-t-il écrit [15]. Il a prédit que, alors que de plus en plus de personnes trouveraient du soulagement dans ces médicaments, l'effet engendré au niveau collectif sur Wall Street serait une bulle qui finirait par s'éclater, «avec des conséquences économiques et politiques potentiellement catastrophiques».


Est-ce le Prozac le responsable de la récente chute libre des marchés? C'est peut-être un peu exagéré, mais si c'est le cas, il aurait été plus juste d'appeler dès le début la «grande récession» par son nom: une dépression.
Caitlin McDevitt
Traduit par Holly Pouquet