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vendredi 4 septembre 2009

Prisons : comment effacer la "honte" ?
LEMONDE.FR | 04.09.09 | 19h52
http://abonnes.lemonde.fr/opinions/article_interactif/2009/09/04/prisons-comment-effacer-la-honte_1236172_3232.html


Cinq experts témoignent
Le projet de loi pénitentiaire en débat au Parlement et le nombre croissant de suicides de détenus soulignent, à nouveau, la situation indigne des établissements pénitentiaires français et l'obligation d'y remédier. A cette occasion, cinq experts témoignent et font des propositions pour améliorer le sort des détenus.

Les avancées de la loi pénitentiaire en débat, par Jean-René Lecerf

"Humiliation pour la République", selon la commission d'enquête du Sénat de 2000, "honte pour la République", selon Nicolas Sarkozy, la situation de nos prisons fait l'objet d'un diagnostic aussi calamiteux que consensuel. Et ce ne sont pas les accusations récentes de violences dans les maisons d'arrêt de Fleury-Mérogis ou de Valenciennes ni la désespérante multiplication des suicides qui pourront modérer notre jugement.

Et pourtant la vérité oblige à rappeler combien la prison a changé en quelques décennies : parc pénitentiaire largement renouvelé ; loi de 1994 confiant au service public hospitalier la prise en charge de la santé des détenus ; ouverture vers l'extérieur avec les visiteurs de prison, les délégués du médiateur et les parlementaires ; qualité d'une formation des personnels intégrant la culture des droits de l'homme ; loi de 2007 créant un contrôleur général des lieux de privation de liberté...

Ces progrès substantiels sont remis en cause par l'augmentation du nombre des détenus et la part croissante au sein de la population pénale de personnes souffrant de lourds troubles mentaux. C'est de notre capacité à résoudre ces deux problèmes que dépendent leur avenir, et au-delà la qualité de notre démocratie si l'on pense, comme Albert Camus, qu'"une société se juge à l'état de ses prisons".

De 2001 à 2009, le nombre de détenus est passé de 49 000 à 64 000, et l'administration pénitentiaire pronostiquait il n'y a pas si longtemps 80 000 détenus en 2017. Cette éventualité n'est pas acceptable. Elle signifierait une surpopulation accrue alors que le taux d'occupation des maisons d'arrêt dépasse en moyenne 140 % avec des pointes à 200 et parfois 300 %. Derrière la sécheresse de ces chiffres se cachent promiscuité, violence et manque d'hygiène. Une cellule de 12 m2 partagée par trois détenus avec un cabinet d'aisances non ventilé et dépourvu de cloisonnement, telle est encore la réalité dans de nombreuses maisons d'arrêt en attente de rénovation.

Avec l'accroissement des capacités des établissements lié au programme Perben, nous disposerons d'ici à 2012 d'environ 64 000 places, c'est-à-dire d'un ratio de 100 places pour 100 000 habitants. Il s'agit d'une moyenne européenne satisfaisante. Certains pays, comme l'Angleterre ou l'Espagne, connaissent des taux de détention supérieurs ; d'autres, comme les pays scandinaves, des taux bien inférieurs.

Tout doit être mis en oeuvre pour que l'augmentation des capacités d'accueil ne s'accompagne pas de l'accroissement du nombre des détenus, sinon nous serons contraints à de nouveaux programmes de construction et à consacrer l'essentiel des moyens financiers au recrutement des personnels indispensables à leur fonctionnement. Le projet de loi pénitentiaire, tel qu'il a été voté par le Sénat, s'oriente vers un autre choix, celui du développement des aménagements de peine et des alternatives à l'incarcération, faisant de la peine d'emprisonnement ferme en matière correctionnelle un ultime recours. Si la réussite de cette politique impose le recrutement de nombreux conseillers d'insertion et de probation, elle permettra à la fois de limiter la création d'emplois de personnels de surveillance et de les affecter au renforcement des équipes.

Ainsi les surveillants pourront se consacrer à la fois à la sécurité et à la réinsertion, ce qui transformera la qualité de leurs relations avec les détenus. Encore faudra-t-il expliquer que l'aménagement de peine, loin d'être une faveur accordée aux condamnés au mépris des risques encourus par la société, leur impose au contraire des contraintes prolongées et limite les cas de récidive.

Tous ceux qui visitent les prisons sont frappés par le nombre croissant de personnes atteintes de troubles mentaux qu'ils y rencontrent. Pour bon nombre d'entre elles, la prison n'a aucun sens, et elles errent en milieu carcéral, compliquent la vie de leurs codétenus et du personnel pénitentiaire sans être soignées de manière satisfaisante. Ce paradoxe s'explique par deux faits. D'une part, le législateur a permis, dans l'hypothèse où le trouble mental a seulement altéré - et non aboli - le discernement, que l'auteur des faits reste punissable. D'autre part, les évolutions de la psychiatrie ont entraîné une réduction drastique du nombre des lits et de la durée des séjours hospitaliers.

Dans ces conditions, les jurys d'assises, estimant que seule la prison peut désormais protéger la société des personnes dangereuses atteintes de troubles mentaux, ne prononcent que très peu d'acquittements pour irresponsabilité pénale. En outre l'altération du discernement, qui devrait à tout le moins constituer une circonstance atténuante, entraîne au contraire un allongement de la peine. Lorsque l'on connaît le taux élevé de suicides en hôpital psychiatrique, on imagine la fragilité de cette population en milieu carcéral. Une initiative commune à la justice et à la santé s'impose sur ce point, dans les meilleurs délais.

La loi pénitentiaire aborde bien d'autres aspects : obligation d'activité avec pour corollaire une aide en nature ou en numéraire, respect des relations familiales, limitation des fouilles, ouverture des commissions de discipline à des personnes extérieures à l'administration, évaluation pour tous les entrants en prison, réaffirmation du principe de l'encellulement individuel...

Elle donne au Parlement la maîtrise du droit de la prison qui relève pour l'essentiel de circulaires. Mais aucune avancée décisive, aucune rupture avec le passé ne défiera le temps si ne sont pas d'abord traitées la surpopulation carcérale et la maladie mentale. Enfin, si l'on veut réconcilier les Français avec les prisons de la République, encore faut-il qu'ils sachent ce qui se passe derrière les murs. L'administration pénitentiaire doit renoncer à sa culture du secret pour jouer la transparence. La presse doit pouvoir entrer dans les prisons pour informer.

La prison n'est ni de droite ni de gauche. Les sénateurs l'ont bien compris en améliorant de manière consensuelle le projet de loi pénitentiaire afin de construire un texte fondateur dans l'intérêt des victimes comme des détenus et de la société.


Jean-René Lecerf est sénateur (UMP) du Nord, rapporteur du projet de loi pénitentiaire.

L'épicentre des souffrances, par Catherine Paulet

Les parlementaires vont débattre de la loi pénitentiaire et auront certainement en mémoire leurs travaux de 2000 qualifiant la prison d'humiliation pour la République.

Qu'en est-il aujourd'hui ? Le constat est amer. Quelque 48 000 détenus en 2001, 63 000 aujourd'hui (pour 53 000 places), 80 000 à l'horizon 2017. La prison demeure l'alpha et l'oméga de la réponse pénale aux infractions.

Certes, la création du contrôle général des lieux de privation de liberté et la mise en oeuvre des règles pénitentiaires européennes constituent des avancées. Mais les stratégies de réinsertion et de réhabilitation marquent le pas au profit de stratégies de neutralisation-élimination. Cinq ans après une libération, le taux de retour en prison est de 41 % tous délits et crimes confondus, mais il est inférieur à 0,5 % pour les homicides et à 1 % pour les agressions sexuelles sur mineurs.

La charge émotionnelle autour des victimes rend ce message inaudible et l'on en est venu à créer le principe de centres de rétention de sûreté où seront placés, à l'issue de leur peine de prison, des criminels considérés comme présentant une probabilité élevée de récidive sur la base notamment d'expertises psychiatriques, rendant possible l'enfermement d'une personne qui n'aurait jamais récidivé.

Si, en tant que citoyenne, je déplore cette évolution du droit, fût-elle portée par une majorité de mes concitoyens, en tant que psychiatre, j'affirme que lorsqu'un psychiatre prédit la récidive délinquante, par définition incertaine, aléatoire et multifactorielle, il fait référence non à sa science mais à son intime conviction.

Comme en 2000, les parlementaires s'indigneront du nombre de malades mentaux incarcérés. Une personne détenue sur trois avait déjà consulté pour un motif psychiatrique avant l'incarcération, et une personne détenue sur trois est considérée comme relevant de soins psychiatriques. On retrouve quatre fois plus de personnes schizophrènes en population pénale qu'en population générale, et leur vie en détention est un parcours d'obstacles qui aggrave généralement leur état.

Certes, les pouvoirs publics vont renforcer le dispositif de soins psychiatriques en milieu pénitentiaire, prenant acte d'une situation dont la communauté psychiatrique ne doit pas s'accommoder car elle a une large part de responsabilité dans le phénomène. La venue de soignants en prison a permis d'apporter des soins de qualité aux personnes en souffrance ou en demande. Mais désormais le dispositif de soin est victime de son succès. Il légitime l'incarcération de personnes souffrant de pathologies mentales graves. Et il soulage la communauté psychiatrique et la société de la charge que constituent le suivi et l'accompagnement des patients difficiles à soigner. A cette théorie inclusive a répondu une pratique d'exclusion avec un surcroît de peine par réflexe de défense sociale face à la folie, porteuse d'incompréhensible et surtout de danger.

Enfin, les parlementaires s'inquiéteront du nombre de suicides, qui reste sept fois supérieur à celui observé en population générale. Le phénomène est complexe, rencontre de détresses individuelles et de circonstances douloureuses, générant une perte du sentiment d'humanité et d'espoir. A cet égard, il faudrait interroger la structuration même de l'institution pénitentiaire et judiciaire, qui ne parvient pas à faire des détenus des interlocuteurs dont la parole a du sens et auxquels on peut faire confiance ; en cela, elle ne leur permet pas de se sentir des hommes qui comptent encore et restent debout.

Peut-être le succès du film de Jacques Audiard, Un prophète, et les débats parlementaires stimuleront-ils l'intérêt du public pour l'univers carcéral, non pour se satisfaire de "croire savoir" mais pour appeler aux changements nécessaires et possibles auxquels aspirent citoyens sous main de justice et professionnels de terrain.


Catherine Paulet est psychiatre, présidente de l'Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire.

Un système absurde dans une démocratie moderne, par Emmanuel Jaffelin

Nietzsche avait proclamé la mort de Dieu, Hegel annoncé la fin de l'histoire, Foucault diagnostiqué la mort de l'homme. Les philosophes ont toujours guetté les crépuscules. Il faut constater aujourd'hui que nous assistons au crépuscule des prisons, non parce qu'elles sont mal gérées, mais parce qu'elles ne font plus sens.

Les suicides qui se multiplient dans les prisons sont autant de symptômes de la fin d'un système pénal et carcéral. Cette accélération des suicides n'est pas seulement due au surpeuplement des lieux de détention : elle constitue une mise en question de notre société devant l'absurdité de son système punitif.

Au XXIe siècle, enfermer quelqu'un dans une prison, ce n'est pas le punir : c'est agir par paresse et par prolongement d'un système archaïque, dépassé et inadapté aux sociétés postmodernes. L'abolition de la peine de mort réalisée par la gauche paraissait logique et sociologiquement inéluctable ; elle ne fut que paralogique et paradoxale. Il faut se rendre à l'évidence : le suicide tue plus dans les prisons que la peine de mort ne l'a jamais fait.

Foucault a montré que la fin des supplices en public consacrait l'avènement de l'Etat moderne qui manifestait son pouvoir dans le secret et à l'abri des regards. La dissimulation des chiffres réels des suicides dans les prisons n'est rien d'autre que la poursuite de ce processus qui ne convient plus aux sociétés postmodernes, dont les citoyens sont hyperinformés et communiquent en réseau.

Depuis 1977 et l'exécution d'Hamida Djandoubi, il n'y a plus aucune mort donnée par l'Etat et son bourreau ; en revanche, sur la même période, ce sont au moins 3 000 morts par suicide qu'il faut recenser, morts dans lesquelles l'Etat, et donc chaque citoyen, doit prendre sa part de responsabilité. La gauche a cru blanchir son âme en abolissant la peine de mort : elle s'est en fait lavé les mains d'un problème fondamental de notre société.

L'abolition de la peine de mort constitua ainsi moins l'avènement symbolique de la gauche que l'événement signant la défaite de sa pensée. Loin de résoudre un problème moral et politique placé sous la bannière des droits de l'homme, l'abolition de la peine de mort en 1981 a sanctifié la prison et sanctuarisé la punition comme enfermement. La gauche n'a fait qu'entériner un vaste mouvement de société dans lequel la sensiblerie le dispute à l'hypocrisie.

Qu'est-ce que punir ? Il y a dans la punition deux dimensions : celle de la sanction et celle de la réparation. Il faut que le puni comprenne sa faute. La sanction - faut-il rappeler que le mot a la même racine que le sacré - doit conduire le fautif à reconnaître que ce qu'il a fait n'aurait pas dû l'être. Elle suppose un dispositif symbolique que notre justice expéditive et encombrée ne risque pas de mettre en oeuvre. Il faut ensuite que le puni répare sa faute : c'est là encore un travail que l'appareil judiciaire devrait accomplir avec le puni. Qui peut dire que le tribunal et la prison sont des lieux de prise de conscience et de prise en charge du puni vers la compréhension de sa faute et de sa punition ?

A trop vouloir que l'enfermement soit la solution universelle des crimes et délits, le remède à toutes les fautes, on en oublie ce que punir veut dire. Or, punir signifie accueillir celui qui a mal agi pour l'inciter à mieux agir. Il n'y a pas de punition sans volonté de correction, c'est-à-dire sans projet de relever celui qui est "tombé". La prison n'était autrefois qu'un sas, un moment provisoire entre la liberté fautive et la punition. Par un mouvement généralisé d'adoucissement des moeurs, la punition s'est estompée pour ne laisser que la détention. L'emprisonnement, qui n'était qu'un moyen vers la punition, est devenu une fin. Le déficit de sens est donc patent. Au fond, le puni n'a pas le sentiment de l'être : il attend inconsciemment une punition qui ne vient pas. Une grande part des suicides peut s'expliquer par ce déficit de sens.

De nombreux philosophes ont fréquenté la prison. L'emprisonnement de Socrate a fourni à Platon l'occasion de brosser dans le Phédon un portrait de son maître qui soutient que nous sommes tous assignés à résidence par les dieux. Diderot et Sade ont été embastillés pour leurs écrits. Mais c'est à Foucault, qui s'est rendu en prison comme simple visiteur et militant du Groupe d'information sur les prisons, qu'on doit une analyse de l'impasse du système carcéral qui n'a donné lieu à ce jour à aucune refonte. Les prisons sont pleines, mais vides de sens. La peine de mort n'a mis fin ni à la mort ni à la peine dans les prisons. Les ministres de la justice se succèdent sans idées ni courage.

Cinq solutions paraissent à terme inévitables :

- Libérer les punis qui ne peuvent sortir du système carcéral qu'humiliés, violés et désespérés. Utiliser pour ce faire la technologie à notre disposition ;

- Fermer les prisons insalubres et commencer à construire des lieux qui auront été repensés non par des bétonneurs, mais par des femmes et des hommes qui se soucient du sens de la punition ;

- Convertir les prisons salubres en lieux de réintégration sociale - y compris pour des gens désintégrés socialement qui n'ont commis ni crime ni délit -, et ne garder des lieux de détention que pour une minorité de prisonniers qui ne doivent pas échapper à la punition que leur réserve la société ;

- Réformer le code pénal à partir d'une réflexion collective sur la punition qui redéfinisse fautes, crimes, délits, ainsi que les sanctions auxquelles les contrevenants s'exposent. Cette réflexion doit intégrer les avis de ceux qui sont en prison et de ceux qui y ont séjourné. Elle doit faire l'objet d'une réflexion sociétale, d'un débat parlementaire et d'un référendum ;

- Enseigner des règles de vie, et non seulement des textes de loi, dans tous les secteurs de notre société et non seulement à l'école. On ne peut pas enseigner le fair-play dans le sport et, dans le même temps, l'obsession de gagner par tous les moyens.

On ne peut pas motiver les employés d'une entreprise dont les dirigeants ne croient pas aux produits qu'elle fabrique, privilégiant l'augmentation de marges bénéficiaires et gardant les yeux rivés sur le cours de ses actions. On ne peut pas demander aux fonctionnaires de servir l'intérêt général quand les plus hauts dignitaires et hiérarques de l'administration et de l'Etat ont d'abord le sens de leur carrière et de l'intérêt particulier.

Alors que le monde vit une nouvelle Renaissance dont le Web est la fenêtre la plus largement ouverte, les sociétés occidentales continuent d'instituer les lieux d'enfermement comme des passages obligés pour certains âges de la vie ou certains comportements. Sortons de cette vision close de la société, et commençons d'abord par sortir les prisonniers de leur prison en réfléchissant à ce que la société attend d'eux, en dehors de leur date de libération. Les suicides dans les prisons sont un symptôme d'une société malade et repliée sur elle-même qui ne sait plus punir et donc pas guérir. En commençant par une réforme de son système judiciaire, la société française pourrait retrouver une dynamique qu'elle ne soupçonne pas. La vérité de notre société se cache dans ses oubliettes.


Emmanuel Jaffelin est professeur de philosophie au lycée Lakanal à Sceaux (Hauts-de-Seine).

Saint-Paul : voyage au bout de l'enfer, par Sylvain Cormier

La visite se déroulait dans un drôle de climat. La prison Saint-Paul, à Lyon, se préparait à fermer. La plupart des cellules avaient déjà été vidées de leurs occupants. Ce devait être la sixième expertise de ce genre que j'effectuais en tant qu'avocat, pour contester les conditions de détention de mes clients. Un rituel qui devenait familier.

Tout d'abord, une réunion préparatoire avec l'administration, l'expert, l'avocat du ministère de la justice et celui du détenu. On retrace l'historique des cellules occupées, les bâtiments concernés, les communs utilisés, etc. L'administration avait préparé les listings des cellules et recensé le nombre d'occupants. On récapitule : "cellule J1er signifie bâtiment J, 1er étage - cellule H2e, bâtiment H, 2e étage..."

Direction le bâtiment J, 1er étage. Un chef de détention nous accompagnera durant toute l'opération, soit près de cinq heures. Une contrainte pour l'administration, mais aussi pour les détenus qui occupent les cellules expertisées et qui doivent alors les quitter sans qu'on leur en donne la raison.

Le travail de l'expert commence. Photo de la porte numérotée. On ouvre la porte, une odeur franchement nauséabonde nous prend à la gorge. L'huissier note, stoïque : "aération défaillante". Trois lits superposés, une armoire bricolée. Un W-C masqué derrière une serviette tendue sur un fil. La plaque de cuisson est restée allumée. "Un oubli ?", "Non, c'est pour chauffer" me répond le chef. L'huissier mesure les diagonales, la hauteur du plafond. Résultat : 7,80 m² pour trois détenus, voire quatre. On a peine à imaginer un espace aussi réduit occupé par quatre détenus. Concrètement, le quatrième doit poser son matelas par terre ; c'est en général le lot du dernier arrivant. Il n'est alors plus possible de se lever pour marcher dans la cellule. Or, en maison d'arrêt, on y est enfermé presque en permanence, à l'exception des promenades...

"Vous pouvez prendre le jus"

Le délabrement électrique est flagrant : les interrupteurs ont disparu et il faut connecter les fils nus directement pour obtenir de la lumière. Un voyant rouge au-dessus de la porte, côté couloir, semblable à ceux que l'on pourrait trouver dans un studio de radio attire mon attention. C'est un voyant d'alerte. Il est censé pouvoir être déclenché depuis l'intérieur de la cellule pour alerter les surveillants de couloir en cas de problème.

Ce voyant attire mon attention, car dans une autre prison que j'avais visitée, rien de tel n'avait été prévu et les détenus devaient frapper contre la paroi de leur cellule, jusqu'à ce que la cellule voisine fasse de même, et ainsi de suite, pour alerter un surveillant...

Mon client avait agonisé toute la nuit avant de mourir. Une défaillance que le tribunal administratif que j'avais saisi vient de juger comme une faute à la charge de l'Etat. Aussi, je demande à l'huissier de vérifier le fonctionnement de ce voyant d'alerte. Mais le chef me répond aussitôt : "Je n'essaierais pas à votre place, il ne marche pas, aucun ne fonctionne, et en plus vous pouvez prendre le jus !"

C'est alors qu'un détenu a tambouriné à sa porte et a crié : "surveillant ! surveillant !" Un bruissement : le détenu a glissé une feuille de papier au-dessus de la porte, au milieu, puis l'agitait frénétiquement, dans un raffut : "surveillant !" Le surveillant arrive : "plus tard, arrête, je repasserai !", "Surveillant !", hurlait le prisonnier.

Je comprends alors que la bande de papier est un substitut dérisoire au voyant lumineux. Le chef me le confirme : "C'est comme ça qu'ils nous appellent." Je regarde de nouveau, plus attentivement, et j'aperçois juste au-dessus du papier, une trace de combustion, de brûlé. Je questionne. "Quand les surveillants en ont marre, ils brûlent le papier avec leurs briquets", me répond le chef, lassé. Un regard circulaire : je vois que toutes les portes sont ainsi marquées, légèrement brûlées au dessus... C'était à la prison de Lyon, en avril. A la fin de l'été, on dénombrait quatre-vingt-quinze suicides de prisonniers depuis le début de cette année.


Sylvain Cormier est avocat spécialiste en droit pénal. Depuis le 3 mai, les détenus de cette maison d'arrêt ont été transferés dans un nouvel établissement à Corbas (Rhône).


La punition carcérale est inséparable de la réinsertion, par Jean-Marie Delarue

Au moment où va être à nouveau débattu devant le Parlement un projet de loi pénitentiaire, les discussions sur la prison sont légitimes et bienvenues. Sans prendre parti ni revêtir un rôle que le législateur n'a pas confié au contrôleur général des lieux de privation de liberté, on voudrait rappeler, à la lumière notamment d'une cinquantaine de visites approfondies d'établissements pénitentiaires, de centaines de lettres reçues et d'entretiens approfondis et confidentiels tant avec des détenus qu'avec des membres des personnels ou des tiers intervenants (soignants, visiteurs, aumôniers...), quels sont les enjeux à prendre en considération pour conduire une réflexion productive sur cette question très difficile.

La prison est une sanction pénale punissant les auteurs de délits graves ou de crimes. Peu remettent en cause son rôle sur ce plan. Il convient pourtant de se demander si, dans certains cas, la privation de la liberté d'aller et de venir est la sanction la plus appropriée à la rupture des règles sociales. Ainsi, la Suisse a supprimé de son arsenal répressif, il y a peu, toutes les peines de prison inférieures à un an. Une réflexion est inévitable sur ce point.

On doit analyser lucidement le "besoin de sécurité" et la capacité pénitentiaire. Ce "besoin", impossible à définir, se manifeste par trois phénomènes : le souhait de l'opinion de voir mis quelqu'un en prison, les peines de prison prononcées et celles accomplies. La solution ne peut être seulement de construire à l'infini de nouveaux établissements (bien entendu, trop de prisons vétustes sont à refaire, mais le "modèle" de prison reste à définir). Chacun sent bien que, numerus clausus ou non, il y a une limite et, par conséquent, d'autres incitations pour mettre fin à la violence sociale grave que sont le crime ou le délit.

Si l'opinion est prompte à réclamer des châtiments "exemplaires" - que signifie l'exemplarité d'une sanction pénale ? -, elle est aussi prête à soutenir que l'auteur de la faute soit traité "comme" il a traité sa victime, autrement dit qu'il doit payer cher l'écart commis, à l'échelle de la souffrance engendrée. Il faut dire sur ce point que, d'une part, plus un prisonnier est mal traité, plus mal il se comportera à sa sortie de prison, donc que la demande sociale ainsi formulée est contraire d'évidence à la sécurité que l'on revendique par ailleurs. D'autre part, c'est l'honneur des démocraties de ne point agir sur le bourreau comme lui-même a agi sur ses malheureuses victimes. Autrement dit, la sanction pénale prononcée n'est pas celle de la victime ; elle est celle de la société. La place de la victime dans le procès pénal, qui doit être repensée, ne peut qu'être modeste.

Faut-il penser alors que la prison ne doit plus être qu'une sorte de club de vacances forcées, douceâtres et émollientes ? Une seule visite, même sommaire, en prison permet de voir les difficultés quotidiennes de la vie carcérale et la souffrance, méconnue, qu'elle engendre : ne plus disposer, pendant la durée de la peine, ni de son temps ni de son espace est difficile à supporter. La prison n'est pas une sinécure. Ce caractère lui restera, quoiqu'il advienne, attaché. Il n'existe pas de prison douce.

En revanche, il n'est pas acceptable qu'à ce châtiment s'ajoutent d'autres souffrances non prévues, dans une institution gouvernée 24 heures sur 24 par l'administration de notre République : la promiscuité ; la difficulté de toute intimité ; l'extrême difficulté de prendre des initiatives ; la soumission constante ; les aléas des contacts avec l'extérieur (familles, amis et biens) ; l'indigence des relations entre personnes ; surtout, la violence, les trafics, l'exacerbation des hiérarchies sociales et des tensions dominatrices (les braqueurs et les "pointeurs" ; les gens du voyage et les Français d'origine arabe, les Roumains ou Moldaves et les autres, etc.).

Ces traits permanents des établissements, à l'origine de certains des suicides dont on parle tant et de bien d'autres réactions (automutilations, repli sur soi, dépressions, agressions...), ne doivent pas être acceptés. C'est une question de dignité. A ces souffrances s'ajoutent celles des familles des détenus, dont il a été montré que l'emprisonnement de l'un des leurs devient l'axe autour duquel tourne la vie familiale. La famille devrait être pourtant une aide majeure dans l'exécution de la peine, comme d'ailleurs le visiteur, l'enseignant ou le personnel soignant. L'état des prisons est aussi une cause majeure de souffrance pour les personnels, dont l'immense majorité, fatiguée, lasse, assume dans des conditions fragiles et trop souvent solitaires l'exercice d'une mission très difficile. Il faut certes punir les excès. Mais à condition de donner à chacun les moyens, pas seulement financiers, de gérer une population difficile. Sur ce point, la réforme n'est pas l'ennemie des personnels. Bien conduite, elle est leur meilleure alliée.

La prison est inséparable, contrairement à ce qu'on feint souvent d'ignorer, de deux autres politiques publiques. En premier lieu, la santé psychiatrique : qu'on envisage la prise en charge des maladies mentales en prison est en soi préoccupant. En second lieu, l'accompagnement des plus pauvres : la prison connaît encore trop de sorties "sèches", en dépit des dévouements, et les choses se présenteront mieux lorsque le système pénitentiaire n'agira pas seul, mais sera corrélé avec l'appareillage social du dehors, aussi performant que possible, destiné aux personnes précaires.

La prison génère l'ennui et la frustration. La crise actuelle diminue drastiquement le nombre de postes de travail offerts et génère de puissantes inégalités en détention. On ne peut se contenter de cet état de fait, pas plus que du maigre cadre réglementaire et financier accordé à ceux qui sont choisis pour travailler. La recherche de travail "haut de gamme" (avec l'informatique notamment) ou d'activités génératrices d'insertion effective, de retour aux normes sociales, doit être accrue.

La prison est un tout compliqué. Elle ne peut être abordée par un seul de ses aspects, même (hélas !) dramatique. Elle ne peut être davantage cette "mort lente" qu'a dénoncée il y a peu un groupe de détenus. Elle doit se transformer par un ensemble de mesures qui lui permettront d'assurer les deux missions qui lui sont assignées depuis... 1945 : la punition certes (il ne saurait y avoir sur ce point de faux-semblants ou de faux espoirs), mais aussi la "réinsertion", c'est-à-dire le retour consenti, encouragé, soutenu, à une vie sociale acceptée et partagée.


Jean-Marie Delarue est contrôleur général des lieux privatifs de liberté.
SANTÉ. Le Centre hospitalier de La Candélie fait appel à des infirmières retraitées pour pallier des problèmes d'effectifs

A Agen, des infirmières reprennent du service
http://www.sudouest.com/lot-et-garonne/actualite/article/692585/mil/5049101.html

L'hôpital public est confronté depuis quelques années à des problèmes d'effectifs, notamment en ce qui concerne le personnel infirmier, un métier dificile et souvent peu valorisé. Selon un rapport de la Cour des comptes datant de 2005, la « pénurie d'infirmières » serait accentuée dans les secteurs de la gériatrie et de la psychiatrie, moins attractifs.

L'hôpital départemental de La Candélie n'échappe pas au problème. Pour faire face aux besoins de personnel, le centre de soins psychiatriques fait appel à d'anciennes infirmières nouvellement retraitées. « Dans la fonction publique hospitalière, le personnel infirmier part à la retraite à 55 ans. Un décret gouvernemental nous permet désormais de faire appel à des infirmières retraitées, qui peuvent travailler dans la limite du salaire précédemment perçu. Il s'agit de travail très ponctuel, qui nous aide à renforcer nos équipes de soins, surtout la nuit », précise Mme Poujoulet, représentante syndicale CGT à La Candélie.

A l'origine du problème, se trouvent des besoins en effectifs accrus ces dernières années, en raison d'une augmentation de la demande de soins, mais aussi de départs massifs à la retraite qui ont frappé la fonction publique hospitalière. De plus, « les infirmières ne font plus carrière à l'hôpital. Elles y passent dix ans en moyenne, puis vont exercer dans le secteur libéral », ajoute la syndicaliste.

Un recrutement insuffisant

Ces besoins accrus en personnel infirmier ne sont toutefois pas comblés, faute d'un recrutement suffisant parmi les jeunes diplômés. Pourtant, il semble qu'il ne manque pas d'infirmiers sur le marché du travail. Dans le Lot-et-Garonne, qui compte trois instituts de formation aux soins infirmiers, à Agen, Marmande et Villeneuve-sur-Lot, la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) recense 189 infirmiers diplômés enregistrés auprès de ses services en 2008.

Dans ce cas, comment expliquer la pénurie d'infirmiers ? Selon Mme François, la directrice de l'Institut de formation aux soins infirmiers d'Agen, « il n'y a plus de stabilité dans la profession. A titre d'exemple, parmi la dernière promotion de diplômés au mois d'avril 2009, un tiers travaille à temps partiel. Nombreux sont ceux aussi qui choisissent de partir exercer en libéral. C'est un métier difficile et lourd. Les jeunes ne souhaitent plus s'engager, ils travaillent au jour le jour, ils ont davantage besoin de mobilité. »

Un manque de valorisation

Si les jeunes infirmiers sont moins nombreux à briguer la carrière en hôpital, c'est aussi parce que la profession reste peu valorisée, notamment au niveau salarial. « Etre payé 1,2 fois le Smic après trois ans de formation en école et compte tenu des contraintes du métier, cela n'est pas très attractif », souligne Mme Poujoulet.

Surtout, la syndicaliste met en évidence « un manque de transparence au niveau des emplois sur l'hôpital. Le nombre d'infirmiers fluctue fortement. C'est surtout un problème de budget. Dans le secteur de la psychiatrie, plus de 80 % du budget est consacré aux dépenses de personnel. Le budget 2009 au niveau des effectifs est inférieur à celui de l'année précédente. Il est évidemment plus facile et moins coûteux de recourir à des embauches ponctuelles. »

En attendant de nouveaux recrutements, le centre hospitalier de La Candélie, comme de nombreux hôpitaux publics en France, fait donc appel à des infirmières retraitées pour consolider les effectifs. La question du budget et du chevauchement des équipes sera soulevée lors de la prochaine réunion des représentants syndicaux avec la Direction des ressources humaines de l'hôpital, le 10 septembre.

Auteur : Aurélie Abadie
« La patience de Mauricette » : le premier vrai roman de Lucien Suel
jeudi 3 septembre 2009 - 22:22
http://www.echo62.com/actu.asp?id=2460&cat=divers

« Un patient m’a demandé qui j’étais et j’ai dit : ‘je suis écrivain’. Il a éclaté de rire. » La frontière est mince entre les gens en bonne santé et les gens qui ne sont pas en bonne santé… mentale. Lucien Suel, poète et écrivain, a passé six mois sur le site de l’Établissement public de santé mentale Lille-Métropole à Armentières. Une « résidence » soutenue par la Direction régionale des affaires culturelles et l’Agence régionale de l’hospitalisation, dans le cadre d’un projet « Culture à l’hôpital », initié par le docteur Christian Muller. Isolé, acceptant d’être « en osmose » avec « les braves gens de la santé mentale », Lucien a vécu une « histoire extraordinaire ».

S’il ne savait pas au départ ce qu’il allait écrire, il a vite retrouvé dans un coin de sa tête un personnage, Mauricette Beaussart, qu’il avait naguère côtoyé dans une étonnante anthologie des fous et des crétins du nord de la France, et l’a plongé dans l’univers psychiatrique. Écoutant, regardant autour de lui, en totale empathie, sans voyeurisme et tout en pudeur, il a écrit en temps réel. Mauricette la patiente qui disparaît de l’hôpital, son ami Christophe et le secteur G18 de l’EPSM. L’écrivain ignorait tout de la psychiatrie ; il a découvert un monde où les portes sont ouvertes, où l’attention est constante. Et sa parfaite intégration a enfanté un émouvant roman « La patience de Mauricette » : 236 pages qui sont des papiers que l’on peut dignement montrer à la frontière entre la bonne et la mauvaise santé mentale.

Du jardinier à l'EPSM
« La fiction c’est ce qu’il y a de plus proche de la réalité », soulignait ce jeudi 3 septembre 2009 le docteur Muller lors du « lancement national » de ce roman, dans une grande salle de l’EPSM transformée en luxuriant jardin. Oui, un lancement national en présence de Françoise de Maulde, directrice éditoriale de La Table Ronde. Emballée par « Mort d’un jardinier », le précédent ouvrage de Lucien, La Table Ronde a foncé sur « La patience de Mauricette ». « Le premier vrai roman de Lucien Suel le poète, a estimé F. de Maulde. ‘Mort d’un jardinier’ était un livre frontalier. »
Le roman est à la fois une description très dense de la vie de l’EPSM et une exploration des souvenirs chaotiques de Mauricette. Souvenirs lointains ou proches. Une écriture obsédante, tendue, rythmée. « Je vais faire le tri sélectif. Vider mon cabas. Mon cœur mis à nu. » L’auteur brosse en outre un portrait sensible des infirmières, docteurs, psychologues, de la psychiatrie qui s’est « rapprochée des gens ». Comme le rappelait le directeur de l’EPSM Lille-Métropole : « nous devons faire évoluer l’image de la psychiatrie avec d’autres mots, d’autres regards. » Le verbe et la précision de Lucien Suel nous emmènent à la frontière. Sur le fil. Nous frôlons la grâce, la liberté, le bonheur. Et Mauricette ne nous quitte plus : « Ils sont vivants pour me soigner. »

Légende : Lucien Suel est le Seul Unique Écrivain de La Tiremande.

« La patience de Mauricette », La Table Ronde, 18 euros.

mercredi 2 septembre 2009

Refus politique de la peur

Préparer la rentrée du Collectif NON À LA POLITIQUE DE LA PEUR

La question éthique, …., s’articule d’une orientation du repérage de l’homme par rapport au réel
Jacques Lacan[1]


La réunion de convergence du 6 juin a été fort riche en informations, en échanges, mais également en questionnements. Le compte-rendu qui vous a été adressé précédemment en a fait un bon retour.

Nous avons une suite à construire à cette rentrée. Contribuer activement à revivifier les luttes antitotalitaires et anti casse des services publics. Dans cette perspective, nous sommes à la recherche de formes nouvelles d’action qui permettent d’être entendus et qui soient des leviers pour changer les rapports de force.

Le mouvement des « désobéisseurs » est exemplaire. Les sanctions sont tombées une fois les écoles et facs fermées ! Sans doute faudrait-il leur permettre de retrouver la parole pour faire comprendre en quoi leur critique pratique contient dénonciation, opposition, refus et proposition.

De même, le collectif Base Élève peut attester de ses résultats, mais aussi de leur usage concret possible pour aboutir à l’élimination de l’usage (pernicieux ?) de contrôle social.

Il serait des plus utiles que nous puissions disposer, notamment par le travail du Mouvement anti délation, d’informations sur les resserrements au niveau des collectivités territoriales du contrôle social et de la marche vers la société de surveillance. Quelle action démonstrative peut s’imaginer alors ?


Le domaine de la santé sera occupé par de nombreuses initiatives en septembre et en octobre.

Le collectif des 3 C prépare la rentrée, notamment : la recension des suppressions de postes dans les hôpitaux, pour illustrer la portée du phénomène et les mensonges de la ministre ; la riposte aux nouvelles dispositions concernant la Poste confirmant la perspective de privatisation ; la relance de la « bagarre » sur les franchises médicales.

A peine adoptée la loi Bachelot, la répression tombe : le docteur Pierre Paresys, ancien président de l’Union Syndicale de la Psychiatrie, militant syndical connu, se voit refuser le renouvellement de la chefferie de service (il est psychiatre chef de service depuis 15 ans dans le Nord) au prétexte qu’il exprime publiquement son opposition à la politique du directeur de son hôpital de rattachement et de l’Agence Régionale du Nord Pas de Calais. C’est ce que nous appelons un délit d’opinion. Il se trouve que Pierre Delion, professeur de psychiatrie à Lille, est lui-même tracassé, dénoncé par une association de parents militante contre la psychiatrie au titre de ses conceptions du soin psychique. Je soumets à notre discussion une initiative à Lille en Octobre 2009 sur le thème « psychiatrie et politique de la peur », où les 2 Pierre seraient activement présents, et où pourrait être également fait le démontage des effets renforcés par la Loi Bachelot de plus de 20 ans de réformes hospitalières.

La psychiatrie encore.

Ø La réforme répressive de la loi portant sur l’hospitalisation psychiatrique comme une loi de santé mentale disloquant la psychiatrie de service public se profilent pour la rentrée. Nous devons être aux côtés de l’Appel des 39 – La nuit sécuritaire, de l’Union Syndicale de la Psychiatrie, des syndicats et organisations qui s’opposeront vigoureusement contre ces lois. Il y a déjà la proposition de rencontre à Lille. L’Appel des 39 prévoit un Forum national les 4 et 5 décembre 2009 à Paris (tout en se réservant des actions auparavant en cas de parution des projets de lois annoncés juste avant). Je propose que nous en soyons.

Ø Le samedi 10 octobre est la journée internationale pour la santé mentale.
Le Comité Européen : Droit, Éthique et Psychiatrie envisage d’organiser ce jour là à Bruxelles, en co organisation avec la Ligue Bruxelloise Francophone de Santé Mentale, un forum européen centré sur le thème « L’humain et la santé mentale ». Le collectif « Non à la politique de la peur » y sera invité, ainsi que l’Appel des 39, la LDH et d’autres organisations encore. Ce serait —après Milan le 21 mai

La montée en puissance de la répression policière en lien évident avec l’offensive néo-libérale est très inquiétante. La réaction de nombreuses organisations, et en particulier du Collectif Liberté, Égalité, Justice (CLEJ)[2], est une première riposte positive. Je vous invite également à signer la pétition lancée par Stéphane Gatti. Nous devrons discuter de la nécessité de réagir très vite par une large constellation d’organisations et collectifs, et d’idées d’initiatives à soumettre aux autres.

D’autres sujets peuvent venir à l’ordre du jour, comme par exemple Pôle Emploi et le traitement de l’aggravation massive du chômage, ……

Enfin, cette prochaine réunion pourrait décider une conférence de presse de rentrée sur la base d’un texte princeps de rentrée et de présentation à la presse de situations et de propositions.



Voilà de nombreux points à l’ordre du jour qui feront sans doute ressentir à beaucoup d’entre nous la nécessité d’une réunion de rentrée nombreuse, réflexive et active : LUNDI 31 AOÛT à 18 heures au local de la Ligue des Droits de l’homme 138, rue Marcadet – 75018 Paris

Cordialement à tous,

Claude Louzoun

«[1] La citation complète est la suivante : « Eh bien, chose curieuse pour une pensée sommaire qui penserait que toute exploration de l’éthique doit porter sur le domaine de l’idéal, sinon de l’irréel, nous irons au contraire, à l’inverse dans le sens d’un approfondissement de la notion du réel. La question éthique, pour autant que la position de Freud fait faire un progrès, s’articule d’une orientation du repérage de l’homme par rapport au réel. » Jacques Lacan, L’éthique de la psychanalyse, Le séminaire Livre VII, éditions du Seuil, Paris, 1986, pp. 20-21. [2] La réunion de rentrée du CLEJ est le mercredi 16 septembre à 18 heures au local du syndicat de la magistrature.









Publié sur slate (http://www.slate.fr)
Les antidépresseurs, conséquence ou cause de la crise?

Une récession nerveuse

Les ventes d'antidépresseurs sont-elles une conséquence ou la cause de la crise?
Caitlin McDevitt [1] Lundi, 31 août 2009


Dans un climat économique maussade, il est amusant de pointer les «
éclaircies» — les secteurs ou les produits qui marchent très bien pendant que les autres vont mal. Par exemple, cette année, il y avait de nombreuses études indiquant que certains produits — le rouge à lèvres, le chocolat et les pâtes [2] — sont allés à l'encontre du mouvement général de l'économie et ont enregistré des ventes en hausse. Les supermarchés ont gagné en affluence aussi, car les familles ont plus mangé à la maison et moins au restaurant. En février, une histoire particulièrement édifiante [3] relatait le renouveau des affaires pour les cordonniers, car les gens faisaient réparer leurs vieilles chaussures plutôt que d'en acheter des neuves. Bien que ces histoires soient plutôt optimistes, la nouvelle d'une augmentation des ventes [4] d'antidépresseurs malgré — ou peut-être grâce à — la récession était quant à elle tout simplement déprimante.


Le sentiment d'impuissance, le pessimisme, une profonde tristesse persistante — les principaux symptômes de la dépression — n'étaient pas du tout en baisse quand l'économie s'est écroulée. Environ 164 millions d'ordonnances pour des antidépresseurs ont été prescrites en 2008 aux Etats-Unis, 4 millions de plus qu'en 2007, selon IMS Health, une société se spécialisant dans le conseil et l'information pour l'industrie de la santé. Les antidépresseurs ont été le troisième médicament le plus prescrit en 2008, avec des ventes de 9,6 milliards de dollars, en hausse par rapport aux 9,4 milliards dépensés l'année précédente.


Quand les antidépresseurs font du bien à l'économie


Le mois dernier, Eli Lilly & Co. [5] (LLY) a rapporté que ses ventes de Cymbalta au deuxième trimestre — qui est en passe de dépasser l'Effexor aux Etats-Unis au palmarès de l'antidépresseur le plus vendu — ont progressé de 14% par rapport à l'année dernière. La dépendance nationale à ces drogues est une tendance persistante. Une étude publiée en août dans les Archives of General Psychiatry a démontré que de 1996 à 2005, la consommation d'antidépresseurs aux Etats-Unis a doublé.


Bien qu'il soit inquiétant que de plus en plus d'Américains soient considérés comme suffisamment malheureux par leurs médecins pour nécessiter une telle prescription, il y a peut-être du réconfort à trouver dans le fait que les antidépresseurs peuvent faire du bien à l'économie. La dépression coûterait aux Etats-Unis jusqu'à 83 milliards de dollars par an, selon une étude publiée dans le Journal of Clinical Psychology en 2003 et analysant [6] le coût des maladies. L'étude a trouvé que les coûts liés au traitement de la dépression représentaient 26% de la charge totale, et que deux fois ce montant - 52 milliards de dollars - pouvaient être attribués aux journées de travail manquées et à la perte de productivité. «C'est sur le lieu de travail que sont engendrés les coûts les plus importants», a dit Paul Greenberg, l'économiste spécialisé dans le secteur de la santé qui a mené l'étude.


Les effets des drogues


Calculer la productivité perdue n'est jamais une science exacte, mais il n'est pas difficile de comprendre pourquoi les employés déprimés seraient moins efficaces au travail. Non seulement ils travaillent moins de jours, comme l'a démontré l'étude, mais les symptômes de la maladie peuvent rendre très difficiles l'accomplissement de leur tâche. «Si vous dressez une liste de symptômes fortement liés aux mauvais résultats au travail, vous voyez que les symptômes de la dépression correspondent presque exactement avec ce qui fait décliner la productivité», a expliqué Greenberg, citant les difficultés rencontrées par les personnes déprimées pour se concentrer, se souvenir de détails et prendre des décisions. Les antidépresseurs sont conçus pour faire — et le font réellement pour beaucoup de gens — diminuer une partie ou presque tous ces symptômes.


Les compagnies pharmaceutiques sont promptes à indiquer les effets positifs de ces drogues sur les personnes - toutes les personnes. Dans la campagne publicitaire d'Eli Lilly pour Cymbalta, «la Dépression fait mal»), une voix féminine demande, "Où est-ce que la dépression fait mal?» La réponse: «Partout». Et puis, «A qui la dépression fait mal?». Oui, vous l'avez devinez: «A tout le monde».


Du Zoloft gratuit pour ceux qui ont perdu leur emploi


Malheureusement, il y a un marché cible pour ces publicités. Selon les estimations, 15 millions d'Américains souffrent d'une dépression majeure, mais la plupart ne sont pas traités. [7] Et, en fait, l'industrie dont la vocation est de rendre les malheureux heureux est particulièrement rémunératrice. Pendant que d'autres maladies coûteuses — telles que les maladies de coeur ou le cancer — frappent tard dans la vie, la plupart des gens tombent dans la dépression quand ils sont beaucoup plus jeunes, normalement entre 15 et 30 ans. En plus de commencer tôt, la dépression peut s'avérer fréquente. Jusqu'à 75% de personnes qui font une dépression récidivent, et lors de chaque apparition, le risque d'une nouvelle récidive augmente [8].


Les compagnies pharmaceutiques reconnaissent l'importance d'entrer en contact avec les clients tôt et souvent, dans l'espoir que ceux qui auront besoin de prendre ces médicaments sur le long terme restent fidèles à leur marque — à tel point qu'elles sont prêtes à distribuer gratuitement leurs capsules. En mai, le groupe Pfizer [9] (PFE) a annoncé [10] qu'il offrirait plusieurs de ses produits — dont l'antidépresseur Zoloft - gratuitement à ceux qui ont perdu leur emploi ou leur assurance médicale.


«Notre but est d'aider les gens à passer cette période», a déclaré dans un entretien le Docteur Jorge Puente, le chef des produits pharmaceutiques de Pfizer hors Etats-Unis et Europe. L'autre objectif était sans doute moins charitable: dissuader les patients de troquer les médicaments Pfizer contre des génériques moins chers.


Les antidépresseurs au secours de médias


L'industrie pharmaceutique n'est pas la seule à profiter de cette hausse de la consommation d'antidépresseurs. Les grands groupes pharmaceutiques sont notoirement connus pour leurs grandes campagnes de marketing — soutenant ainsi les revenus des entreprises qui dépendent du marché de la publicité. «Elles sont bien sûr une grande source de revenus publicitaires», dit Charles Barber, auteur de Comfortably Numb: How Psychiatry is Medicating a Nation [11] («Comment la psychiatrie dope une nation») Au premier trimestre 2009, pendant que la publicité automobile — depuis longtemps la catégorie leader en matière de publicité aux Etats-Unis — chutait de 28%, selon les classements de Nielsen [12], le montant dépensé pour des pubs pharmaceutiques était relativement stable. Il s'est quand même érodé, mais seulement de 11%. Le secteur pharmaceutique était le troisième plus gros investisseur publicitaire pendant la période. Sans ces dépenses, beaucoup de groupes de médias qui se débattaient déjà dans un marché publicitaire en plein marasme auraient plus souffert encore.


Wall Street camé


Prenons, à titre d'exemple, Redbook, le magazine américain «de la femme qui jongle avec sa famille, sa carrière et ses besoins personnels» et qui, selon les chiffres les plus récents de Magazine Publishers of America [13], a perdu 10% de ses pages publicitaires ce printemps par rapport à l'année dernière. Dans le numéro du mois de septembre, le magazine abrite des publicités pour trois antidépresseurs: Pristiq, Cymbalta et Abilify. Puisque la plupart des malades de dépression sont des femmes, les magazines dont le public cible est féminin reçoivent un coup de pouce supplémentaire des entreprises encourageant la consommation d'antidépresseurs.


Mais le plus grand bien que les antidépresseurs puissent fournir, bien sûr, c'est à ceux qui les prennent. Si les effets salutaires sont ceux recherchés par les personnes qui en ont besoin, quelques sceptiques ont néanmoins expliqué que ces capsules peuvent altérer les mentalités. Il y a presque une décennie, Randolph Nesse, professeur de psychiatrie à l'Université du Michigan, a suggéré [14] que les traders consommant des antidépresseurs prendraient des risques excessifs et donc de mauvaises décisions. Ils pourraient «devenir beaucoup moins prudents qu'avant, s'inquiétant trop peu des véritables dangers», a-t-il écrit [15]. Il a prédit que, alors que de plus en plus de personnes trouveraient du soulagement dans ces médicaments, l'effet engendré au niveau collectif sur Wall Street serait une bulle qui finirait par s'éclater, «avec des conséquences économiques et politiques potentiellement catastrophiques».


Est-ce le Prozac le responsable de la récente chute libre des marchés? C'est peut-être un peu exagéré, mais si c'est le cas, il aurait été plus juste d'appeler dès le début la «grande récession» par son nom: une dépression.
Caitlin McDevitt
Traduit par Holly Pouquet

vendredi 21 août 2009








ACTUALITE MEDICALE

Dépistage des troubles métaboliques sous antipsychotiques de 2e génération : du non suivi des recommandations !
Publié le 16/08/2009
http://www.jim.fr/medecin/21_psy/e-docs/00/01/AE/9E/document_actu_med.phtml

Plusieurs antipsychotiques de deuxième génération sont associés à une augmentation du risque de troubles métaboliques : prise de poids, hyperglycémie, dyslipidémie. En 2004, l’American Diabetes Association (ADA) a ainsi publié un consensus recommandant l’évaluation de la glycémie à jeun et du bilan lipidique à l’initiation puis lors du suivi chez tous les patients traités par antipsychotiques de deuxième génération.

L’objectif de cette étude était d’évaluer l’impact des recommandations de l’ADA sur le dépistage des troubles métaboliques chez les patients traités par antipsychotiques de deuxième génération. Les données administratives rapportant les bilans glycémiques et lipidiques réalisés chez des patients bénéficiant d’une prise en charge financière par assurance privée aux USA ont été analysés. Parmi les 9 millions d’assurés des 4 compagnies ayant accepté de participer à l’étude, 18 876 adultes ont débuté un traitement par antipsychotique de deuxième génération (ziprasidone, clozapine, rispéridone, olanzapine, quétiapine, aripiprazole) entre le 01/2001 et le 12/2006. Une cohorte de 56 522 patients ayant un diabète de type 2 non traités par antipsychotiques a été évaluée pour déterminer s’il existait une variation temporelle dans la fréquence des bilans sanguins.

Durant la période de suivi, la glycémie à jeun et le bilan lipidique ont été évalués avant le début du traitement par antipsychotiques de deuxième génération chez respectivement 23 % et 8 % des patients en moyenne. L’évaluation annuelle était réalisée pour le bilan glycémique chez 38 % des patients, et pour le bilan lipidique chez 23 % des patients. L’analyse temporelle de la fréquence avec laquelle ces bilans étaient réalisés retrouvait une tendance à l’augmentation régulière, parallèle à celle qui était observée chez les patients diabétiques. La publication des recommandations de l’ADA n’a pas modifié cette évolution, et elle n’a pas été associée à une augmentation du dépistage.

Cette étude montre que le dépistage des anomalies métaboliques reste insuffisant chez les patients traités par antipsychotiques de deuxième génération. Les recommandations de l’ADA n’ont pas eu l’impact escompté.
Dr Laurence Du Pasquier
Morrato EH et coll. : Metabolic screening after the American Diabetes Association ‘s consensus statement on antipsychotic drugs and diabetes. Diabetes Care 2009 ; 32 : 1037-1042.



ACTUALITE MEDICALE
Le DSM-V vers son starting-block
Publié le 15/08/2009
http://www.jim.fr/medecin/21_psy/e-docs/00/01/AE/9D/document_actu_med.phtml


Enfin ! Depuis le temps que la littérature psychiatrique évoquait cette « Arlésienne », le DSM-V, une date précise pour sa publication (Mai 2012) est mentionnée dans un article consacré à l’essor de ce fameux « Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux ». Le DSM connaît en fait plusieurs origines. Si sa première édition (DSM-I) remonte à 1952 ? et sa seconde à 1968, l’ère « moderne » commence en 1970, avec un article d’Eli Robins et Samuel Guze dans l’American Journal of Psychiatry (consacré à la « validité du diagnostic en psychiatrie, avec application à la schizophrénie ») et des textes de 1972 et 1978 sur la « recherche de critères diagnostiques ».

Sous l’égide de l’APA (Association américaine de psychiatrie), la mouture estampillée DSM-III opère la synthèse de ces travaux précurseurs en 1980 avec une « révolution » faisant grincer les dents chez certains psychiatres attachés au point de vue psychanalytique, puisque celui-ci est abandonné alors au profit du modèle biomédical : apport de la génétique, des examens complémentaires, inscription dans la mouvance des essais thérapeutiques et des techniques cognitivo-comportementalistes… Ce virage conceptuel est confirmé lors du DSM-IV publié en 1994 et actualisé en 2000 sous la forme du DSM-IV-TR (pour Text Revision) [1].

Mais toute classification est victime de son aspect réducteur : comme le résument les auteurs, « les psychiatres se trouvent désormais confrontés à une pléthore de phénomènes de comorbidité, car les patients n’ont pas exclusivement des troubles de l’humeur ou à type de somatisation ou d’anxiété, mais ont tendance à développer un mélange de symptômes empruntés à plusieurs catégories ». Penchés sur le berceau du futur DSM-V depuis 1999, les chercheurs doivent relever plusieurs défis pour « faire face aux questions ayant émergé depuis 30 ans ».

Interrogation fondamentale : comment définir un trouble mental ? Autre point : comment aborder une affection mentale dans toute sa diversité, malgré la disparité apparente de stades de développement pouvant s’étendre tout au long de la vie ? Enfin, comme pour toute prétention à affubler autrui d’une marque de « différence », au risque de le stigmatiser : quelle place accorder à des critères contextuels, notamment aux caractéristiques culturelles ? Une classification quelconque a-t-elle valeur à l’universalité ?
[1] http://www.dsmivtr.org/
Dr Alain CohenRegier DA et coll. : The conceptual development of DSM-V. Am J Psychiatry 2009 ; 166-6 : 645–650.


ACTUALITE MEDICALE
Grandeur et décadence d’un modèle
Publié le 14/08/2009
http://www.jim.fr/medecin/21_psy/e-docs/00/01/AE/98/document_actu_med.phtml


Professeur de psychiatrie à l’université de Boston (Massachusetts), S. Nassir Ghaemi publie un ouvrage ayant le même titre que son article du British Journal of Psychiatry, « Grandeur et décadence du modèle bio-psychosocial ». Proposé par George Engel [1] en 1977, lequel s’appuyait notamment sur des précurseurs comme Adolf Meyer et Roy Grinker [2], ce modèle est considéré outre-Atlantique comme le « courant dominant » (mainstream ideology) de la psychiatrie contemporaine. Laquelle serait critiquée pour son aspect « trop biologique », occultant la dimension humaine, avec risque de dérive scientiste ou, du moins, de relégation des interventions psychosociales derrière le paravent de la médecine et de la pharmacologie.

Vu comme « antidote » à ce risque, le paradigme en question (dit bio-psychosocial) est censé tenir « le milieu de la route » entre les trois dimensions essentielles de la psychiatrie (organique, psychique et socioculturelle). Ce qui est en accord avec la recommandation d’Engel (1978) selon laquelle : « Il faut tenir compte des trois niveaux (biologique, psychologique et social). Aucune maladie, aucun patient, ni aucun contexte ne peuvent se réduire à un seul de ces aspects, toujours plus ou moins présents ». Mais cet arbitrage entre plusieurs courants ne parvient plus, semble-t-il, à endiguer la vague du « tout biologique » déferlant désormais sur la psychiatrie.

Pour SN. Ghaemi, l’apogée du modèle bio-psychosocial aux États-Unis coïncide avec « la notoriété du DSM-III, vers 1980, les avancées de la psychopharmacologie et le déclin de la psychanalyse ». A noter toutefois que dans cette synthèse bio-psychosociale, certains concepts psychanalytiques (comme les mécanismes de défense) sont préservés.

Mais en prônant une position éclectique, à mi-chemin de discours bien tranchés (biologique, psychologique ou social), ce modèle sécrète lui-même ses limites. Car paradoxalement, l’éclectisme se muerait en son contraire pour engendrer le dogmatisme, puisqu’en laissant chacun libre de suivre sa propre inclination, il n’impose aucun garde-fou contre un nouveau dogme ! Ce retournement d’une vertu en son contraire rappelle un aphorisme du philosophe Schelling (1795) où la revendication de liberté débouche sur la soumission : « Prouver ainsi précisément sa liberté, par la perte de sa liberté elle-même, et sombrer encore avec une proclamation de la volonté libre. »

Ce modèle conserve pourtant un atout : abordant le réel de manière globale (vision « holistique » [3]) par opposition à tout parti pris de spécificité (réductionnisme), il s’appuie sur l’idée que « plus, c’est mieux » : on aurait plus de chances de cerner la vérité en multipliant les perspectives, dans une meilleure approche de la complexité.

[1] http://en.wikipedia.org/wiki/George_L._Engel[2] http://www.medscape.com/viewarticle/547497_2[3] http://fr.wikipedia.org/wiki/Holisme

Dr Alain Cohen
Ghaemi SN : The rise and fall of the biopsychosocial model. Br Journal of Psychiatry 2009 ; 195 : 3-4.






Mon ordi vaut bien ton psy !

Publié le 07/08/2009
http://www.jim.fr/medecin/21_psy/e-docs/00/01/AE/2F/document_actu_med.phtml


Certains médecins contribueraient-ils imprudemment à scier la branche où ils sont assis ? On est en droit de s’interroger à la lecture de cette étude néerlandaise comparant l’efficacité du traitement « classique » de la dépression (c’est-à-dire par un praticien humain) à celle d’un « cyber-traitement » par programme informatique disponible sur l’Internet… pour ne trouver en fin de compte « aucune différence significative » entre ces deux méthodes !

Par les mânes de Lacan, le protocole en question n’a, on l’aura compris, rien à voir avec la psychanalyse, mais s’apparente aux thérapies cognitivo-comportementalistes (CCBT) [1]. Motivation des chercheurs : réduire la proportion des dépressions ambulatoires non traitées, en orientant les patients vers des sites à finalité « vicariante » du thérapeute : par la barbe de Freud, on n’a plus (assez) de psychiatres, mais on a encore des idées… et des ordinateurs !

Âgées de 18 à 65 ans et devant bénéficier d’un premier traitement pour une dépression, 303 personnes ont donc été orientées au hasard soit vers leur médecin (de la vraie vie), soit vers un logiciel compatible tout silicium et au nom explicite, Colour Your Life, soit vers une combinaison des deux (l’homme + la machine). Vous repeignant ainsi la vie en rose, le cyber-thérapeute est défini comme un « programme en ligne, multimédia et interactif ». Bilan édifiant, après un suivi de 6 mois : « aucune différence dans l’évolution entre ces trois procédés » (intervention humaine, informatique pure, ou association des deux). Ex-æquo avec le site cognitivo-comportementaliste, le corps médical classique doit pourtant se réjouir de ce résultat très flatteur, puisqu’une autre étude aurait montré « qu’une technique CCBT délivrée par ordinateur serait plus efficace que la thérapie délivrée par le médecin traitant » !

Néanmoins prudents, les auteurs (humains) de cette enquête précisent que « les techniques de type cognitivo-comportementaliste sans intervention humaine ne peuvent bénéficier à tous les sujets souffrant de dépression ». Verra-t-on bientôt un clone de Jung sur Second Life ?

[1] Computerised Cognitive Behavioural Therapy : technique cognitivo-comportementaliste assistée par ordinateur.
Dr Alain Cohen

De Graaf LE et coll. : Clinical effectiveness of online computerised cognitive-behavioural therapy without support for depression in primary care : randomised trial. Br J Psychiatry 2009 ; 195 : 73-80.



jeudi 20 août 2009

ARMENTIÈRES
Mon fils, ce schizophrène
Publié le mercredi 19 août 2009 à 06h00
http://www.nordeclair.fr/Actualite/Justice/2009/08/19/mon-fils-ce-schizophrene.shtml

Schizophrène ou « borderline », en tout cas instable, cet homme de 35 ans réclame son argent de poche au couteau, séquestre sa mère de 74 ans. Délogé par le GIPN, il part en hôpital psychiatrique.

Massif mais empâté, le cou penché à angle droit du dos offrant un profil de vieillard, un phrasé d'enfant rechignant à avouer ses bêtises, Hervé B. ne passe pas inaperçu. Avocat et procureure s'accordent sur le « malaise » de la situation. Car les faits sont très graves.
Le 11 mars dernier, le jeune homme réclame un peu de liquide à ses parents. Régulièrement, il les menace pour parvenir à ses fins. Les parents, conscients de ses troubles psychiatriques - il ingurgite 10 sortes de médicaments chaque jour -, lui passent ses excentricités. Mais le climat est malsain. Plus tôt, il avait étranglé sa mère, lui disant « en rigolant », « je vais te tuer et te mettre dans un cercueil ».

Il rattrape son père de 77 ans, le met au sol, le frappe
Cette fois, il n'attend même pas la réponse, attrape un couteau et le brandit contre sa mère de 74 ans. Son père, 77 ans, tente timidement de s'interposer. Face à l'insensé molosse, il préfère fuir. Son fils lui court après, le met au sol et le frappe. Il tente même de le rapatrier à l'intérieur puis se ravise et s'enferme avec sa mère. Volet baissé. Trois longues heures. Un négociateur est envoyé ; le GIPN doit intervenir. Jouant de sa crédulité, un policier entre dans l'appartement déguisé en agent du Samu puis maîtrise l'individu à coup de Taser. Le prévenu sera envoyé d'office pendant 4 mois en hôpital psychiatrique.
Son geste, il l'explique confusément. « Je l'ai pas frappé, j'ai fait du chantage. Et puis mon père a pris le couteau et m'a piqué... » Lorsque la présidente Reliquet lui demande pourquoi il voulait de l'argent, ce dernier répond : « C'était mon anniversaire. - Et vous vouliez acheter quoi ? - De la vodka et du cannabis. » Hervé Belot a déjà été condamné pour des faits de violences. Deux expertises concluent à une altération de la responsabilité, même si l'une le dit victime de schizophrénie quand l'autre évoque un « état limite » ou « borderline ». Il confie quand même aux deux psys avoir « souvent envie de tuer des gens ». La présidente Reliquet lance une perche : « Comment nous convaincre que vous ne recommencerez pas ? » À laquelle il répond : « Bah, mes parents sont partis en maison de retraite. » Badaboum.
Dans un brillant mais long, lent, lancinant réquisitoire, la procureure Courtalon procède à une admirable relecture de l' Histoire de la folie à l'âge classique avant de ménager l'impératif de dissuasion et celui de compréhension en requérant 16 mois de prison, dont 10 avec sursis. Tout aussi brillant, Me Simon Perot fait le procès du régime de psychiatrie à domicile « qui consiste à dire aux malades "devenez votre propre gardien". » « Mon client ne peut pas porter la responsable de la disparition des psychiatres de tournée, de la fermeture un à un des centres spécialisés ! S'il va en prison, il verra quatre fois la psy. Vous croyez qu'il va sortir stabilisé ? » C'est dépité qu'il écoute le jugement : deux ans de prison dont un an avec sursis.
NICOLAS CAMIER > nicolas.camier@nordeclair.fr
Les drogues psychédéliques utiles en psychiatrie ?
Mardi 18 août 2009
http://news.doctissimo.fr/les-drogues-psychedeliques-utiles-en-psychiatrie-_article5182.html

Donner des substances hallucinogènes à des patients psychiatriques, voilà un postulat au minimum incongru. Pourtant le psychiatre lyonnais Olivier Chambon confirme l'intérêt de ces substances pour traiter certaines pathologies psychiatriques résistantes aux traitements habituels. La médecine psychédélique a-t-elle un avenir ?

Le LSD, l'ecstasy, les champignons à psilocybine (hallucinogènes), l'ayahuasca ou encore l'iboga sont des substances capables de provoquer des hallucinations ou d'exacerber les sens. Elles sont donc prohibées par les sociétés occidentales dans le cadre de la lutte contre la toxicomanie. Cependant ces substances sont étudiées par de nombreux scientifiques, en raison de possibles effets thérapeutiques.

Selon le Dr Oliver Chambon, auteur du livre La médecine psychédélique - Le pouvoir thérapeutique des hallucinogènes, "les drogues psychédéliques sont de retour, mais cette fois dans les laboratoires et les hôpitaux, et pour leurs indications thérapeutiques. Dans le monde entier, de nombreux scientifiques s'intéressent à ces substances hallucinogènes pour étudier leur action sur certaines pathologies résistant aux traitements psychiatriques, notamment les dépressions chroniques, la dépendance alcoolique, le stress post-traumatique." Le Dr Chambon ajoute qu'elles ne sont pas étudiées "en France où ces substances sont assimilées à des drogues", à l'instar de ce qui se passe avec l'usage thérapeutique du cannabis.

De plus ces substances ne provoquent pas de dépendance et n'ont pas d'effets stupéfiants, contrairement à l'héroïne ou l'alcool (pas d'obscurcissement de la conscience). Les études déjà menées montrent par exemple le rôle positif de l'association d'une petite dose du principe actif de l'ecstasy dans la prise en charge de troubles anxieux, ou encore l'intérêt du LSD ou des champignons hallucinogènes, également à doses contrôlées, dans le traitement des algies vasculaires du visage (douleurs violentes s'apparentant à des migraines, touchant la moitié d'un visage).

En conséquence, le Dr Chambon affirme qu'"il existe actuellement bien assez de données de recherche et de publications, au niveau international, pour étudier, en France, l'efficacité des médicaments psychédéliques dans des affections psychiatriques résistant aux autres approches, avec de grandes chances d'obtention de gains thérapeutiques importants".

Cet appel à une extension de la recherche médicale sur ces substances dans le but d'élargir les possibilités de traitements des cas difficiles sera-t-il entendu ?

Sources :

- "La médecine psychédélique. Le pouvoir thérapeutique des hallucinogènes", Dr Oliver Chambon, Ed. Les Arènes, 396 pages, en librairie

- "How could MDMA (ecstasy) help anxiety disorders? A neurobiological rationale." Johansen P et coll., J Psychopharmacol. 2009 Mar 9.

- "Response of cluster headache to psilocybin and LSD." Sewell RA et coll., Neurology. 2006 Jun 27;66(12):1920-2.

lundi 17 août 2009



SANTÉ
Quel avenir pour la psychiatrie publique ?
le 17.08.2009
http://www.leprogres.fr/fr/france-monde/article/1885693,192/Quel-avenir-pour-la-psychiatrie-publique.html

Hôpitaux saturés, manque de structures pour soigner les malades en ville, la psychiatrie publique peine à remplir sa mission de soins.

Comme le reste de l'hôpital, la psychiatrie publique va mal. Après la promulgation de la loi Hôpital, patient, santé et territoire, elle attend sa propre réforme.

Depuis une quarantaine d'années, l'hôpital psychiatrique s'est effacé au profit d'une organisation par secteurs géographiques : le patient doit pouvoir bénéficier au plus près de chez lui de soins en continu. S'il reste emblématique, l'hôpital n'accueille plus désormais qu'une minorité des malades : 70% sont suivis à l'extérieur, dans des structures de soins ambulatoires, et ne seront jamais hospitalisés. Mais les lits d'hôpitaux ont fermé plus vite que ces structures ne se sont développées. Aujourd'hui, plusieurs hôpitaux affichent des taux d'occupation supérieurs à 100 % et sont au bord de l'explosion. Ils peinent à accueillir des malades en crise faute de place ailleurs pour les patients « stabilisés ». Certains de ces malades restent des mois dans des structures censées être de courte hospitalisation, d'autres se retrouvent à la charge de familles qui n'en peuvent plus ou encore à la rue.

La psychiatrie est désormais évoquée à la page faits-divers dans les médias, à la suite de violences au sein d'un établissement ou d'une agression commise par un malade. C'est d'ailleurs quelques semaines après le meurtre d'un passant à Grenoble par un patient de l'hôpital psychiatrique de Saint-Egrève, que Nicolas Sarkozy a présenté, le 2 décembre 2008, l'aspect « sécuritaire » de la future réforme comprenant notamment 30 millions d'euros pour renforcer la sécurité des hôpitaux, 40 millions pour créer quatre unités pour malades difficiles (dont une à l'hôpital du Vinatier de Lyon), et une extension du principe de l'hospitalisation d'office aux soins en ville. En janvier, le rapport Couty a dégagé 26 propositions pour réformer l'organisation en réunissant notamment le secteur psychiatrique et le médico-social. Les deux projets ont déclenché la colère des syndicats de psychiatres. Le gouvernement a promis de retravailler sa copie...

Confronté aux mêmes difficultés que ses homologues, l'hôpital Saint-Jean-de-Dieu à Lyon nous a ouvert ses portes pour présenter la réalité des soins psychiatriques au quotidien.



Pas de trêve estivale pour l'hôpital Saint-Jean-de-Dieu
le 17.08.2009 04h00
En août, ça continue de bouchonner à l'entrée et à la sortie de cet hôpital lyonnais. Les médecins doivent sans cesse chercher des solutions pour assurer le suivi des soins aux patients.
http://www.leprogres.fr/fr/france-monde/article/1885680,192/Pas-de-treve-estivale-pour-l-hopital-Saint-Jean-de-Dieu.html

Peu de malades et de soignants dans le parc et dans les couloirs : ce mardi, l'hôpital psychiatrique de Saint-Jean-de-Dieu, dans le 8 e arrondissement de Lyon, semble gagné par la torpeur aoûtienne. A l'unité d'hospitalisation de courte durée (UHCD), le service « post urgences », seule une jeune fille agitée sort sans cesse de sa chambre pour venir dans le bureau infirmier, véritable tour de contrôle située face à l'entrée sécurisée. Comme la plupart des patients, elle est envoyée par les urgences des Hospices civils de Lyon. « Il n'y a pas encore moyen de lui parler », explique le Dr Lionel Reinheimer, chef du service, précisant que sous l'effet des médicaments, ces crises aiguës « ne dépassent pas les 48 heures ». Comme cette jeune fille, déjà venue ici il y a deux ans, de nombreux patients sont hospitalisés en urgence car ils ont arrêté leur traitement. En théorie, ils doivent quitter l'UHCD au bout de 72 heures, le plus souvent pour aller en clinique ou dans une autre unité de l'hôpital. Quand ce circuit fonctionne bien, « c'est valorisant de voir un patient hyper mal ressortir calmé », remarque le Dr Reinheimer. Mais depuis des mois, c'est « le bouchon continu »: il y a en permanence 8 à 9 patients des deux UHCD (23 lits et 2 chambres d'isolement) qui attendent une place ailleurs. Des chambres de patients en permission sont utilisées en leur absence, des lits supplémentaires installés dans des chambres individuelles voire dans des salles d'activité... Les malades en crise attendent plusieurs heures aux urgences des HCL avant qu'une place ne soit trouvée. Fin mai, c'est dans un réfectoire que 5 patients ont dormi. À la suite de ce coup d'éclat, le directeur, Jacques Marescaux, et le président de la commission médicale, Bernard Joli ont convaincu l'Agence régionale d'hospitalisation de financer la création d'une nouvelle unité de 20 lits pour des patients cérébro-lésés, à hauteur de 1,3 M d'euros (pour un coût total de 1,68 M). Elle ouvrira en décembre et sera certainement vite remplie car le champ d'action est vaste : malades psychotiques, accidentés de la route, patients souffrant de maladies neuro-dégénératives... Dans l'unité de secteur du Dr Patrick Briant, 3 patients sur 26 attendent une place dans ce type de structure. Le plus ancien est là depuis 1998. En géronto-psychiatrie, les assistantes sociales bataillent pour convaincre les maisons de retraite d'accepter des patients dans leurs services dédiés aux personnes âgées désorientées. Certains malades stabilisés au bout de deux mois doivent patienter jusqu'à un an. Car, là, ce n'est pas la lourdeur de la pathologie qui compte mais les moyens financiers... «Pour quelqu'un qui peut payer plus de 2 500 euros mensuels, l'attente est ramenée à une vingtaine de jours », explique Nicole Orrao, assistance sociale. Dans ce même service, se trouve un patient condamné car « il joue de l'arme blanche quand il a bu ». Il est actuellement « stabilisé » car il ne boit pas à l'hôpital, mais « vu le prix d'une journée d'hospitalisation cela coûte cher uniquement pour ne pas boire d'alcool!», remarque la chef de service, le Dr Florence Dibie-Racoupeau.

L'hôpital accueille à peine 30 % des malades suivis en psychiatrie publique, « mais ça bouffe 90 % de notre temps », note le Dr Briant qui freine sur les lits supplémentaires dans son unité car il ne veut pas « dégrader le soin ». «Il y a 20 ans, les patients étaient gardés en moyenne 240 jours, aujourd'hui, c'est 30 jours. Juste le temps d'évaluer les effets indésirables graves des médicaments. Il faut 3 mois pour voir si on est dans le bon sens et 3 ans pour évaluer les résultats », explique le psychiatre. Si le suivi des soins n'est pas assuré, c'est l'arrêt garanti. « Déjà à l'hôpital, la moitié seulement prend ses médicaments. A l'extérieur, dans le meilleur des cas, ils arrêtent au bout de deux ans », explique le psychiatre qui estime qu'il faut actuellement 2 à 3 rechutes pour arriver à une prise en charge correcte. Un projet d'hôpital de jour de 15 places est développé pour essayer de ne pas perdre les patients qui n'adhèrent pas au suivi ambulatoire.

À 18 heures, 8 patients étaient entrés à Saint-Jean-de-Dieu et 2 étaient en attente. La moyenne est de 4 à 10 entrées quotidiennes. Avec 16 lits supplémentaires, l'hôpital a souvent un taux d'occupation de 108 %. « Ça fait penser à Verdun, soupire le Dr Bernard Joli. On s'impose des souffrances à soi et aux autres. »

dimanche 16 août 2009




Samedi 15 Aout 2009

CORSE. Après le meurtre familial commis par un adolescent, un psychiatre bordelais tente une explication

http://www.sudouest.com/accueil/actualite/france/article/677228/mil/4992831.html

« Tuer sa famille ressemble à un acte psychotique »

L'enquête se poursuit à Albitreccia, en Corse, après qu'un adolescent de 16 ans s'est accusé du meurtre de ses parents et de ses frères jumeaux de dix ans, dans la nuit de mardi à mercredi. Le jeune garçon s'est présenté spontanément, jeudi, à la gendarmerie de Pietrosella, en compagnie de l'un de ses oncles auquel il s'était confié, après avoir erré plusieurs heures autour de la maison familiale.

Hier soir, le jeune homme a été mis en examen pour assassinats et placé en détention au quartier des mineurs de Borgo. Les enquêteurs ont confirmé que les quatre victimes ont été tuées dans leur sommeil. « Tous ont été retrouvés dans leur lit, il n'y avait aucune trace de lutte ou d'une quelconque tentative de fuite », a indiqué l'un des responsables de l'enquête. Sur les indications de l'adolescent, le fusil dont il affirme s'être servi a été retrouvé par les gendarmes dans un bosquet, non loin de la maison familiale.

Aucune explication

Entendu par la police et son avocate, il reconnaît les faits mais n'explique pas son geste. Au centre Jean-Abadie de Bordeaux, pôle aquitain de l'adolescence du CHU, le docteur Philippe-Pierre Tedo, psychiatre, pose un regard d'expert sur ce terrible drame : « L'adolescence se définit comme un processus de remaniement physique et psychologique. Le jeune vit une période de turbulences, il doit apprendre à gérer son corps, se questionne sur son narcissisme, l'estime de soi, son identité et ses identifications : "D'où je viens ?", "Qui sont mes parents ?". Au lieu de mettre des mots sur leur malaise, certains ne peuvent faire autrement qu'agir leur malaise : ils passent à l'acte. Anorexie, boulimie, scarifications, tentative de suicide. Des actes graves, espérant que les adultes entendront. L'acte meurtrier de la famille est un moment psychotique, un moment d'étrangeté, le jeune perd le contrôle de lui-même. Les personnes les plus proches deviennent, dans son délire, des dangers. Il s'agit d'une psychose d'acte. À 20 heures, il va bien, à minuit il gamberge, à 4 heures il tue quelqu'un. Un moment de folie, de décompensation. C'est un état grave qui relève de la psychiatrie. »

Difficile à repérer

L'adolescent meurtrier en Corse ne présentait aucun signe extérieur de malaise. D'après son entourage, il était agréable, souriant et bon élève, plutôt sportif, adepte des jeux vidéo. Comme la plupart des jeunes de sa génération. Troublant.

« Difficile de repérer la dangerosité d'un malaise, nous travaillons là-dessus au centre Abadie. Il y a souvent des signes avant-coureurs. Le retrait scolaire, l'isolement, le silence ou l'agressivité. En général, ces ados ne parlent pas de leurs difficultés. Souvent, l'on constate qu'ils évoluent dans des contextes de violence familiale, violence psychologique invisible en surface. Avec des secrets de famille, des névroses cachées, des séparations. Le jeune se trouve perdu et passe à l'acte. »

A priori, l'adolescent auteur présumé des faits en Corse échappe à cette description. Pas de signe précurseur, il avait passé un mois au nettoyage de la plage voisine, sa famille avait l'air « soudée, aimante ».

En raison de son âge, le parquet d'Ajaccio souhaite que rien ne soit dévoilé des auditions. Le jeune homme sera présenté à un juge de la liberté et de la détention qui devra statuer sur son sort.

Auteur : i.castera@sudouest.com



samedi 15 août 2009

«Les psys ont tué mon fils», accuse une mère

SUICIDE | Un jeune Vaudois diagnostiqué schizophrène avait menacé de se défenestrer. Sa maman a attendu de l’aide sept mois durant. En vain. Son fils a passé à l’acte. Témoignage et explications.
http://www.24heures.ch/vaud/actu/psys-tue-fils-accuse-mere-2009-08-14


© FLORIAN CELLA | Jeudi dernier, Nicole Cottet-Pineau a publié un faire-part vindicatif dans nos colonnes. Elle en veut aux psychologues, à qui elle reproche de n’avoir pas cru à la dangerosité de l’état de son fils. Après l’enterrement, elle témoigne «pour faire bouger les choses».
SYLVAIN MULLER | 15.08.2009 | 00:05

«La famille de Cédric Lamotte a la douleur de faire part de son décès, survenu à cause de l’incompétence des psychologues.» Paru jeudi dans nos colonnes, ce faire-part révélait à la fois la douleur et la détresse d’une famille. «Le 13 janvier, mon fils a été déclaré atteint de schizophrénie, explique sa maman, Nicole Cottet-Pineau. Comme son frère souffre de cette maladie depuis plusieurs années, Cédric a déclaré au médecin qu’il préférait se jeter par la fenêtre. J’ai passé sept mois à chercher de l’aide. Lundi matin, j’ai encore cherché à joindre son psychologue, mais on m’a répondu qu’il était en vacances et que quelqu’un me rappellerait.» Personne n’a rappelé, et Cédric a mis sa menace à exécution. «Aujourd’hui, je me fiche des éventuelles réactions à ce faire-part; je veux juste que sa mort serve à faire bouger les choses.»

Sentiment d’abandon
Le désespoir et l’incompréhension face à l’absence d’encadrement et de soutien, malgré un diagnostic de schizophrénie posé. Ce sentiment est partagé par Michel Rubattel, papa d’un malade. «On se sent complètement abandonnés. D’un côté, on nomme un tuteur, car notre fils ne peut plus se gérer; et, de l’autre, quand on s’inquiète de savoir comment il va et s’il prend ses médicaments, on nous répond qu’il est majeur et donc libre de ses choix. Les parents n’ont rien le droit de faire, si ce n’est de répondre au téléphone quand on nous appelle pour dire qu’on a perdu sa trace. C’est complètement incohérent.»

Interdit de soigner contre la volonté d’un malade
Responsable du Centre d’expertises psychiatriques, sur le site de Cery, du département de psychiatrie du CHUV, le professeur en psychiatrie Jacques Gasser apporte quelques pistes de réponse, sans donner de détails en raison du secret médical. «Le début de la maladie est effectivement très délicat, confirme le professeur. La prise régulière de médicaments est nécessaire pour que le patient puisse mener une vie normale. Mais le droit interdit de traiter contre son gré une personne capable de discernement.» Il en résulte donc parfois la situation contradictoire que vivent les familles: les malades sont pris en charge lors de crises, mais plus suivis lorsque leur état s’améliore. Se croyant guéris, ils stoppent leur traitement de leur plein gré, ce qui provoque une rechute. «Tout repose sur l’acceptation de la maladie. Malheureusement, certains patients doivent passer par plusieurs de ces cycles avant d’accepter de prendre un traitement toute leur vie», déplore le professeur.

La problématique est la même pour la justice de paix, qui doit décider de l’éventuelle nomination de curateurs ou de tuteurs. «Nous sommes totalement dépendants de l’expertise psychiatrique, constate Nicolas Perrinjaquet, le premier juge de paix des districts de Lausanne et de l’Ouest lausannois. Par contre, le but de ces éventuelles nominations est seulement de sauvegarder le patrimoine des malades. Les curateurs et les tuteurs n’ont aucune responsabilité médicale.»

Evolution des traitements
Président de l’Association vaudoise des psychologues, Raphaël Gerber souligne aussi l’évolution de la société: «Il y a deux siècles, les malades mentaux faisaient l’objet de mesures de contention et d’enfermement. La prise en charge de la souffrance psychique a, heureusement, nettement progressé et la liberté individuelle a pris beaucoup d’importance. Mais la schizophrénie reste une maladie à la fois grave et dont les causes ne sont pas complètement déterminées.»

Voir www.lilot.org et www.graap.ch