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mercredi 14 février 2018

Enfants face aux écrans, « ne cédons pas à la démagogie »

Dans une tribune au « Monde », un collectif de professionnels du soin, de la prévention, et de chercheurs estime qu’une information à caractère sensationnel n’aidera pas à prévenir les risques associés aux nouvelles technologies.

LE MONDE 

Tribune. Nous sommes des professionnels du soin, de la prévention, et des chercheurs spécialisés dans le champ de la petite enfance, de l’enfance, de l’autisme, et de l’addiction. Conscients des dangers des écrans chez les plus jeunes, nous souhaitons pourtant témoigner de nos inquiétudes face aux affirmations erronées dont certains médias se font l’écho, notamment dans le reportage d’« Envoyé spécial » « Accros aux écrans » (18 janvier, France 2).

Depuis quelque temps, des vidéos circulent sur le Net : des signes d’autisme surviendraient chez des tout-petits très exposés à la télévision. Des chiffres effrayants sont avancés : un enfant sur vingt, dans chaque classe d’âge, dans une ville donnée. Des chiffres cinq fois supérieurs aux statistiques communément citées sur la prévalence des troubles du spectre autistique ! Enfin, affirmation tout aussi fantaisiste, il nous est assuré que la suppression des écrans conduit dans la majorité des cas à la disparition des symptômes en un mois.

Carences éducatives et affectives

Ces vidéos évoquent de très nombreux enfants exposés aux écrans 6 à 12 heures par jour, ceci même en l’absence de problématique sociale ou familiale précise-t-onOr un enfant laissé de façon aussi importante devant un récepteur est de facto victime d’une carence éducative et/ou affective grave. Si la régulation de cette consommation est indispensable, elle ne suffira en aucun cas à compenser l’ensemble des effets du défaut de soins sur le développement de l’enfant. A l’évidence de telles situations requièrent une prise en charge pluridisciplinaire rapide et conséquente.

Par ailleurs, aucune étude à ce jour ne permet d’établir une relation de causalité entre consommation d’écrans et autisme. Ce qui est en revanche fréquemment constaté, c’est un intérêt précoce des enfants atteints de troubles autistiques pour les écrans, qui prend une forme répétitive et qui est en lien avec leurs particularités cognitives. Ne passons pas à côté de troubles développementaux en chargeant les écrans de tous les maux ! Nous disposons d’outils de dépistage précoce de ce type de troubles et nous militons pour une prise en charge rapide. N’attendons pas l’effet hypothétique de la régulation des écrans pour engager une démarche adaptée. Les exemples avant/après montrés dans le reportage « Accros aux écrans » ne sont pas du tout convaincants, malgré les commentaires enthousiastes appuyés qui les accompagnent !

Besoin d’accompagnement


Mais un autre épouvantail est aujourd’hui agité dans le débat public concernant les très jeunes enfants : celui de l’addiction aux écrans. Là encore, rappelons qu’elle n’a été reconnue ni par l’Académie de médecine (2012), ni par l’Académie des sciences (2013), ni même par le plus récent DSM-5 [la dernière édition du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l’Association américaine de psychiatrie]. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) serait actuellement en pourparlers, et si elle reconnaît cette addiction, il s’agira de voir avec quels critères. Il est peu probable qu’elle concerne les enfants de moins de 4 ans. La prudence s’impose donc.

Or que nous dit-on dans l’émission « Envoyé spécial » du 18 janvier ? Que donner un écran numérique à son bébé est « exactement l’équivalent d’une drogue » ! Sur d’autres antennes comme l’émission « Bourdin direct » sur RMC (10 janvier 2018), il est fait état de nombreux enfants de 3 ans qui se lèvent toutes les nuits à 3 heures du matin pour se saisir du smartphone de leurs parents et se brancher sur YouTube ! Si une telle attitude existe, elle ne peut être liée qu’à une utilisation massive du smartphone parental durant la journée. Comment affirmer, alors, que « les parents ne sont responsables en rien » ?

« NOUS NE BRANDISSONS NI LE SPECTRE DE L’AUTISME NI CELUI DE LA DROGUE. »
Nous nous battons depuis des années pour que des outils numériques ne soient pas confiés aux plus jeunes sans accompagnement, et en respectant des durées courtes afin de ne pas nuire à toutes les activités indispensables à cet âge. Mais nous ne brandissons pour cela ni le spectre de l’autisme ni celui de la drogue. Et nous continuerons à ne pas en parler parce que ces charges à caractère sensationnel font écran à une compréhension raisonnable des problèmes.

Les effets délétères à long terme de la surconsommation télévisuelle chez les tout-petits sont connus grâce à l’étude longitudinale menée depuis 1996 par Linda Pagani, professeure à l’Ecole de psychoéducation de l’université de Montréal. Ceux qui ont passé plus d’une heure par jour devant l’écran entre 2 et 3 ans ont des possibilités d’attention et de concentration, des capacités d’empathie et des compétences socio-relationnelles moindres à l’âge de 13 ans. Mais cette même étude n’a jamais décrit de tableaux d’allure autistique en lien avec la surexposition.

Informer, prévenir et éduquer


Les rumeurs infondées lancées actuellement nourrissent une panique morale exploitée par certains médias, en dehors de toute rigueur scientifique. Non, un nouveau problème que personne n’aurait pris au sérieux auparavant ne vient pas d’être découvert. Il serait de plus fâcheux que ces messages simplistes portés devant des interlocuteurs politiques contrarient les projets d’éducation au numérique fondamentaux à mettre en place à l’école. Et il serait déplorable que les prévisions fantaisistes sur les effets de la suppression des écrans ne nous fassent perdre un temps précieux dans le repérage et la prise en charge précoces des troubles du spectre autistique.

La généralisation des écrans dans tous les espaces, y compris parfois dans des crèches, banalise leur usage et constitue un encouragement tacite permanent à leur surconsommation, chez les parents, parfois chez le personnel d’encadrement, et chez les enfants, avec des conséquences problématiques. Mais nous avons tous, parents, professionnels, chercheurs, politiques, à préparer l’avenir avec un double challenge. A la fois prémunir nos enfants contre les dangers des écrans pour éviter qu’ils ne s’y noient. Mais aussi leur apprendre à développer des usages qui leur permettent de devenir les citoyens d’une société connectée et responsable. Cela ne se fera pas en cultivant la peur et en cédant à la démagogie.

Nous plaidons pour informer avec rigueur, prévenir et éduquer. Et nous continuerons à nous battre pour aider chacun à mettre en place des règles familiales et institutionnelles de bon usage des écrans, dans un souci de prévention éclairé et raisonné.

Nous appelons à un large débat qui pourrait commencer à l’occasion de la semaine d’information de la santé mentale, du 12 au 25 mars, consacrée cette année à l’enfance et la parentalité dans la santé mentale.

Les signataires de cette tribune sont : Jacques Angelergues (vice-président du Centre de réadaptation psycho-thérapique (Cerep) Phymentin, à Paris) ; Patrick Belamich (président de la Fédération des centres médico-psycho pédagogiques) ; Maryse Bonnefoy (co-présidente du Syndicat national des médecins de protection maternelle et infantile) ; François-Marie Caron (pédiatre et ancien président de l’Association française de pédiatrie ambulatoire) ; Marie-Noëlle Clément (psychiatre, directrice de l’hôpital de jour pour enfants du Cerep Paris) ; Michel Dugnat (responsable de l’Unité parents-enfant de l’Assistance publique - Hôpitaux de Marseille et président de l’Association pour la recherche et l’information périnatalité) ; Agnès Florin (présidente de l’Association francophone de psychologie et de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent) ; Bernard Golse (président de la Coordination internationale entre psychothérapeutes psychanalystes s’occupant de personnes avec autisme) ; William Lowenstein (président de SOS addictions) ; Denis Mellier (co-président de la World Association for Infant Mental Health France) ; Georges Picherot (président du Groupe de pédiatrie générale de la Société française de pédiatrie) ; Pascal Plantard (co-directeur du groupement d’intérêt scientifique M@rsouin) ; Dominique Ratia-Armengol (présidente de l’Association nationale des psychologues de la petite enfance) ; Catherine Salinier (présidente de l’ONG Pédiatres du monde) ; Serge Tisseron (auteur du livre « 3-6-9-12 apprivoiser les écrans et grandir » et d’un programme d’introduction progressive et raisonnée des écrans dans la vie de l’enfant du même nom) ; Michel Wawrzyniak (président Fédération nationale des écoles des parents et des éducateurs).


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