Jusqu’où devront-ils aller ? Comment faire pour que la République française respecte les droits de ses citoyens ? Les parents d’Elias Hamdaoui, cet adolescent autiste dont Libération avait raconté l’histoire, se débattent toujours pour trouver un établissement adapté.
Il y a six mois, la justice leur a pourtant donné raison : le tribunal administratif a reconnu que l’absence de solution de la part des autorités était une atteinte grave aux droits élémentaires d’Elias et de ses parents. Le juge avait alors enjoint aux services de l’Etat d’agir dans un délai de trois mois. C’était le 13 décembre 2013. Depuis, aucune solution pérenne n’a été trouvée. Ecœurée, la famille vient d’intenter une nouvelle action devant les tribunaux. Interrogé, le ministère assure «suivre de près ce dossier». Elias fait partie des quinze cas identifiés comme critiques par les services de l'Etat, selon le décompte publié ce mercredi. Retour sur une histoire pas si isolée.

«ON FAIT QUOI MAINTENANT ? UNE PRISE D’OTAGE ?»

Elias est un grand garçon. A 15 ans, il chausse du 49, mesure 1,95 m et pèse 140 kg. Jusqu’ici, il se rendait chaque jour à l’institut médical éducatif (IME) du Blanc-Mesnil, en Seine-Saint-Denis, destiné en principe aux enfants entre 6 et 12 ans. «Ça fait bien longtemps que cette structure n’est plus adaptée pour Elias. Il est en totale régression, bourré de médicaments pour rester tranquille», se désole le père, Driss Hamdaoui.
Le directeur de l’établissement a prévenu à plusieurs reprises : Elias doit partir, il sera mis à la porte le cas échéant. Le père se démène pour trouver une place dans un établissement adapté depuis février 2012. Refus sur refus. Il a pourtant tout essayé. Des lettres recommandées en pagaille, des coups de fil acharnés aux autorités… Jusqu’à saisir la justice, en décembre dernier, dans les pas d’Amélie Loquet. En octobre 2013, les parents de cette jeune femme lourdement handicapée avaient obtenu la condamnation de l’Etat à trouver d’urgence une solution. La pression médiatique aidant, les autorités avaient fini par dégoter une structure pour l’accueillir. (1)
Elias n’a pas eu cette chance. En décembre dernier, le juge administratif a certes donné raison aux parents, estimant que l’absence de solution mettait en danger sa sécurité et celle de sa famille. Les services de l’Etat avaient jusqu’au mois de mars pour se retourner. «Sauf que le délai de trois mois s’est écoulé, et rien ne s’est passé. Nada. Aucune solution»,répète Driss Hamdaoui.
Il a pourtant «failli y croire». Une semaine avant l’ultimatum fixé par le directeur de l’IME, il participe à un débat sur l’autisme et rencontre la ministre de l’époque, Marie-Arlette Carlotti. «Je l’ai interpellée un peu sèchement, je n’avais plus rien à perdre de toute façon.» Le soir même, coup de fil du cabinet de la ministre. «On va s’occuper de votre cas.»Driss et sa femme croisent les doigts. Ils sont convoqués la semaine suivante à l’Agence régionale de santé… Et là, s’entendent dire pour la énième fois : «En fait, nous n’avons pas de solution pour l’instant. Allez en Belgique. Ou sinon, attendez 2015 peut-être, des créations de places sont prévues.» Il explose, et leur répond : «J’en fais quoi de mon fils ? Je le range dans un placard pendant huit mois ?»
Pour le calmer, une rallonge financière est accordée à l’IME du Blanc-Mesnil, Elias est pris en charge trois mois de plus, jusqu’au 13 juillet. Nous y sommes. «Et maintenant ? Dites moi, que doit-on faire pour que l’Etat assume ses responsabilités ? Une prise d’otage ? », dit-il, en appelant Libé. Interrogé, le ministère assure que «ce dossier est particulièrement suivi par le cabinet de la ministre», et dit savoir que«M. Hamdaoui doit rencontrer le directeur de l'IME ce mercredi matin.»

UNE DÉCISION DE JUSTICE AUX OUBLIETTES

Déterminé, Driss Hamdaoui vient de saisir à nouveau la justice. Après le référé-liberté de décembre dernier, il tente cette fois le référé-provision.«Là, l’idée c’est de demander de l’argent, en se disant que ça va peut-être les pousser à bouger», détaille maitre Felissi, en charge du dossier. Mais comment expliquer que l'ordonnance du juge rendue en décembre ne soit pas respectée ? «Parce que tout le monde s’en fiche ! Dans notre pays, des décisions de justice ne sont pas appliquées et personne ne s’en émeut», répond-il, excédé.
«C’est comme la décision de renvoyer Elias de l’établissement à compter du 13 juillet. Sur le plan du droit, aucun directeur ne peut virer un enfant sans alternative derrière ! Cela va à l’encontre du principe général de continuité de prise en charge.» Pourtant, les cas d’enfants ou d’adultes qui pour une raison ou une autre, se retrouvent expulsés quasiment du jour au lendemain de leur structure sont nombreux. Maitre Felissi collectionne les affaires depuis vingt ans. Très impliqué dans la défense des personnes handicapées, il avait notamment défendu le cas d’Amélie Loquet. «Je continuerai, prévient-il. Si à la rentrée, Elias n’a pas de place, on ira au pénal pour mise en danger de la vie d’autrui.» La sienne et celle de ses parents.

COMBIEN DE CAS COMME ELIAS ?

A l’automne dernier, l’affaire Amélie Loquet avait nourri des espoirs. Des familles, esseulées et sans solution pour leur proche, avaient retrouvé un peu confiance. La condamnation de l’Etat semblait avoir secoué les autorités. Carlotti, la ministre de l’époque, avait annoncé un «plan» pour les «cas d’urgence»«Il faut que cette histoire aide les autres derrière elle. Amélie aura été utile», avait-elle dit dans l’émotion.
Neuf mois après, quel bilan ? Ce mercredi matin, les premiers chiffres vont être rendus public. Entre novembre et mai, 70 dossiers sont«remontés dans la cellule de crise mise en place», indique le ministère. Dans le lot, quinze ont été identifiés comme «critiques» : dix ont nécessité l'intervention de l'Etat et ont été résolus, et cinq sont «en voie de l'être». De son côté, l’Unapei, association de défense des personnes handicapées mentales et également gestionnaire d’établissements, indique que sur les dix dossiers urgents qu’elle a transmis, quatre ont obtenu une réponse. 
(1) Depuis, Amélie Loquet a été envoyée dans un établissement dans le Périgord, obligeant sa famille installée dans la région parisienne à déménager, indique l’Unapei.